Ce n’est ni un, ni deux « référé-suspension » qui ont été examinés par le tribunal administratif, mais bien trois. Tous concernent l’arrêté préfectoral « portant évacuation et destruction des constructions bâties illicitement au lieu-dit Doujani, commune de Mamoudzou ». Au total, ce sont cinq requérants accompagnés, à chaque référé, par la Ligue des Droits de l’Homme qui ont été amenés, en la personne de maître Marjane Ghaem, à soutenir la demande d’annulation de l’arrêté préfectoral. Reprenant l’article de la loi ELAN pouvant ordonner par arrêté préfectoral la mise en place d’opérations de décasage, l’avocate pointe deux lacunes du législateur quant à l’absence de définition relative à deux termes clés.
Les zones d’ombre de la loi ELAN
Au regard d’un « texte tellement mal écrit », souligne l’avocate, le législateur laisse la discrétion au « préfet d’interpréter la notion d’ensemble homogène » conduisant à la délimitation des périmètres concernés par la résorption de l’habitat insalubre. Or précise-t-elle, « le conseil constitutionnel rappelle que la loi est une garantie contre l’arbitraire administratif ». En outre, cette absence de définition se retrouve également avec la marge d’interprétation planant autour de la notion « d’hébergement d’urgence adapté ». « Qu’est-ce qu’une proposition de relogement adapté ? », questionne l’avocate qui abonde « aucune des familles concernées ne sait, ne serait-ce que la date d’entrée dans les futurs logements ». Même constat pour la scolarisation des enfants. L’avocat expliquant qu’il a été proposé à une des personnes concernées une scolarisation pour son enfant « à une trentaine de kilomètres de l’offre de relogement ».
Une fois n’est pas coutume, des imprécisions pointées du doigt
La préfecture pour sa part s’est défendue en soulignant qu’un travail « dans la dentelle » avait été réalisé sur le terrain afin de proposer des solutions aux personnes concernées. Psylvia Dewas, experte de la résorption de l’habitat illégal, a néanmoins indiqué qu’on « ne peut pas contraindre les personnes d’être entendues » dans le cadre de ses entretiens. Que ces entretiens ont justement pour but de sonder les besoins des familles et que les opérations de démolition d’habitat sont entreprises que parce qu’il y a des capacités d’hébergement derrière. « Il ne s’agit pas de déloger les gens manu militari », informe-t-elle.
Or, note Me Ghaem, il n’y a aucune trace autre que verbale des notifications de la préfecture pour attester ou non du refus de la participation des habitants concernés par le périmètre de démolition. A ce titre, elle souligne que « normalement, c’est l’huissier, qui fait du porte à porte, qui constate avec un procès-verbal. On est obligé de croire la préfecture sur parole. Quid des notifications? Où sont les preuves des entretiens ? ». Si l’avocate entend souligner son souhait « de mettre un terme aux bidonvilles », elle questionne néanmoins le procédé actuellement mis en œuvre « Détruire pour détruire mais pour mettre où ? ».
Des opérations teintées de politique
Si dans le discours de certains politiques, bidonvilles et délinquance ne sont que les deux faces d’une même pièce, celle de l’immigration clandestine, l’avocate entend néanmoins indiquer, au cours de l’audience, que les personnes s’étant constituées pour les requêtes ne sont pas en situation irrégulière. L’intensification des opérations de démolition avait été notamment une des demandes des maires lors du comité de suivi des assises de la sécurité en septembre dernier. La décision du tribunal administratif est attendue dans le courant de la semaine prochaine.
Pierre Mouysset