Les condamnations en première instance avaient été lourdes: deux ans de prison, dont un ferme, pour le policier Jérémie Bouclet, et un an de prison, dont 6 mois ferme, pour le gendarme Daniel Papa. Plus importantes que les réquisitions du parquet, ce qui les a incité à interjeter l’appel. La Chambre d’appel avait à juger une troisième personne ce jeudi, le performant indicateur du GIR, Saïd Hamada M’zé, et là, c’est le parquet qui avait fait appel, pour avoir trouvé sa condamnation à un an de prison dont six mois ferme, trop légère, à côté des trois ans de prison dont un ferme, demandés.
C’est totalement le procès du fonctionnement du Groupement d’intervention régional de Mayotte, qui était fait ce matin. Avec au mieux, une accusation de négligence, au pire, de mensonge.
Lorsque Mathias Belmer, 40 ans, coiffeur, achète 2 grammes de ce qu’il dit prendre pour de la cocaïne, «mais qui n’en avait ni le goût ni la couleur», il ne sait pas encore qu’elle va tuer sa petite amie de 19 ans, Roukia Soundi, ce mois de janvier 2011. Ni qu’on va soupçonner une remise en circuit de drogue par le GIR.
L’enjeu des débats ce jeudi est de redéfinir la responsabilité des trois hommes, et donc, pour le policier et l’indicateur, de savoir si la drogue qui a tué la jeune femme est celle que le GIR a remis en circulation. C’est bien l’homicide involontaire qui avait été retenu en première instance.
Un test qui ne laisse aucune trace
Le 15 janvier 2011, le corps sans vie de la jeune Roukia est découvert à Trévani, le long de la route nationale, face contre terre dans les branchages. Le médecin note des traces d’hématomes, mais le décès aurait été provoqué, par une overdose d’héroïne. Son petit ami Mathias Belmer confirme la consommation de deux lignes au cours de la soirée. S’apercevant du décès de sa jeune compagne au cours de la nuit, il va camoufler le corps dans des branchages avec l’aide de sa patronne.
Mathias Belmer avait auparavant goûté le produit, et, avec son entourage, ne reconnaît pas la substance comme de la cocaïne, mais plutôt de l’héroïne, dira un de ses amis. C’est Saïd Mohamed Mzé, un indicateur du GIR, qui le fournit habituellement. Il l’avait pour ce coup, mis en relation avec Daniel Mohamed, un agent de renseignement du GIR.
Ce dernier avait peu de temps auparavant évoqué au policier du GIR Jérémie Bouclet, une prise de contact avec un trafiquant de cocaïne connu sur la place, Fayçoil, basé à Anjouan, qu’ils veulent faire tomber. Il parvient à se procurer un échantillon le 2 décembre 2010, qui transite par le Maria Galanta. Daniel Mohamed va le remettre à Jérémie Bouclet qui demande un test de la substance. A deux reprises, l’échantillon vire au bleu, « c’est de la cocaïne », concluent les services. Mais de ce test, aucune photo, aucun procès verbal, aucun compte rendu au parquet, aucune trace ne subsiste, « et la livraison par le Maria Galanta aurait du se faire sous contrôle judiciaire », relève l’avocat général Robert Ampuy.
Des excuses pour une drogue remise en circulation
Une fois l’analyse effectuée, les échantillons seront perdus, « je ne sais plus ce que j’en ai fait », explique Jérémie Bouclet à la barre. L’enveloppe qui contient les 2 grammes de ce qui est présenté comme de la cocaïne, reste sur son bureau. «Nous avions beaucoup de travail, je n’ai jamais pu voir mon chef, le capitaine Gauthier, pour évoquer cette prise avec lui», indiquera-t-il à la barre. Une prise dont il s’était pourtant déclaré très satisfait, «parce que je souhaitais montrer au parquet qu’il y avait bien de la drogue dure à Mayotte. »
Partant en vacances, et pressé par Daniel Mohamed de restituer le produit parce que Fayçoil se faisait menaçant, le policier appelle son collègue du GIR, le gendarme Daniel Papa pour qu’il récupère l’enveloppe, et la rende à Daniel Mohamed, afin que la drogue retourne à l’envoyeur. Ce dernier obtempère, « sans savoir ce qu’il y a dedans », réaffirme-t-il.
