Les images des ukrainiens en guerre allant s’approvisionner avec leurs bouteilles dans des citernes sous le regard apitoyé des caméras du monde entier a fait tristement référence ici aux coupures hebdomadaires. L’apothéose a – pour l’instant – été atteint en 2020 à Mayotte, quand les gestes barrières imposés par le Covid se heurtaient à des robinets vides. La bascule, c’est en 2016, inaugurant un cycle de crises successives. A l’époque, c’est la ressource qui manque, les retenues sont quasiment à sec, puis les errements du Sieam n’ont pas permis de doter l’île de capacités de production et de stockage suffisantes.
On connait la forte résilience de la population mahoraise. Des décisions qu’on laisse trainer en turnover néfaste chez les institutionnels, on conserve un pont Bailey initialement provisoire, on a laissé s’éterniser les travaux du pont de la Kwale et l’usine de dessalement en prenait le chemin. L’accès à l’eau est sur le même mode non fluide.
Une fois démontrée l’incapacité à gérer de la précédente équipe du Syndicat des Eaux, les habitants s’attendaient à voir les choses bouger. La nouvelle présidence s’est engagée à la transparence, ce qu’ils ont fait en expliquant que la ressource était au rendez-vous, pas la capacité de l’acheminer jusqu’au robinet, faute d’investissements, on attend donc les avancées dans le développement d’infrastructures devenues obsolètes.
La population n’en peut plus d’entendre parler de « réservoirs de tête » vides, et soupçonne que d’autres, de têtes, le soient aussi.
En démarrant sa tribune par « De nouveau, de nombreux Mahorais ne pourront se laver demain ! », Mansour Kamardine inaugure un catalogue intemporel. On pourrait en effet poursuivre avec, « de nombreux Mahorais subiront des embouteillages demain », ou encore, « de nombreux mahorais seront victimes de caillassages demain », etc. Comme un inventaires des investissements à mener.
Des dizaines de millions évaporés au robinet
Les coupures d’eau tombent comme un couperet touchant toutes les zones de l’île, au gré d’insuffisantes capacités de production, de casses par des entreprises du BTP, ou autres. L’argumentaire de la SMAE ne sait plus où puiser, on l’a vu ce week-end avec des coupures justifiées par un rééquilibrage nécessaire… à la suite de coupures. L’excellent site satirique Comorafi l’illustrait en décrivant une « Soirée noire à la SMAE suite à des affrontements entre des tuyaux d’alimentation et des évènements fortuits ». Les alertes tombant comme une dépêche AFP quelques minutes avant la fermeture du robinet, obligent les médias à un qui-vive permanent pour informer au plus vite la population.
Pour le député la digestion sans eau est d’autant plus difficile qu’il avait contribué à faire adopter un amendement au Projet de loi de Finances 2023 pour l’Outre-mer parmi tous ceux de l’opposition, « pour abonder les crédits dédiés à l’accès à l’eau ». Mais le gouvernement avait averti de l’utilisation du 49-3, les rendant caduques. Ce n’est pas pour autant que nous manquons de moyens.
Car, des plans et projets censés traiter en catastrophe la situation, il y en a eu. En 2017, le Plan urgence eau de la ministre Ericka Bareigts, pour contrer ce qui était alors une pénurie de la ressource, prévoyait 5,5 millions d’euros au titre du fonds exceptionnel d’investissement, doublé des crédits dédiés du Plan Etat-région, de crédits européens, et d’un emprunt de 46 millions d’euros contractualisé avec la CDC. Puis ce fut le Pacte eau annoncé par le préfet Colombet avec fin des coupures annoncées en 2025.
Si l’interconnexion Nord-Sud a été bouclée, ou des forages menés, à quoi ont servi ces millions promis ? On sait que la mandature Bavi dont la gestion intéresse la justice, n’a pas investi dans l’accroissement des capacités de production, mais un comité de pilotage avait été imposé avec la présence notamment de la DEAL. Pour quelle efficacité ?
