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Inciter les lycéens mahorais à décrocher Sciences Po, un des combats d’Angèle Selemani

Rien ne semble arrêter la jeune lycéenne de Sada, fraichement admise à Sciences Po Paris. Angèle Selemani a avalé les années de collège et de lycée à Sada, et ancre sa détermination dans la défense des intérêts de Mayotte.

C’est la période vertigineuse de l’après Parcoursup qui commence pour tous les lycéens qui ont obtenu des réponses sur leur orientation. La bascule grisante vers la vie étudiante pour beaucoup. Parmi eux, 5 jeunes ont obtenu leur affectation vers la filière Sciences Po sur l’ensemble de l’île, nous rapporte le rectorat, et étant donné le système de vases communiquant des validations, d’autres actuellement sur liste d’attente, pourraient les rejoindre. Nul doute qu’ils auront décrypté les législatives de prés.

Issus du lycée Bamana et de Petite Terre, ils sont trois à prendre la direction de Sciences Po Grenoble, et un à l’IEP de Bordeaux. Un et non pas deux, puisque Angèle Selemani, lycée de Sada, qui y était initialement prise, a finalement été acceptée à Sciences Po Paris, campus de Reims. C’est une lycéenne nageant dans le bonheur que nous avons interviewée.

Et ce n’est pas par hasard si elle arrive à ce résultat, mais c’est l’aboutissement d’un engagement permanent. La jeune fille avait été choisie pour représenter Mayotte au sein du lycée d’Europe, composé de 82 lycéens issus des 27 pays de l’Union.

Alors que la France a pris la présidence du Conseil de l’Union européenne, jusqu’à ce 30 juin 2022, 26 professeurs issus de 26 pays de l’Union ont réfléchi à la construction d’une société européenne qui partage une histoire, des cultures et des modes de vie, des enjeux et des défis politiques communs. L’ambition du lycée d’Europe est de créer un rendez-vous annuel à l’attention de ces lycéens européens, pour renforcer leur connaissance de l’Union et développer un sentiment d’appartenance.

Elle participe aux côtés de trois autres lycéens européens, au clip du ministère de l’Education nationale

« L’auberge espagnole » à Paris

Un petit clip a d’ailleurs été monté par le ministère de l’Education nationale, reprenant quelques ambassadeurs, dont notre lycéenne de Sada. Elle y tient un langage volontariste sur l’appartenance européenne à l’intention des autres pays, « le sentiment d’appartenance européenne est très peu présent sur mon petit territoire de Mayotte, je travaille à le promouvoir », explique-t-elle aux côtés de Vlad de Roumanie, de Juan, d’Espagne ou de Safa du Luxembourg, tous 18 ans comme elle. Ils parlent de pluralité, de richesses des valeurs, d’égalité des chances.

Et à l’issue des confinements, ils étaient 82 à avoir pu se rencontrer lors d’un week-end à Paris, les 7 et 8 avril 2022, « une rencontre riche en ouverture d’esprit, nous avons pu comparer les méthodes d’éducation, complètement différentes d’un pays à l’autre, comme les programmes et l’organisation des heures de cours. » Les travaux qu’ils ont menés ont été déposés à l’Assemblée nationale, « devant notre ministre Jean-Michel Blanquer », et managés par le recteur de Strasbourg.

C’était un premier bain, « c’est un avant-goût de mes études puisque je viens d’être admise à Science Po Paris, sur le campus de Reims, dans le cadre du programme Europe-Afrique ! » Il est dédié aux enjeux du continent africain, sous l’angle des sciences sociales et de sa relation avec l’Europe.

« La difficulté ici, c’est de suivre une scolarité normale ! »

La jeune lycéenne animait à Sada une conférence sur l’Europe

Une ambition qu’elle avait en pointillé : « Cela fait longtemps que j’entends parler de Sciences Po, car c’est une des voies de formation des élites françaises. Mais je ne m’étais pas imaginé y arriver en venant de Mayotte ! » C’est son professeur de Sciences économiques et sociale au lycée de Sada qui l’incite à postuler lorsqu’elle est en 1ère, « mais dès la 3ème, j’ai décidé de faire des grandes études. »

Ses parents, lui mahorais et elle normande, également la région de naissance de la lycéenne, tiennent un restaurant non loin de Sada. Elle arrive à Mayotte en CM2, « dans une école publique », croit-elle bon de rajouter, et poursuit au collège puis au lycée de Sada.

Elle met cette expérience en perspective de sa réussite : « Nous sommes tous confrontés à une difficulté à Mayotte, celle de suivre une scolarité normale. Et justement, c’est anormal qu’on ait peur de prendre le bus à cause des violences. Mon objectif c’est d’arriver à peser sur les décisions un jour, pour avoir un impact sur le développement de Mayotte. Tous les élèves qui intègrent Sciences Po, le font pour changer les choses. Moi, je fais le rêve démesuré de pouvoir le faire pour Mayotte. Ici, c’est un laboratoire. »

Sciences Po, une école d’élite (Photo : D.R.)

Et elle souhaite commencer dès maintenant. « Le lycée de Sada va évoluer vers une convention d’éducation prioritaire pour Sciences Po, mais de mon côté, je compte monter une association sur le campus de Reims, pour stimuler les envies d’élèves à Mayotte. C’est si difficile d’avoir cours normalement ici, qu’il ne faut pas brader nos résultats. J’ai vu qu’une année à Londres, ils étaient 60 à postuler pour Sciences Po, nous ici, nous sommes trop peu à l’avoir demandé ».

Angèle Selemani se prépare pour l’instant à passer sa philo le 15 juin et le Grand oral le 22, « les spé en mai ses sont très bien passées ». A peine les résultats seront-ils connus le 4 juillet, qu’elle s’envolera pour Reims, en regardant déjà plus loin, « après, je pense que je tenterai l’ENA, enfin l’INSP maintenant, pour être utile ensuite à Mayotte ! »

Anne Perzo-Lafond

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