Au-delà des beaux discours tenus lors des 20 ans du Conseil économique, social et Environnemental de Mayotte (CESEM), et pour comprendre son rôle dans la gestion du département et son lien avec le conseil départemental, nous avons pioché au hasard un de ses avis remis le 10 juin 2024. Il portait sur le Contrat de Convergence et de Transformation (CCT) de Mayotte pour la période 2024-2027 : « Le Césem estime qu’il aurait été opportun de disposer d’éléments de bilan de la mise en œuvre du CCT sur la période 2019-2023 pour mieux apprécier la pertinence des propositions portées au CCT sur la période 2024-2027 (…) Il plaide donc en faveur de la construction d’un véritable projet de territoire partagé au niveau local qui concorde avec les enjeux couverts par le projet de schéma d’aménagement régional (… ) Le Césem rappelle la nécessité pour le Conseil départemental de mettre en œuvre une stratégie de recrutement permettant de renforcer son ingénierie technique, administrative et financière à la hauteur des enjeux de réalisation des projets d’infrastructures et de la consommation des crédits européens (…) Le Césem invite le Conseil départemental à contribuer activement à l’animation et au pilotage du suivi-évaluation de la mise en œuvre du CCT sur la période 2024-2027 afin d’être en mesure de fournir des éléments de bilans en cours et au terme de ce Contrat ».
Quasiment tout est dit. Le conseil départemental est invité à dresser un bilan du précédent Contrat de convergence qui se montait quand même à 1,6 milliard d’euros, à élaborer un projet de territoire, à recruter des compétences pour la consommation de ce CCT et des crédits européens, et à animer et évaluer la mise en œuvre du nouveau CCT. Sans quoi, il ne faudra pas s’étonner que les crédits ne soient pas consommés.
« Tu vas finir par nous arracher un ‘oui’ ! »
Cette clarté dans le diagnostic, nous le devons aux personnalités qui font le CESEM. Un président Abdou Dahalani qui n’est pas que là pour apposer une signature en bas de page, mais porte les dossiers au national et y noue des partenariats, on l’a vu avec la présence des représentants du CESE national en particulier son vice-président Christian Caré dont il est proche. Des membres issus de la société civile, majoritairement des cadres dirigeants, de véritables forçats du travail, capables de rédiger un avis sur un sujet pointus en quelques jours. Et enfin, à l’homme de l’ombre, Nabilou Ali Bacar, qui tient les clefs de la boutique depuis près de 20 ans, et qui nous en ouvre les portes.
Avec son président, ils forment un « couple », explique-t-il, avant de revenir sur ces 20 années, « nous sommes partis d’une feuille vierge, il fallait tout construire ». Il visite alors les autres CESER (Conseil économique, social et environnemental régional) de France, « il fallait s’imprégner de ceux qui avaient de l’expérience. J’y ai mis toute mon énergie, avec la conviction qu’il fallait que cette institution s’installe, et qu’elle ressemble à un autre CESER de métropole. Nous avions une obligation de réussite. »
On entend peu parler de lui, en dehors de quelques tribunes dans le JDM, alors que les passages de Nabilou Ali Bacar au conseil départemental financeur du CESEM, ne passait pas inaperçus, « on me recevait avec un peu de fatalisme en me disant ‘on sait que même si on te dit non, tu vas finir par nous arracher un oui !’ ».
Ensuite, l’heure était à la professionnalisation. « Après un mandat, j’ai bénéficié d’une formation au management stratégique, il fallait engager un virage. »
C’est l’époque de la mandature de Daniel Zaïdani, celle de la départementalisation en 2011. « Il fallait gérer la transition fiscale, et travailler sans moyen financier ». Les comptes du CD étaient dans le rouge, alors qu’il faut comprendre en urgence le fonctionnement des fonds européens, même si le président Zaïdani en confie la gestion à la préfecture. « Je remercie à ce propos les conseillers départementaux de l’époque, notamment la présidente de la Commission des finances, Isabelle Chevreuil. »
La bourse ou la vision de mandature
La fin de la mandature Zaïdani et le début de l’ère Soibahadine sont marqués par une embellie des finances, notamment en raison de rattrapages de compensations non versées, rectifiés par le premier ministre Manuel Walls. « Nous avons pu réaliser de vraies actions pour gagner en crédibilité, et monter un projet d’institution pour se projeter. »
Mais la vision du territoire, c’est au conseil départemental de la donner. « Or, il n’y en a pas eu, jusqu’à Soibahadine, qui a rédigé son projet de mandature. Il nous a permis de nous positionner par rapports aux projets inscrits, mais il manquait une animation de ce plan », ce qui ne lui a pas permis d’être entièrement décliné et d’en visualiser les avancements.
En arrivant aux manettes, Ben Issa Ousseni a repris le plan de mandature de Soibahadine, sans mettre sa patte à un nouveau document. « Nous attendons toujours que ce plan soit porté, mais aussi que le nouvel organigramme soit opérationnel, car il est perturbé par un turnover touchant des directions », note Nabilou Ali Bacar.
Sa fierté de directeur du CESEM, c’est tout d’abord ses équipes : « Si ce que j’ai pu engager au CESEM a pu connaître un quelconque succès, cela revient avant au personnel, de l’assistant jusqu’au Chargé d’études, et qui acceptent de me supporter ! » Mais aussi, d’avoir incité l’institution à s’ouvrir, l’« aller vers » : « Il était important pour nous qu’on puisse maturer notre fonction ingénierie d’études. Et à partir de 2015, à l’occasion de notre dixième anniversaire, on a commencé à penser un projet stratégique de communication. Depuis 2017 on a mené des événements à l’extérieur ou des séminaires en intra, avec diffusion de supports de communication de nos travaux. » Des publications disponibles sur le site internet, et sur les réseaux sociaux. « L’évaluation devient une forme de continuité même si c’est une pratique très cadrée. »
Comme des cousins à la mode de Bretagne
Le fonctionnement du CESEM est financé par le conseil départemental à hauteur de 100.000 euros par an qui n’intègre pas le salaire des agents, ni les indemnités des élus.
Lors des 20 ans, nous avons échangé avec le président du CESEM sur les pistes d’amélioration de prise en compte de leurs avis, Abdou Dahalani a été direct : « Il faut un partenariat étroit entre les conseillers départementaux et les membres du CESEM. Cela marche très bien au CESER de Bretagne. »
Sur la même ligne, son directeur évoque une période où c’était le cas à Mayotte : « Avec Daniel Zaïdani, nous avions mis en place un Séminaire inter-assemblée qui se réunissait chaque année, les élus du département et du CESEM se retrouvaient, et nos avis étaient lus en séance plénière ». C’est aussi le cas actuellement. Mais cette assemblée n’existe plus, et la saisie du CESEM ne se fait pas dans des conditions optimums : « Tout d’abord, à Mayotte, nous sommes saisis au mieux 12 jours avant la séance plénière, dans les autres régions, c’est à J moins 20. Cela nous permettrait d’identifier l’ensemble des secteurs d’instruction avec un calendrier. Ensuite, une fois rendus, les avis n’intègrent pas les circuits de décision du CD. Mais pour cela, il faudrait un relationnel quasiment quotidien. »
Il prend un exemple récent : « Lorsque Thani est venu en tant que secrétaire d’Etat, toutes les divergences entre nous se sont tues, donc c’est possible ». Il suffit de considérer que, comme la venue de Thani Mohamed Soilihi, la gestion du département relève d’un intérêt supérieur du département…
Anne Perzo-Lafond