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Mamoudzou

Justice – Un réseau de passeurs sur le banc des accusés dont un ancien membre de la PAF

Six personnes comparaissaient ce mardi après-midi dans le cadre des audiences correctionnelles. Elles étaient accusées de faire partie d’un réseau de passeurs et d’avoir organisé des traversées entre Anjouan et Mayotte. L’un des prévenus n’était autre qu’un ancien agent de la police aux frontières.

C’est un procès fleuve qui s’est déroulé hier après-midi au tribunal judiciaire de Mamoudzou. Pas moins de 7 personnes devaient être entendues, ou plutôt 6 puisque l’une d’entre elles a « disparu et demeure introuvable », a ainsi indiqué la présidente de l’audience, Alexandra Nicolay. Toutes étaient accusées d’appartenir à un réseau de passeurs qui a sévi au cours de l’année 2019. C’est un « indic’ » comorien, en situation irrégulière à Mayotte et expulsé à la fin de l’année 2018, qui a parlé, et révélé l’existence d’un réseau de passeurs entre Anjouan et l’île aux parfums. Les autorités ont alors pu enquêter sur ce réseau d’immigration clandestine et de trafic en tout genre depuis les Comores.

Un ancien fonctionnaire de la brigade nautique de la PAF sur le banc des prévenus

L’un des prévenus est un ancien fonctionnaire de la brigade nautique de la PAF

Petite particularité dans cette affaire, l’un des prévenus est un ancien fonctionnaire de la brigade nautique de la Police aux Frontières (PAF). Selon les éléments de l’enquête, son rôle était d’avertir les passeurs de l’endroit où se trouvaient les intercepteurs de la PAF afin que les kwassa puissent passer au travers des mailles du filet. Au regard des éléments évoqués par la présidente du tribunal, c’était une entreprise « familiale » qui ne connaissait pas la crise puisque pendant plusieurs mois le réseau a organisé jusqu’à 3 traversées par semaine avec au moins deux kwassa. Les tarifs étaient de 300 à 500 euros par passager pour arriver à Mayotte. Les informations fournies par « l’indic’ » ont permis aux enquêteurs de mettre tout ce beau monde sur écoute.

Il y avait ainsi un guetteur, un logisticien, un taximan, une comptable, un coordonnateur sur place, et bien-sûr le chaînon essentiel pour que tout fonctionne sans accrocs, un indicateur membre de la PAF, par ailleurs déjà condamné en 2018 pour transport de marchandises de contrefaçon. Son rôle était essentiel puisqu’il était chargé de renseigner la position des bateaux de la police et de la Marine nationale. Il y avait ainsi des surnoms comme « coco » pour le bateau de la police et « bleu » pour celui de la Marine. Ses collègues n’avaient alors rien soupçonné, hormis le fait qu’il « passait de nombreux coups de téléphone quand ils patrouillaient en mer et parlait systématiquement à ses interlocuteurs en shimaore » afin que ses collègues mzungu ne comprennent pas.

Même s’il reconnait son implication dans ce réseau, il a tenté de diminuer son rôle. « J’ai jamais été en contact avec eux, je ne les connais pas, je ne les ai jamais vus. Je ne vois pas pourquoi on m’accuse d’avoir voulu faire entrer en France, sur le territoire national, un étranger en situation irrégulière, le tout en bande organisée ». Ce à quoi la présidente du tribunal a rétorqué : « Dans une bande organisée tout le monde ne se connaît pas forcément, vous savez. A partir du moment où vous êtes en contact avec un membre, vous faite partie de cette bande ».

Une petite entreprise bien structurée

Il faut dire que même s’il a affirmé ne pas être une tête du réseau, l’individu n’était pas exempt de tout reproche. En effet, sa maison aurait été construite, en partie, par une main d’œuvre en situation irrégulière, et le tout couronné par une absence de permis de construire. Il aurait d’ailleurs fait en sorte de faire revenir à Mayotte un des clandestins, après que ce dernier a été renvoyé à Anjouan, pour qu’il vienne finir le crépi de sa maison. Un comble ! Selon lui, s’il a accepté de rentrer dans ce réseau c’est parce qu’il avait des difficultés financières et de nombreuses maîtresses, dont une en situation irrégulière.

L’îlot M’tsamboro un lieu stratégique pour les passeurs venant d’Anjouan

En outre, d’après les enquêteurs, il aurait eu aussi son propre réseau pour faire la liaison des passagers arrivant à l’îlot de M’tsamboro jusqu’à Grande-Terre. Cette traversée était facturée au minimum 50 euros, sans compter le trafic de cigarettes qu’il organisait avec les Comores. Interrogé à la barre du tribunal, il regrette ses agissements : « Oui je reconnais que j’ai fait des choses… et je regrette ce que j’ai fait. Aujourd’hui on me regarde autrement. J’ai perdu mon travail, c’est une situation difficile. Si je pouvais faire marche arrière, je le ferais… » a-t-il raconté. Les autres prévenus se sont ensuite succédé à la barre, chacun essayant de minimiser son rôle dans ce réseau mais en reconnaissant toutefois leur participation.

Ainsi, l’une acquiesçait sur le fait que oui elle notait dans un petit cahier les montant des sommes d’argent récoltées mais n’était pas la comptable pour autant. Soit dit en passant, les enquêteurs ont trouvé lors de son interpellation plusieurs récépissés de transferts d’argent liquide dans son sac à main. Un autre, chez qui la police a retrouvé plusieurs centaines d’euros, affirmait juste qu’il était « un simple exécutant, un rabatteur » chargé de récupérer les fonds auprès des personnes vivant à Mayotte qui voulaient faire venir des membres de leur famille depuis les Comores. « Je ne savais pas que c’était illégal. Je reconnais que j’ai aidé mais je n’ai rien gagné dans cette affaire », a-t-il maintenu.

Le substitut du procureur dans son réquisitoire a ainsi demandé pour l’ancien membre de la PAF, 5 ans de prison avec mandat de dépôt, 2 ans d’inéligibilité, 1.900 euros d’amende et la confiscation de sa voiture. Pour les autres prévenus : 3 ans avec mandat de dépôt ; 3 ans dont 2 ans avec sursis ; 3 ans dont 18 mois de sursis ; 3 ans avec mandat de dépôt ; 3 ans avec mandat d’arrêt et interdiction définitive du territoire français (IDTF) ; 3 ans avec mandat de dépôt et IDTF.

Le délibéré du tribunal était attendu dans la soirée.

B.J.

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