A l’heure actuelle, les pêcheurs de Petite Terre sont obligés de vendre leurs poissons en Grande Terre, dans trois des big five, Copemay, Captain Alendor, la Covipem de Mtsapéré, les deux autres, la Poissonnerie du Centre et la Covipem de Mtsahara, étant trop éloignées. Ou sur le bord de la route.
« Un comble, surtout en période de ramadan, quand les habitants de Petite Terre ne peuvent acheter leurs produits sur l’île », explique Issoufi Abdallah, dit « Moussa », président de l’association des pêcheurs de Petite Terre, qui ne décolère pas.
L’Etat était en effet prêt investir les 400.000 euros nécessaires à la mise en place d’une chambre froide, d’un stockage de glace et d’un étal pour transformer les produits, « faire des filets, proposer du carpaccio », détaille le pêcheur, bref, pour une vraie criée.
Criée ou promenade… le néant pour l’instant
Depuis 2014 que cette structure est en réflexion, leur projet s’oppose à la mairie de Dzaoudzi Labattoir : « Saïd Omar Oili voulait que cette halle soit construite derrière le petit marché couvert, alors que son implantation la plus logique serait en bordure de mer, au Four à Chaux. Nous serions obligés de traverser la route en permanence, ce qui n’est pas sécurisant. Le maire dit qu’il a d’autres projets en bordure de littoral, mais nous ne voyons rien venir. Je peux dire que le maire a fermé sa porte aux pêcheurs. »
Said Omar Oili s’explique : « Lorsque ce projet est né, c’est vrai que j’ai demandé de réfléchir sur l’opportunité de grouper la vente de poisson avec celle des fruits et légumes du marché, ce qui me semblait plus logique. Quant au front de mer, j’aimerais que l’Etat qui est propriétaire du terrain, propose un aménagement, une promenade semblable à d’autres villes de bord de mer en France. »
Un poisson revendu jusqu’à 4 fois plus cher
Sans structure capable de commercialiser leur produit, plutôt que de traverser vers Grande Terre, les pêcheurs sont tentés de revendre sur place, « avec tous les problèmes d’hygiène que cela suppose ».
Surtout que financièrement, à les entendre, ils ne s’en sortent pas : « les poissonneries qui ont pignon sur rue nous achètent en moyenne 5 euros le kilos de poisson, pour le revendre 12 à 20 euros ! Qui en est le bénéficiaire ? Certainement pas nous. Le seul à faire un petit effort reste Captain Alendor qui nous le rachète à 6,50 euros. »
Il explique que peu de pêcheurs de Petite Terre bénéficient de la compensation des surcoûts pas de compensation des surcoûts : « Quasiment personne ici ne touche 1,80 euro par kilo de poisson vendu. Ils préfèrent vendre au bord des routes, que de partir vendre en Grande Terre. » Selon les Affaires maritimes, les embarcations armées à la pêche peuvent bénéficier de cette compensation, « même si la vente se fait au rond point du Four à Chaux ».
Accords administratifs signés
Mais c’est une difficulté de plus pour orienter la vente de poisson vers les réseaux formels, « la remise des prix du meilleur pêcheur-vendeur vers des filières légales, devait se faire en Petite Terre cette année. Mais faute de structure, elle a eu lieu à la CAPAM. »
Faute d’entente entre la mairie et ses pêcheurs, le montant qui devait être dévolu, à savoir deux fois 200.000 euros, pour chacune des deux mairies de Dzaoudzi et de Pamandzi, est reparti vers d’autres cieux en janvier.
Ce que confirment les Affaires maritimes : « Après deux ans et demi de discussions pour rien, la somme a été perdue. Alors que nous avions les accords administratifs de la DAAF et de la DEAL. Or, les pêcheurs ont besoins de cette criée, d’une machine à glace, d’une zone de stockage pour les moteurs, d’une chambre froide, et le tout à proximité de leur lieu de travail », explique Serge Chiarovano, Chef de l’unité territoriale de Mayotte.
Le projet est du domaine de l’intercommunalité maintenant, et un projet du côté de Pamandzi est évoqué. Mais Saïd Omar Oili préfère revenir lui sur l’existant, et sur les choses qui risquent de fâcher selon lui : « Il existait une halle de pêcheurs, c’était l’équivalent de la Copemay de Petite Terre. Mais le bâtiment, face au STM, pourtant financé sur fonds publics, a été octroyé à un privé pour un restaurant de poisson. Réglons d’abord ce passif. »
Le maire évoque aussi un lieu de débarquement habituel des pêcheurs, proche de la station de Pamandzi : « L’Etat peut aussi utiliser les fonds européens pour investir dans une criée. »
Quant aux pêcheurs, ils ont l’impression de ne pas pouvoir se faire entendre sur le territoire, et comptent trouver un moyen de manifester, « peut-être lors de la prochaine visite d’un ministre socialiste, du même bord politique que notre maire », avance Moussa.
Pour le carpaccio de thon, il faudra donc que les petites terriens apprennent à le préparer eux-mêmes…
Anne Perzo-Lafond
Le Journal de Mayotte