« Le sport, c’est l’école de la vie », avait déclaré Aimé Jacquet, ancien joueur et entraîneur international français de football. À Mayotte, le contexte culturel et social nécessite une approche adaptée de la psychiatrie, en intégrant l’ethnopsychiatrie et les pratiques traditionnelles, souvent relayées au premier plan lors d’une prise en charge, bien avant les méthodes conventionnelles médicales, expliquait le chef du pôle psychiatrie du Centre hospitalier de Mayotte (CHM), en avril dernier.
Les ados qui vont mal ont peu de portes de secours
À Mayotte, alors qu’une personne sur deux est mineure, seuls 10 lits d’hospitalisation au sein du service de psychiatrie du CHM sont disponibles pour l’ensemble de la population de l’île, correspondant à un ratio de 4 lits pour 100.000 habitants. Sur ces 10 lits, aucun n’est disponible pour accueillir des adolescents de moins de 15 ans et 3 mois. Dès qu’un adolescent a besoin d’être hospitalisé en raison de sa santé mentale, il nécessite d’être transféré vers d’autres établissements de La Réunion ou de l’Hexagone, en fonction des places disponibles au sein des structures d’accueil et de plusieurs conditions inhérentes au patient et à son environnement de vie. Dans ce contexte, les jeunes patients sont rarement hospitalisés. Ceux qui sont transférés vers des établissements extérieurs sont aussi renvoyés prématurément en raison d’une nécessité de « libérer des lits », entraînant souvent des rechutes de leur état.
Les CMP sont débordés
Les professionnels des Centres Médico-Psychologiques (CMP), répartis à Mamoudzou, Sada, dans le Sud de l’île et en Petite-Terre, se retrouvent en « première ligne » pour prendre en charge ces patients, entre ceux qui n’ont jamais reçu de soins, ceux qui sont sortis trop tôt des structures d’accueil ou qui ont abandonné leur prise en charge. Tout autant d’égarés, pour qui le système sanitaire n’a eu que peu de réponses, courant après moyens et effectifs. En moyenne, le délai d’attente pour la prise en charge d’un adolescent au sein d’un centre médico-psychologique est d’un an.
La clinique des adolescents à Mayotte étant « très spécifique », le Dr. Briard, seule pédopsychiatre de l’île, estime que le 101ème département a besoin de personnels pluridisciplinaires, tels que des pédopsychiatres, des pédopsychologues et des psychomotriciens formés à l’adolescence » et même des éducateurs sportifs. Traumatismes, addictions, psychoses, tout autant de pathologies que d’antériorités complexes dans le parcours de certains jeunes qui nécessitent une approche globale, où le sport a toute son importance et sa place.
Le sport, un atout bénéfique sur le vécu et la réaction aux contraintes psychosociales
Dans l’hémicycle Bamana, d’entrée, le sport a été présenté comme un outil qui divertit, qui peut pallier l’ennui ou l’inactivité, mais aussi une évasion, qui stimule et permet d’ouvrir « un nouveau champ des possibles. » Pour les patients atteints de névrose, les spécialistes considèrent que le sport peut être une activité « favorable à leur expression », voire à leur guérison. Des symptômes tels qu’une grande anxiété, la peur du regard des autres, la culpabilité ou même un besoin d’exprimer une certaine agressivité, peuvent être atténués lors de la pratique d’un sport. Pour le CROS (Comité Régional Olympique et Sportif) de Mayotte, le sport représente un exutoire pour « décharger l’angoisse, la colère, la tristesse. » Sur des sujets psychotiques, le sport est même perçu comme une aide pouvant aider à bâtir des repères, à faire exister des limites et des frontières à ne pas dépasser, en séparer le « moi » du « non-moi », en bordant ainsi le vide et le malheur. C’est sur ces atouts que le réseau interGEM (Groupe d’Entraide Mutuelle) de Mayotte souhaite miser pour accompagner des adultes mais aussi des jeunes en souffrance vers une prise en charge globale de leur santé mentale.
L’exemple d’un jeune « mutique » vers un éveil
Après son bac, Ahmed* n’a pas été pris dans une formation de cuisinier comme il l’espérait en raison d’un dossier scolaire « insuffisant ». Progressivement, il s’isole et perd contact avec les autres jeunes de son âge. Ses mauvaises fréquentations le tirent vers le bas. Pourtant, il existe un monde où Ahmed* a l’impression d’exister : le football. Repéré par des entraîneurs et des associations de quartier, il finit par intégrer une formation grâce au CROS de Mayotte. Depuis, il joue, autant qu’il encadre, des entraînements de football. « Sans le sport, je ne serai pas là où je suis », explique-t-il.
En 2026, 30 lits de psychiatrie ouvriront au sein du centre de soins de suite et de réadaptation (SSR) Martial Henry de Pamandzi. Dans le projet de construction du futur hôpital de Combani, 56 lits de psychiatrie seront armés : deux unités de 14 lits en hospitalisation libre, une unité de 14 lits en zone fermée et une unité d’adolescents de 14 lits. En attendant, les acteurs de la santé mentale de l’île veulent sillonner le territoire à la recherche de jeunes dont le sport pourrait devenir une bouée face aux multiples problématiques vécues sur le territoire.
*Le prénom a été changé.
Mathilde Hangard