Le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) précise que les titres délivrés à Mayotte restreignent le séjour à ce territoire, et que les déplacements vers un autre département français sont conditionnés à l’obtention d’un visa. Les élus mahorais demandent régulièrement de revenir sur cette dérogation qui fait ressembler le territoire à une cocotte minute. C’est pourquoi la majorité LR du conseil départemental reprochait au ministre Lecornu de ne pas l’avoir inscrit au projet de loi. Ce sont les sénateurs LR qui l’avaient retoqué en 2018…
Le sénateur mahorais avait introduit son amendement non sans humour à l’époque : « De deux choses l’une, soit la pression migratoire à Mayotte est intolérable, et dans ce cas, l’adoption de cet amendement est indispensable, soit rien n’est grave, et l’adoption de cet amendement n’est pas une menace pour le pays ». Il expliquait reprendre le même amendement que celui déposé par le député Mansour Kamardine à l’Assemblée nationale, « qui avait été rejeté sans explication. J’espère que dans cette assemblée, j’en aurai ». Il était difficile alors pour la ministre de la Cohésion des territoires et ancienne vice-présidente du Sénat, Jacqueline Gourault, de s’esquiver.
Elle émettait un avis défavorable à l’amendement, arguant que « donner la possibilité de quitter l’île pour le continent européen, ce serait la rendre encore plus attractive, avec les risques de détournement de procédures et d’accroitre la pression migratoire localement ».
Plusieurs sénateurs prenaient alors la parole pour souligner « les incohérences » de cette position ministérielle et défendre l’amendement du sénateur mahorais.
« Nous soutenons l’amendement du sénateur Thani Mohamed. Nous ne pouvons continuer à accepter des titres de séjour spécifiques à ce département alors qu’ils concernent une immigration qui vient des Comores, un pays qui revendique Mayotte. Il suffit pour ne pas attirer de ne pas accorder de titres de séjour », intervenait le sénateur Joël Bigot, du groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain (SER). « Il faut mettre fin à cette disposition dérogatoire. Les kwassa, c’est l’équivalent de l’Aquarius* », renchérissait Eliane Assassi, sénatrice communiste.
Des étrangers en situation « pas assez régulière pour l’Hexagone ?! »
Alors que Thani Mohamed avait été prié de retirer son amendement, il décidait de le maintenir, « parce que les explications qui m’ont été données par le rapporteur et la ministre ne sont pas convaincantes. On ne parle pas d’immigration clandestine, mais d’immigration régulière, on parle de titres de séjour délivrés par le préfet. Les affaires migratoires qui se jouent à Mayotte concernent Paris », s’agaçait-il.
Ce que traduisait le sénateur Jean-Pierre Sueur (SER) : « L’incapacité de tarir le flux des Comores impose des conditions de vie insupportables à Mayotte : la prolifération des bidonvilles, la saturation du système de santé et de l’Education, la dégradation de l’environnement, etc. J’apporte mon soutien total au sénateur Thani Mohamed, cet amendement est réaliste. Sinon, il y aura toujours plus de monde sur cette île, et ils ne pourront pas en partir, c’est insoluble ! »
Enfin, le sénateur SER Jean-Yves Leconte s’étonnait, « on parle de personnes qui sont en situation régulière, mais pas assez régulièrement pour être sur l’Hexagone ?! Donner un avis défavorable, c’est ne pas être solidaire de Mayotte. Après, on est obligé de traiter le droit du sol différemment sur ce territoire. On ne peut pas transformer un département français en centre de rétention à ciel ouvert ! »
L’amendement avait été rejeté « par la majorité sénatoriale LR », rappelle Thani Mohamed Soilihi qui remet le sujet au centre des débats, en raison de l’actualité chaude du projet de loi. Ce même amendement avait été défendu en 2016 par le député Aboubacar, mais rejeté. Le même sujet avait été traité à l’Assemblée nationale, lorsqu’en janvier 2019, le député Mansour Kamardine avait déposé un amendement (intégré à la proposition de loi du maintien à 5 jours du délai de saisine du JLD à Mayotte**). Il s’était également entendu répondre qu’un risque d’attractivité empêchait de laisser circuler les titres de séjour délivrés à Mayotte, sur le reste du territoire.
Ces tentatives régulières auront-elles été suffisantes pour commencer à faire vaciller les certitudes ? Paris semble autiste à ces arguments de bon sens, préoccupation majeure de la population. Réponse à la prochaine opportunité, mais rappelons que c’est cette Loi Asile Immigration qui avait permis d’adopter la dérogation locale au droit du sol… avec une majorité LR au Sénat.
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Anne Perzo-Lafond
*L’Aquarius est un navire affrété par l’association SOS Méditerranée qui avait secouru 30.000 migrants avant d’être immobilisé et remplacé
** Le passage à 48 heures comme le reste du pays aurait entraîné une explosion de saisine du Juge des Libertés et de la Détention lors des expulsions à Mayotte. C’est pour le maintien des 5 jours qu’avait voté Ramlati Ali, ce qui n’avait pas été compris à l’époque