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M.-A. Poussin-Delmas : « De bonnes prévisions de croissance pour Mayotte, mais le secteur privé peine à recruter »

C’est la 3ème fois que nous interviewons Marie-Anne Poussin-Delmas. Une présidente de l’IEDOM abordable qui évoque avec nous ce qui empoisonne la vie des entreprises, dont les délais de paiement et l'insécurité, mais aussi, des éléments plus réjouissants liés à la conjoncture actuelle.

Contrastant avec la morosité sociale ambiante à Mayotte essentiellement entretenue par le poids de l’insécurité, le dynamisme économique ne laisse pas de surprendre. Après chaque crise sociale, après chaque confinement, comme si de rien était, et même avec une vigueur renouvelée, l’économie repart. Mayotte est un territoire « résilient » nous explique régulièrement l’IEDOM. L’Institut d’Émission des Départements d’Outre-mer accueille comme chaque année sa directrice générale. L’IEDOM au double sas d’entrée, ressemble toujours à un îlot déserté dans la rue de la préfecture. Il n’en est rien, nous garantit son nouveau directeur local, Patrick Croissandeau, qui compte bien relancer la machine après deux ans de silence feutré.

Ces deux dernières années, l’IEDOM s’est fait discret. Votre activité a-t-elle été impactée par les confinements ?

Marie-Anne Poussin-Delmas : Pas tellement. Nous avons d’ailleurs pu, malgré la suspension des vols, continuer à approvisionner les territoires ultramarins en billets et en pièces, c’était vital étant donné la forte consommation de cash de ces territoires ultramarins. Nous avons également poursuivi nos bulletins sur la conjoncture et les mesures de soutien public. Les Prêts Garantis par l’Etat ont été massivement souscrits sur l’ensemble des Outre-mer, avec 84 millions d’euros versés à 500 entreprises environ.
Pour les particuliers, nous avons développé l’utilisation de nos services en ligne sur les trois majeurs que sont le droit au compte, l’accès au crédit et les incidents de paiement liés au surendettement. Depuis le 1er janvier dernier, les particuliers peuvent déposer en ligne leurs demandes d’aide pour le surendettement*. Mais nos guichets restent ouverts bien sûr**.

Sur un territoire où 77% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté, l’accès à l’ouverture d’un compte est parfois très compliqué. D’autre part, les décisions en matière de crédit se prennent à La Réunion, où les établissements ont leur siège social, rallongent les délais, a souligné Hervé Mariton dans nos colonnes. L’IEDOM a un rôle à jouer, non ?

Marie-Anne Poussin-Delmas : D’un côté, tout établissement bancaire a le droit de refuser l’ouverture d’un compte en s’appuyant sur la réglementation de connaissance du client, son lieu de résidence, etc., qui a été durcie par les règles de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Mais d’un autre côté, toute personne résidant sur le sol français a droit à un compte. Notre rôle est de désigner un établissement de crédit qui peut fournir les services de base. Mais il faut pouvoir justifier de l’origine des fonds, puisque les paiements en espèce ne peuvent excéder 1.000 euros. C’est compliqué en raison de la forte proportion d’économie informelle ici.
Sur la frilosité des banques, cela ne se traduit pas par les chiffres, puisque les crédits à la consommation ont augmenté de 11,8% sur 12 mois au 1er juillet 2021. Mais en cas de refus de crédit, les entreprises doivent contacter notre service de médiation***.

Patrick Croissandeau : Il y a aussi dans ce secteur un besoin de compétences, qui donnerait une plus value au traitement des dossiers.

IL FAUT QUE LA CONFIANCE SOIT LA

Quelles sont les prévisions de croissance à Mayotte ?

Marie-Anne Poussin-Delmas : Le contexte est particulier, ce sont les périodes de confinement qui dictent les tendances. Dans l’Hexagone, on évoque une forte reprise économique, mais c’est un rattrapage de la récession. Or, on avait chuté de 7,9% et pour l’instant, la croissance est de 6,3%. Les Outre-mer ont mieux supporté étant donné le fort poids du secteur public. C’est le cas à Mayotte, qui n’a d’autre part pas été aussi atteinte que les autres par les confinements qui ont été partiels ensuite. La chute ayant été atténuée, le rebond sera moins fort qu’en Hexagone. Pour autant, les plans comme France relance ont bien démarré, on s’attend donc à une bonne croissance pour Mayotte, d’autant que la consommation est le principal moteur. Le bémol, c’est la difficulté à recruter dans le secteur privé, étant donné les salaires concurrentiels dans le public qui paie mieux.

L’insécurité pèse aussi sur les recrutements et le développement économique…

Marie-Anne Poussin-Delmas : Cela a un impact important même, car lorsque les entreprises veulent lever des fonds, les startups s’adressent aux investisseurs hexagonaux ou étrangers qui sont freinés par l’environnement sécuritaire. Si on veut que le secteur privé prenne le relais des transferts publics, il faut que la confiance soit là. L’image que l’on va donner du territoire est également importante, et les médias ont un rôle à jouer.

On semblait être sur la bonne pente d’un raccourcissement des délais de paiement qui soulageait les entreprises. Est-ce toujours le cas ?

Marie-Anne Poussin-Delmas : Pas du tout. C’est le serpent de mer de l’Outre-mer, et Mayotte est en queue. Les entreprises n’arrivent pas à se faire payer par leurs clients dans les délais, donc elles paient leurs fournisseurs en retard. Les délais de paiement client sont de 43 jours en métropole, de 60 jours en outre-mer et de 74 jours à Mayotte. Quant aux délais de règlement des fournisseurs, ils sont de 44 jours en métropole et de 72 jours à Mayotte, alors que légalement ils ne doivent pas dépasser 60 jours. La charge pour la trésorerie des entreprises est de 25 jours à Mayotte, quasiment un mois d’activité, là où il est de 15 jours dans les autres DOM et de 11 jours sur l’ensemble du territoire national.
Pour comprendre les raisons, il faut regarder la détérioration des délais du secteur public local, c’est à dire des collectivités. Ils étaient de 40 jours en 2020 où Mayotte était parmi les bonnes élèves ultramarines, et actuellement, ils sont de 56 jours… Un signe que les finances des collectivités se sont dégradées, sans doute en lien avec les campagnes pré-électorales de 2020 et les possibles alourdissements de la masse salariale.
Et encore, lorsqu’on évoque ces 56 jours avec les chefs d’entreprise, ils seraient presque demandeurs, ‘c’est beaucoup plus’, se plaignent-ils.
La solution passe par la dématérialisation en cours. En déposant les factures sur la plateforme Chorus, cela devrait contrer la grande lenteur des processus administratifs. Le ministre des PME, Alain Griset, a annoncé prochainement une opération de transparence sur les délais de paiement.

Propos recueillis par Anne Perzo-Lafond

* Pour effectuer cette demande, cliquer ici

** Ouverture de l’IEDOM les mardi et jeudi matin 8h-12h
*** 0269 61 05 05

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