La réforme de la formation initiale des professeurs et conseillers d’éducation en Institut National Supérieur du professorat et de l’Education, survenue en 2022, a rendu obligatoire la tenue d’une formation sur la laïcité et les valeurs de la République. Si la connaissance de ces dernières, en tant que « Liberté, Egalité, Fraternité » semble acquise au plus grand nombre, du moins dans leur énumération, la République se cimente également autour de principes, au nombre de quatre. Parmi eux, le principe social, démocratique, d’indivisibilité et le principe de laïcité.
Pas de séparation de l’Eglise et de l’Etat à Mayotte
« Si Mayotte est laïque, rappelle Frantz Thille – professeur agrégé d’Histoire au Centre Universitaire de Mayotte – elle n’est pas pour autant sous le régime de la séparation de l’Eglise de l’Etat ». En effet, ce sont les décrets Mandel qui régissent la conception de la laïcité à Mayotte afin de tenir compte de la spécificité du territoire où 95 % des personnes sont de confession musulmane. Néanmoins, note l’universitaire, la convergence vers le fonctionnement de la métropole se fait progressivement. Ainsi, suite à la départementalisation, la volonté « d’accompagner » l’évolution statutaire de Mayotte a conduit le législateur à certaines adaptations ayant peu à peu vidé le domaine de la justice locale de son contenu pour opérer un transfert vers le droit commun, à l’instar du rôle des cadis.
La laïcité ne s’oppose pas aux religions
« La laïcité est le vivier du vivre ensemble », éclaire l’universitaire Frantz Thille. Il poursuit : « L’école est le creuset de l’université. La laïcité n’est pas faite pour embêter les élèves ou pour prôner l’athéisme ». Une remarque loin d’être anodine au regard de la manière dont la laïcité apparaît sur les réseaux sociaux, souvent réduite, à tort à un concept anti-religieux. La diapositive projetée sur l’écran géant le rappelle : « la laïcité ne s’oppose […] pas aux religions, au contraire, elle les autorise toutes en distinguant la loi de la foi.
Ainsi, elle est garante du lien commun tout en accordant à chacun le droit de croire ou de ne pas croire ». Loin d’enfermer les élèves, la laïcité est propédeutique à leur émancipation en favorisant la compréhension de l’universel, en garantissant, dans l’enceinte des établissements scolaires une approche du « aller vers » afin de ne pas se refermer sur les particularités individuelles.
Les évolutions vestimentaires, un signe d’inquiétude ?
Pascal Lalanne, conseiller du recteur pour les établissements et la vie scolaire, note qu’à « Mayotte les jeunes ne contestent pas la laïcité, ils sont très respectueux », rappelant que « le vêtement, le kishali, est un mode d’expression à part entière ». Autrement dit, il s’agit d’un accessoire marqueur de l’aspect culturel de l’île. En revanche, une attention est portée à l’entrisme qui tend à introduire un style vestimentaire « exogène » à la pratique religieuse de l’île.
Néanmoins, tient-il à préciser, l’accent doit être porté sur l’évolution de ces tenues qui « ne va pas dans le sens de la culture mahoraise ». Comment appréhender un élève ou une élève ayant une tenue ou des symboles remettant en cause la neutralité que constitue l’enceinte de l’établissement scolaire ? « Avant la règle, il faut l’écoute », considère Pascal Lalanne. Comprendre la revendication dans un premier temps tout en expliquant que le lieu n’est pas propice aux revendications religieuses.
Le sentiment des professeurs d’être parfois démunis
Face aux multiples facettes que peut prendre la remise en cause de la neutralité dans les établissements scolaires, certains professeurs dans l’assistance ne manquent pas d’exprimer le manques de moyens dont ils disposent pour faire ce qu’on leur demande ; d’autant qu’une unique journée de formation sur la laïcité et les valeurs de la République semble insuffisant au regard de la complexité des notions abordées. Néanmoins précise le conseiller du recteur, les professeurs disposent de deux procédures afin de faire remonter les atteintes, le signalement au chef d’établissement et le renseignement d’un formulaire en ligne ad hoc. Il abonde : « les chefs d’établissements sont très mobilisés là-dessus. C’est pour cela que l’on demande de faire remonter les signalements pour appuyer les actions sur le terrain ».
Pierre Mouysset