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Prévention des grèves : la recette suresnoise de résolution des conflits appliquée à Mayotte

« Avant, nous faisions de la gestion de conflits en temps de guerre ! » Antuat Abdourroihmane chargée du Pôle ressource au CD pose le problème. En écho, Béatrice de Lavalette, parle du Dialogue social du 21ème siècle comme d’une entente où personne n’a rien à perdre. Une révolution imprimée par sa commune de Suresnes, qui devient une référence mondiale dans ce domaine.

Dans « L’Art et la Manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation », Georges Perec ne réalise pas seulement une prouesse de style en rédigeant un texte sans aucune ponctuation, il met en lumière les méandres hiérarchiques et les incompréhension qui sévissent au sein des entreprises et des administrations. Un remède à cela, le Dialogue social. En 2018, le président du conseil départemental de Mayotte Soibahadine Ibrahim Ramadani lance une mission sur le Dialogue social au sein de sa maison d’environ 3.000 agents. Il en était félicité ce lundi pour avoir ainsi pu désamorcer 15 grèves en 3 ans, pour illustrer le 1er jour d’un séminaire sur le sujet voulu par les élus départementaux.

L’enjeu est de prendre le même train que la ville de Suresnes, qui vivait au rythme de « un problème-une grève », et qui depuis n’a connu qu’une demi-journée de grève en 15 ans, « grâce au dialogue entre partenaires qui a débouché systématiquement sur des accords », et c’est le représentant CGT à la mairie de Suresnes, Youssef Ajdaini, qui le dit.

D’emblée, Bacar Achiraf, Chargé de mission Stratégies Territoriales au conseil départemental de Mayotte et Abdoul Kamardine, conseiller départemental de M’tsamboro, donnaient main dans la main le ton du Séminaire. « Nous l’avons préparé avec les Organisations syndicale et le Centre de gestion de Mayotte pour sensibiliser les agents et cadres du conseil départemental sur les enjeux du dialogue social afin d’améliorer le fonctionnement des services », rapportait le premier, alors que l’élu souhaite « que les services adoptent une culture du dialogue, pour sortir des affrontements stériles et des guerres de position. » Abdoul Kamardine se dit marqué par sa participation aux 9ème Rencontres du dialogue social de Suresnes, « nous sommes bien loin d’atteindre le niveau de cette ville en ce domaine ! »

Grève au CD en 2016 contre l’annonce d’un gel des indemnités

Révolutionner l’image d’une fonction publique poussiéreuse

Ces Rencontres sont organisées chaque année depuis 2013 à l’initiative de Béatrice de Lavalette, Adjointe au maire déléguée aux Ressources humaines, au dialogue social et à l’innovation sociale. Elles sont manifestement devenues incontournables, à la fois sur le plan national et international, puisque l’Organisation Internationale du Travail de l’ONU est venu en audit dans cette municipalité des Hauts-de-Seine, et parle d’un modèle « réussi et transposable », d’autres pays s’en inspirent depuis.

Et Béatrice de Lavalette, qui fut également conseillère de plusieurs ministères, est à Mayotte pour prêcher sa réussite en terme de dialogue social sur les deux jours de Séminaire. Autant dire qu’elle le porte en elle, et quasiment comme un étendard tant ses propos sont énergiques  et passionnés : « C’était grève sur grève quand je suis arrivée à Suresnes, on a vite compris qu’il ne fallait rien attendre des dispositifs inadaptés sortis des cabinets ministériels. En 15 ans, nous avons changé le prisme. Si en sortant de la table de négociation, une partie a l’impression d’être sortie gagnante, à terme, le conflit repartira. » Si elle sourit quand les observateurs lui rétorquent qu’elle a une position de syndicaliste lorsqu’elle martèle, « il n’y a pas de travail de qualité sans bonne conditions de travail », elle objecte, « non, celle d’un employeur responsable. »

Il en va de l’avenir du secteur public, selon elle : « On entend souvent que la fonction publique, c’est ringard, que les fonctionnaires ne travaillent pas, c’est l’inverse, mais il faut avoir de beaux projets avec des cadres qui relaient. » Un discours censé décrypter pour les participants venus en nombre dans l’hémicycle Younoussa Bamana, la position à adopter, anti-partisane.

