On ne sait plus comment l’écrire. La violence est toujours là. Comment espérer que les choses changent ? Faut-il changer de langue ou d’encre ? Nous n’avons pas encore trouvé les bons mots à tous ces maux.
Mercredi 27 novembre, après-midi, un groupe d’une vingtaine de jeunes attaque à coup de pierres et de machette, des élèves du lycée, faisant cinq blessés et des dizaines d’élèves en étant de choc. Deux mois, plus tôt, un élève trouvait la mort « lors d’une rixe entre jeunes des villages de Barakani et Kahani ». Le lendemain de ces actes, le rectorat pris la décision de banaliser le reste de la semaine au lycée Gustave EIffel de Kahani, afin que le personnel et les autorités puissent trouver des solutions aux problèmes de sécurité qui touchent la communauté éducative. Dans la foulée, le co-président de la Fédération des Conseils de Parents d’Elèves (FCPE) de Mayotte, Haïdar Attoumani Saïd, diffusait un communiqué de presse en déclarant « Oui Kahani restera debout que cela déplaise aux voyous ».
« La situation est insoutenable »
Les tensions à Kahani ne datent pas d’hier. Depuis une quinzaine d’années, ce secteur est devenu l’objet de nombreux affrontements entre bandes rivales de différents villages, se répercutant ainsi sur les lieux de regroupements, tels que les établissements scolaires. « À Kahani, l’établissement accueille en majorité des jeunes de sexe masculin. Les jeunes viennent d’un peu partout avec leurs différends inter-villages et les exposent devant les autres élèves », explique Haïdar Attoumani Saïd. Lors du baccalauréat, le constat est sans appel. Le lycée de Kahani figure dernier des onze lycées de l’île aux résultats du baccalauréat. « Tant que les enfants ne peuvent pas travailler dans de bonnes conditions, les résultats ne vont pas s’améliorer », rappelle le co-président de la FCPE de Mayotte.
Les élus aux abonnés absents
Pourtant, si la violence perdure, le personnel du lycée ne se sent plus écouté. « Les élus ont tourné le dos à l’établissement. Les maires et les conseillers départementaux on ne les voit pas ! Ils sont aux absents et cela n’est pas normal », estime Haïdar Attoumani Saïd. Depuis mercredi, la fédération mahoraise des parents d’élèves appelle l’ensemble des parents d’élèves scolarisés et les élus à se réunir pour définir un plan de réponse face à ces violences. Pour Haïdar Attoumani Saïd, la politique sécuritaire et judiciaire menée à l’égard de ces jeunes n’est pas assez rigoureuse. « La justice y est pour beaucoup. Beaucoup de jeunes scolarisés à Kahani sont suivis par la protection judiciaire de la jeunesse. Et quand un jeune fait des choses inappropriées, on n’arrive jamais à contacter son éducateur. »
Le personnel du lycée, sur le point de partir
Outre la violence de ces actes, c’est surtout le manque d’écho produit par ces événements qui choque le plus le représentant des parents d’élèves. « On entend la souffrance des enfants scolarisés qui ont peur, les enseignants et le personnel de direction, on les a vus en larmes. On a l’impression que malgré les alertes, elles ne sont pas entendues, c’est cela le plus difficile. » Si le Rectorat a suspendu les cours dispensés au lycée pour les deux derniers jours restants de la semaine dernière, les réponses concrètes à ces violences sont maigres. D’après nos informations, en l’espace de trois mois, la salle informatique a fait l’objet de quatre cambriolages. Face à ce sentiment de vulnérabilité permanente, le personnel du lycée estime que les violences ont pris un tout autre tournant : « Ce phénomène a dépassé les cours de récréation ou les altercations à la sortie des établissements, là où des personnels éducatifs ou de sécurité peuvent encore repérer et agir », rapporte le co-président du FCPE de Mayotte dans son communiqué de presse. « Beaucoup d’enseignants et de personnel de direction, nous parlent de leur envie de partir. Ils se posent vraiment des questions. Je crains que bon nombre aient déjà pris leur décision et qu’à la rentrée de janvier on n’ait moins de personnel », commente Haïdar Attoumani Saïd.
Un manque de « militantisme parental »
Les secteurs de Tsingoni et de Ouangani seraient des « territoires où le militantisme parental n’est pas encore ancré pour l’accompagnement éducatif des enfants », analyse le représentant de la FCPE Mayotte. À la différence des communes du Nord, de l’Est comme Sada, ou du Sud, et depuis peu la zone urbaine, le représentant des parents d’élèves estime que « Kahani reste une localité à part », noyée entre des parents peu investis et des élus peu réceptifs aux incidents. « Les élus de la commune de Ouangani ne s’intéressent pas à ce qu’il se passe. On ne voit pas l’implication des parents, ils ne sentent pas concernés. Pourtant la plupart des élèves de Kahani viennent de Tsingoni et Ouangani. Tant que les parents ne bougeront pas, leurs enfants ne pourront pas avoir une scolarité dans de bonnes conditions. Il faut aussi soutenir le personnels du lycée, sinon on va droit à la catastrophe. »
Vers un blocage du lycée ?
Face à « une situation que personne ne peut plus maîtriser », Haïdar Attoumani Saïd l’avoue non pas sans fermeté : « Il faut rendre les clés ! ». Le représentant des parents d’élèves est formel. « La situation mène les enfants droit à l’échec. Aucun parent ne souhaite plus inscrire son enfant dans cet établissement tant que les choses ne sont pas réglées. » Pour mobiliser des forces vives, le représentant s’appuie sur l’exemple du lycée de Mstangadoua. « Pendant sept ans, on a eu le cas similaire dans cet établissement. À partir d’avril 2023, les parents ont dit que c’était l’intrusion de trop. On a vécu l’enfer. Les parents se sont mobilisés pendant deux mois. Le préfet, le procureur et le recteur se sont déplacés plusieurs fois. On a adopté une sorte de plan Marshall avec plus moyens de sécurisation, humains et matériels, pour être en sécurité. Petit à petit, une meilleure organisation s’est mise en place, les résultats se sont sentis, et aux derniers résultats du baccalauréat cette année, le lycée Mtsangadoua faisait partie des quatre meilleurs en termes de résultats, sur les onze lycées, cela montre qu’on peut aller loin. »
Haïdar Attoumani Saïd conclut en demandant d’urgence de « dispatcher les élèves de Kahani dans d’autres établissements de l’île pour ne pas concentrer tous les problèmes sur Kahani. » Dès lundi 2 décembre, une forte mobilisation va être déployée avec les parents d’élèves, les enseignants et le personnel de direction pour « sauver cet établissement en péril », annonce le syndicaliste.
Mathilde Hangard