Un sapin de Noël est-il un symbole religieux ? Le châle tombe-t-il sous le coup de l’interdiction du voile à l’école ? Quelle frontière entre le culturel et le religieux « ostentatoire » ? Et quel sens donner à la laïcité à l’école ? Ce sont en substance les grandes interrogations soulevées durant les deux heures de débat qui se sont tenues entre des élèves du lycée de Sada, le recteur et deux experts en laïcité de l’Education nationale.
« La liberté s’arrête quand elle empiète sur celle du voisin » a rappelé en préambule le recteur Gilles Halbout, pour qui l’interdiction du voile répond à la nécessité de ne pas « être repéré par son appartenance à une religion, ce serait contraire au vivre ensemble. Il faut éviter une sorte de norme où on se dirait, est ce que je suis habillé comme il faut ? Ce n’est pas qu’une question de religion (…) Ce qui est important aussi, c’est que le groupe ne doit pas s’imposer à un individu, si tout le monde s’habille de la même manière, celui qui voudra s’imposer subira le poids des autres. C’est la raison pour laquelle l’école, là où on apprend à vivre ensemble et à faire nation, c’est pour cela qu’on évite à l’école tout signe qui puisse mettre une pression aux autres ».
Pourtant le sapin de Noël installé dans l’entrée du lycée, bien que d’origine païenne, reste associé à une fête chrétienne. « Moi ça me choque » tient à souligner une élève. Tout comme l’interdiction du port du « voile », massivement rejetée par les élèves présents. Pourtant, les châles portés par la plupart des filles de l’auditorium ne seraient pas tolérés dans un établissement de métropole, et les foulards blancs ou noirs couvrant les oreilles de nombreuses lycéennes sont déjà éloignés du kishali bariolé et ample, cher à la femme mahoraise. Qu’importe, pour Samantha, élève de terminale. Ce qui compte pour elle, c’est d’éduquer pour vivre ensemble dans le respect. « Dans l’établissement, certains portent le voile, certains portent le châle, certains montrent leurs cheveux, mais tout le monde se respecte, je pense que quand il y a de la haine, il faut éduquer, pourquoi interdire le voile dans le lycée ? » s’interroge-t-elle.
Anli Boura, professeur d’histoire, lui répond. » Le prosélytisme peut être actif, mais aussi passif : porter un signe religieux devant des jeunes en pleine construction, c’est une manière passive de prosélytisme, car on se réfère toujours à une référence, au groupe (…) C’est juste une question de loi et de règles qu’on a tous acceptées, c’est l’état de droit, c’est tout ». Et de rappeler que lors de sa propre scolarité à Mayotte, les foulards étaient presque inexistants dans les établissements scolaires. « Quand j’étais lycéen, je vous assure qu’il n’y avait pas une élève qui portait le voile dans l’établissement ».
Non au voile, oui aux Nike, quid d’un hijab Nike ?
Un garçon intervenait alors pour sortir le débat du religieux. « C’est comme les Nike alors, en porter incite les autres à en mettre aussi ». « La différence c’est que Nike n’est pas une religion, donc Nike ne peut faire du prosélytisme » lui rétorque un enseignant. C’est vite oublier que la célèbre marque avait sorti, en 2017, un hijab spécial sport. Son port par une élève serait-il considéré comme du prosélytisme ?
Autre point de questionnement, voire de crispation pour certains, la décoration du lycée avec des guirlandes, sur un sapin dans l’entrée, sur des cactus dans la cour. Une initiative des lycéens élus pour « animer le lycée où il ne se passe rien ». « Des personnes ont pris l’initiative de mettre des guirlandes, c’est l’aspect commercial, des élèves ont fait une proposition que j’ai agrée, lorsqu’il y aura l’Aïd, l’établissement est prêt à accepter des décoration, mais pas des textes religieux » a explique le proviseur. Le sujet est pourtant revenu plusieurs fois dans les questions, suscitant des applaudissements à chaque fois.