Suresnes s’affiche comme un laboratoire d’innovation en terme de Ressources Humaines, « on me dit que nous avons 20 ans d’avance. » Des grands groupes comme AXA s’y intéressent, ainsi que des grosses municipalités, Paris, Marseille ou la Martinique, viennent y prendre des conseils avisés, et donc d’autres pays.

Des fruits pas encore mûrs

Hamidou Madi M’colo et Salim Nahouda (au micro), saluent l’initiative du CD

Dans l’hémicycle, quelques voix se font méfiantes, attendant « des actes », comme l’indiquait Balahache, secrétaire départemental de la CFDT, mais deux poids lourds de la grève de 2011, Hamidou Madi M’colo, Trésorier de l’UDFO Mayotte et Salim Nahouda, secrétaire général de la CGT Ma, « saluent l’initiative », quasiment d’une même voix, « vous pouvez compter sur notre engagement sans faille pour cette action qui se veut rassembleuse », notait le premier, tandis que le cégétiste soulignait que « Mayotte à besoin de dialogue social pour son évolution », et attendait que ce séminaire « porte ses fruits ».

Les fruits, on le comprenait à l’issue de la matinée, tomberont sous l’effet de l’action de tous, comme le décortiquait Béatrice de Lavalette : « Notre méthode est de tout concerter en amont, avant de rencontrer les instances. Quand un point bloque, on l’écarte momentanément, et on y revient plus tard. Le dialogue social, c’est une finalité, ça ne doit pas être vu comme un coût, mais comme un investissement. Partout c’est un indicateur de performance, sauf en France, qui est 92ème de la liste des pays qui l’utilisent.

Derrière la Suède, le Danemark, la Finlande. Et nous sommes seulement 15ème en terme de compétitivité et d’emploi. C’est lié. »

L’image syndicale dégradée

Christiane Ayache (en orange) et Antuat Andourroihmane évoquent un contexte compliqué au CD, qui nécessite des échanges « dans la transparence »

Et à en croire la spécialiste, nous partons vraiment de très bas en terme de confiance : « Si les français souhaitent à 86% un dialogue social constructif et apaisé, et 5% conflictuel, l’image des syndicats est très mauvaise. 45% n’ont confiance dans aucune centrale syndicale. On est le dernier pays en terme de salariés syndiqués derrière la Hongrie. »

Des débats à porter sur la scène nationale. La quasi-obligation de se syndiquer comme c’est le cas dans les pays nordiques où les allocations chômage et d’autres prestations sociales sont versées par le syndicat, mettrait sans doute en avant des leaders syndicaux compétents, ce qui n’est pas toujours le cas en France. « Pour nos leaders syndicaux dont certains ont un niveau de 5ème, nous avons mis en place des formations à Science Po. Quand on monte en compétence, on négocie mieux ensemble », est convaincue l’élue de Suresnes.

Les agents du conseil départemental pourront sans doute compter sur la nouvelle DGS, Christiane Hayache, qui affiche des prétentions en matière de dialogue social : « Je n’ai jamais vu une administration aussi éclatée sur plusieurs sites. Ce qui éloigne les agents du management et du sentiment de reconnaissance. Avec des problématiques de gardiennage notamment, dont le budget a été multiplié par 4, et qui demandent de faire du cas par cas. De plus, nous avons de nombreux chantiers, comme le Régime indemnitaire de la fonction publique, qui impliquent de faire de la pédagogie pour que tout le monde comprenne bien de quoi il s’agit, avec un mot d’ordre, de la transparence, dans un parler vrai et franc. » Un défi considérable qui implique de changer les mentalités.

Différents domaines sont abordés lors de ces deux jours de séminaire, dont l’égalité homme-femme et les politiques d’accompagnement du handicap.

Anne Perzo-Lafond

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