Jérémie Bouclet, fait son mea-culpa à la barre, plaide la négligence pour n’avoir pas suivi de procédure et remis la drogue sans garantie de destination. Car Daniel Papa remet l’enveloppe à Daniel Mohamed, qui sera mis en contact avec Mathias Belmer, et on connaît la funeste suite.
Une enquête sous pression
Sauf que les deux substances ne correspondent pas, «le GIR dans son entier tente de masquer la vérité», accuse Mansour Kamardine, qui déplore le départ précipité du préfet Derache, et parle aussi de collusion entre le préfet Degos, « qui fera un saut de 48h sur l’île avant de prendre ses fonctions » et le procureur de l’époque, « pour qu’il assiste à toutes les audiences, et s’oppose à la mise en examen des agents ». On se souvient des pressions du général de gendarmerie Véchambre sur ce même point, « et pour étouffer l’affaire, la délocaliser, et déstabiliser le juge d’instruction Karki. »
«Une théorie du complot qui ne tient pas», pour Robert Ampuy qui rappelle que c’est la Cour de cassation, «notre plus haute juridiction qui demande la délocalisation pour apaiser le climat et ne pas ralentir l’affaire», qui mettra 5 ans à être bouclée. Il regrettait qu’au lieu de remettre la drogue en circulation pour calmer la filière, le policier n’ait pas utilisé le fonds de rémunération des indics permis par la loi Perben 2.
En guise de réquisitoire, il reprendra le témoignage de Daniel Mohamed, lui donnant donc là un certain crédit, et aggravant les cas de Jérémie Bouclet et Daniel Papa. «C’est le même produit qui a été remis en circulation par Daniel Papa et revendu à Belmer», affirme-t-il. Ce qui équivaut à dire que le GIR a été négligeant, voire dissimulateur sur la substance de drogue. «Et Daniel Papa n’ignorait pas le contenu de l’enveloppe», avait rajouté Daniel Mohamed. L’analyse des écoutes confirme ces dires.
« Un affaire sans suite pénale », aurait préconisé au départ le juge d’instruction
Pour le procureur, il y a bien homicide involontaire de la part des trois hommes. Pour Saïd Mohamed M’zé, «qui a agi comme un revendeur de drogue», et parle de manquements de la part de Jérémie Bouclet et Daniel Papa, «or la faute qualifiée est constitutive d’un homicide involontaire.» Il requiert les mêmes peines que son collègue de première instance.
C’est Me Morel, avocat des deux prévenus, qui va apporter des éléments nouveaux. Il rappelle les quatre points qui avaient constitué sa défense en première instance. Le poids tout d’abord: « après les test au GIR, il ne restait qu’un gramme de produit, or, Belmer a bien acheté 1,9 gramme de drogue ». Le prix ensuite, acheté en décembre 100 euros par Daniel Mohamed, la drogue est revendue 200 euros à Belmer. Le calendrier ensuite: « Comment un toxicomane comme Belmer aurait pu acheter de la cocaïne le 23 décembre 2010 et la garder 3 semaines, alors qu’il y avait les fêtes de fin d’année? » La couleur ensuite, certains parlent de blanc cassé, d’autres de gris-marron, « de toute évidence, on ne parle pas de la même substance. »
Mais il va surtout souligner que lorsque Bouclet et Papa sont entendus, on ne sait pas encore de quoi Roukia est morte: « Ils parlent de cocaïne avant même que l’on sache que l’héroïne l’avait tuée. » Évacuant là toute collusion des services du GIR.
Enfin, sa charge la plus lourde, il va la réserve au magistrat instructeur, Hakim Karki. Un élément nouveau, rapporté par le lieutenant colonel qui dirigeait la gendarmerie de Mayotte, Thomas Bourgerie, au procureur Philippe Faisandier : « le juge d’instruction a dit que même si cette affaire n’aurait pas dû avoir de suite pénale, la déclaration de guerre de la gendarmerie au ministère de la Justice l’obligeait à sortir l’arme nucléaire. »
On ne saura jamais si le GIR a fait preuve de négligence coupable ou d’une culpabilité non négligente.
Le délibéré sera rendu le 30 juin.
A.P-L.
Le Journal de Mayotte