« Le proviseur dit que les guirlandes c’est commercial et festif,, mais Noel fait partie de la religion chrétienne, on a du mal à se dire que ce n’est que commercial » a notamment commenté un jeune homme de terminale, acclamé par ses camarades. L’occasion était d’or pour le recteur, qui a rebondi sur ce phénomène pour évoquer la question liminaire du prosélytisme passif. « Quand vous applaudissez, c’est parce que vous défendez votre liberté. Mais pensez que demain, si dans un lycée on laisse cette liberté de montrer sa religion, ça peut être vécu comme une agression pour d’autres, il faut faire attention à cela. On est tolérants, mais on met des bornes. pour un élève qui ne sait pas, qui s’interroge sur sa religion, ça peut être très agressif, il faut faire attention à vos réactions. Certains ont une pression de la famille et trouvent dans l’école un lieu où ils n’ont pas le poids de cet environnement. C’est pourquoi à l’école il faut garantir un maximum de neutralité. »
Et ce dernier de rappeler que la laïcité à l’école n’est pas récente, et encore moins anti-musulmane. « Il faut se rapporter à l’histoire pour comprendre pourquoi à un moment on veut éviter certaines dérives. A l’origine de l’école laïque, la laïcité était plutôt tournée contre le catholicisme, car l’enseignement était alors principalement catholique, c’était alors très difficile de dire qu’on ne croyait pas ou qu’on pratiquait une autre religion. Si on a formé ces principes de la laïcité, c’est pour donner cette liberté , une liberté que vous avez aujourd’hui d’être musulmans, ou de ne pas l’être ».
« C’est normal de poser des limites, si la liberté n’a pas de limites on va empêcher ses camarades d’avoir leur propre liberté » abonde Salama, déléguée.
Enfin une de ses camarades invitait à faire davantage confiance aux lycéens, tout en éduquant, en prenant pour exemple la liberté vestimentaire en vigueur à la fac. « Je propose un développement de la laïcité, ce n’est pas un élève de primaire qui viendra à l’école avec un voile si on ne lui a pas imposé. Ce n’est pas à l’école que la laïcité pose problème, c’est à l’extérieur qu’il faut une éducation. Dans les écoles primaires et les collèges, il faut expliquer, et au lycée ne pas imposer, il faut bien préciser ce que c’est que la laïcité et appliquer les mêmes règles aux lycées et aux universités ».
Un professeur suspendu
Les échanges se sont poursuivis au delà des deux heures, une fois le recteur parti, entre les étudiants et les enseignants présents. L’occasion de prendre conscience de l’immense liberté accordée à Mayotte par rapport au reste du territoire. Une élève portant un kishali décoré de symboles musulmans aurait-elle pu le porter ailleurs qu’à Mayotte ? L’Aïd et Maoulida sont-ils fériés en métropole ? Non. Un sapin coloré est-il de nature à ébranler la foi des élèves ? Sans doute pas non plus. C’est sans doute là le cadre qui fait de Mayotte un exemple pour la République dans son ensemble : cette capacité à échanger paisiblement, à s’interroger sereinement, et à s’enrichir mutuellement.
Mais en dehors de ce cadre qui fait la beauté de notre île, la tolérance n’est plus. Un professeur de maths du lycée, ouvertement témoin de Jéhovah*, a ainsi été suspendu, en attendant son passage en conseil de discipline, suite à des accusations de prosélytisme actif. « Un enseignant ne peut pas faire de prosélytisme, on y est très vigilant, a fermement réaffirmé Gilles Halbout. On a eu des cas récemment à Sada et dans d’autres établissements. On n’a pas à vous dire de croire en tel dieu, ou que Dieu n’existe pas, ou à apporter des opinions politiques, l’école doit rester un espace de liberté où vous pouvez vous construire, tous. Mais un espace de liberté n’est pas un espace où tout est permis ».
* Suite à notre article, l’enseignant mis en cause nous a contactés, soulignant n’être « pas un témoin de Jéhovah. Je suis un simple chrétien » a-t-il tenu à préciser dans un courrier en date du 14 décembre.
Y.D.