La 3ème retenue attend toujours sa DUP
Lors de sa venue à Mayotte, l’actuel ministre Carenco a de son côté annoncé un contrat de progrès de 411 millions d’euros, ne cachant pas son agacement au micro de l’Assemblée la semaine dernière à la suite du dépôt d’amendements demandant des crédits pour l’eau, fustigeant « de l’argent facile pour Mayotte », sous-entendant qu’il n’y avait pas de capacité à les consommer.
Les faits ne peuvent que lui donner raison, mais c’est cela que la population reproche, soutient Mansour Kamardine que nous avons contacté, « comme ses prédécesseurs, le ministre peut annoncer les millions qu’il veut, tant que l’Etat ne nous donne pas les moyens de les consommer, cette manne reste à Paris, et les Mahorais n’ont toujours pas d’eau. »
Il prend pour exemple la fameuse 3ème retenue collinaire, que nous baptisons depuis 10 ans, l’Arlésienne. Le président du Syndicat des eaux de 2017 Bavi, avait communiqué sur un déblocage du foncier, une velléité, puisque rien n’a bougé. Mansour Kamardine assure que le président Bavi a déposé une DUP (Déclaration d’Utilité Publique) conduisant à l’expulsion des propriétaires, mais que la préfecture n’aurait pas donné suite. Nous avons donc contacté les services de l’Etat. Qui nuancent : « Le président du Syndicat des Eaux avait bien déposé une DUP, mais nous lui avons répondu qu’il manquait des éléments qu’il ne nous a jamais fournis par la suite. Si la nouvelle équipe veut relancer le dossier, bien sûr, nous suivrons ».
Désamour pour la SMAE et le SMEAM
Le député rappelle également le combat pour l’extension de l’usine de dessalement confiée « avec forcing », par la préfecture à Vinci, « qui s’est montré incapable en 5 ans de respecter ses engagements ». Des dysfonctionnements majeurs avaient en effet bloqué la production d’eau potable, liés à la mauvaise localisation de la zone de prélèvement de l’eau salée. L’engagement de la rendre opérationnelle fait par Vinci au préfet Colombet devant les médias n’a pas été tenu. Une nouvelle enveloppe de 4 millions d’euros a été débloquée par l’Etat en août dernier, pour une livraison « fin 2023 », indiquait alors la préfecture, avec une production visée de 4.700 m3, relevant la production actuelle (environ 37.000 m3) de 12%.
Parmi les usagers, certains envisagent une action en justice. L’un d’eux, pour avoir payé en 2021 la taxe sur la collecte et le traitement des eaux usées SMAA et SMAE, 176 euros, or, « à raison de deux jours par semaine sans accès à l’eau, 104 jours me semblent devoir être décomptés, je vous demande donc de bien vouloir me rembourser la somme de 50,31 euros ». Rebelote en 2022, où il demande 200 euros.
Pour autant, le président du Syndicat Mixte d’Eau et d’Assainissement de Mayotte, devenu Eaux de Mayotte, Fahardine Ahamada l’a assuré lors de la signature du nouveau contrat de progrès de 411 millions d’euros en août 2022, malgré les déboires quotidien, il faut garder confiance: « Mon objectif et celui de mes collègues élus depuis 2020, c’est qu’à l’issue de ce contrat de progrès 2022-2026 il n’y ait plus de pénurie d’eau pour la population mahoraise ».
Pour l’instant, les réserves sont constituées de deux retenues collinaires et de prélèvements en rivière (70% de la production), de 25 forages (32% de production), de l’usine de dessalement (6%), et pour le traitement, de six unités de potabilisation. Si les capacités des réserves sont à accroitre, c’est surtout celles qui permettent de potabiliser et de stocker l’eau qui doivent connaitre des investissements.
L’horizon sans coupure ne se dessinerait donc pas avant 2026. La mise en place d’un Office de l’eau à Mayotte annoncée et demandé par le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion du territoire, qui répondait à une question du député Kamardine, correspond à un alignement sur le droit commun. Il devra définir ses périmètres d’intervention pour un partage des tâches avec le syndicat Eaux de Mayotte.
Mais puisque l’accès à l’eau est un droit, si les structures actuelles ne peuvent le garantir, les habitants seraient en droit d’exiger la mise en place permanente de citernes dans chaque commune ou une distribution de bouteille aux usagers lésés.
Anne Perzo-Lafond