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Mamoudzou

Mobilité – Le piège des projets de transport en commun chacun dans son coin

Épaulés par l’expert en mobilité Mohamed Hamissi, nous avions titré il y a un an, « tous pour un ! » en matière de projets de transport en commun. Pourtant, la communauté d’agglomération du Grand Nord vient de lancer sa propre étude de marché. Il invite donc à nouveau à se garder des erreurs qui ont été commises en métropole. Et réagit à la priorité donnée à la population active dans les navettes de la CADEMA.

« Enquête mobilités : préparons les mobilités de demain ! » Une invitation fort sympathique de la Communauté d’agglomération du Grand Nord de Mayotte (CAGNM), et synonyme de prise de conscience. La dernière-née des communautés de commune se jette donc dans le grand bain du transport en commun.

Mais aussi louable soit-elle, souligne notre expert en mobilité Mohamed Hamissi*, cette initiative pourrait être contreproductive. En effet, cela n’a pas été faute d’alerter dans ces colonnes et par son intermédiaire, il y a encore un an, en matière de mobilité, jouons groupés !

Pour rappel, alors que dans les années 70, l’important était de proposer une offre de transport en commun sur son territoire sans regarder ce qui se faisait à sa périphérie, la loi d’orientation de 2019 promet de supprimer les zones blanches, et impose de la mobilité partout, en autorisant toutes les communautés de communes à récupérer cette compétence, et en l’imposant même aux communautés d’agglomération. A Mayotte, elles sont deux, la CADEMA et donc la CAGNM, à l’exercer automatiquement.

Pour autant, sur ce petit territoire de 374 km2, chacune des communautés de communes ne peut organiser un transport en commun de manière isolée, et Mohamed Hamissi l’a rappelé plus d’une fois, « le conseil départemental doit rester le chef de file de ces autorités organisatrices, sans rien leur imposer bien sûr, mais en jouant les coordinateurs. Sans quoi, nous allons vers une offre segmentée des transports, sans coordination entre eux. »

Une offre sans frontière

Solliciter le Cerema en lieu et place des enquêtes mobilité « fait maison »

Or, malgré ces avertissements, la Communauté d’agglo du Grand Nord vient de mettre un court questionnaire en ligne. Il interroge les usagers sur leurs habitudes de déplacement, leur mode de transport, etc. Une sorte d’étude de marché, mais a minima. Un effort louable, selon l’expert en mobilité, « mais pas viable ».

Afin de mettre en évidence les failles, nous nous sommes fait l’avocat de la CAGNM, en interrogeant ce pro sur l’opportunité de créer une offre de transport interne au Grand Nord, qui permettrait de prendre un bus par exemple de Mtsamboro jusqu’au rond-point de Carrefour (ex-Jumbo) qui délimite l’extrémité Est de la CAGNM, pour ensuite prendre un autre bus de la CADEMA. Faisable ?

« Tout d’abord, le conseil départemental réfléchit sur son mode de transport en commun interurbain. Sur un petit territoire et sur une zone non urbanisée qu’est le Grand Nord, on va donc multiplier par deux les bus sur le même trajet, sans certitude de les remplir, avec un coût multiplié par deux. La logique voudrait de mutualiser les moyens quand les budgets des collectivités sont très sollicités. D’autre part, le conseil départemental doit mettre en place une ligne de transport maritime, il faut déterminer depuis quel point avant d’installer un réseau de la CAGNM. »

D’autre part, s’il a le mérite d’exister, le questionnaire de la CAGNM est minimaliste, au regard des enquêtes proposées sur le plan national : « Pour mener une étude de marché, il suffit de se référer au modèle national d’Enquête mobilité certifiée Cerema qui s’adresse aux territoires de plus de 40.000 habitants** et qui permet de construire une politique à partir de données fiables. Car si chacun mène son enquête, on tombe sur une politique sectorielle, alors que la loi invite à mutualiser. D’autre part, cette enquête ne fait pas mention de la Petite Terre, comment vont-ils cerner les personnes qui y travaillent et qui habite Mtsamboro ? Et là, on tombe dans un domaine où, en métropole, ils ont du mal à corriger le tir, alors que nous avons une feuille blanche à écrire, sans commettre les mêmes erreurs. Je veux parler des offres de transport non coordonnées, alors qu’il faudrait un seul et même billet pour se rendre de Mtsamboro à l’aéroport de Petite Terre. C’est ce qui se fait désormais en métropole. Si j’habite Acoua, je dois pouvoir rester dans le même bus pour me rendre à Mamoudzou. Cela ne peut se faire que par une action coordonnée. En plus, si vous laissez une incertitude quant au passage entre deux modes de transports parce que ce n’est pas fluide, les usagers vont se méfier et reprendre leur voiture. Il nous faut donc un outil de gouvernance. »

Ne pas attendre la période électorale

Chaque collectivité de communes ne peut prendre le volant de son projet sans coordination avec les autres

Il rappelle que les frontières administratives des communautés de communes ne valent que pour délimiter les autorités de transport, « en dehors de ça, ils sont tous interconnectés. L’ensemble des intercos et le conseil départemental devraient demander au Cerema une enquête ménages-déplacement, cela permettrait en plus d’avoir des données socio-économiques. »

Cela permettrait d’éviter les écueils de dimensionnement : « Le mode de transport doit être adapté à chaque territoire, sans faire de copier-coller. Quand à la CADEMA on vise un transport de masse, ce n’est pas le cas dans le Nord ou le Sud qui n’ont pas forcément besoin de bus de 40 places, mais peut-être de taxis collectifs ou de bateaux. »

Le territoire attend donc beaucoup du conseil départemental en tant qu’autorité coordinatrice. « Contrairement à ce qu’on pense, la mobilité n’est pas un sujet technique mais politique. Surtout que désormais, on a rattaché la mobilité à la santé publique ou au réchauffement climatique. Chacun veut apporter sa réponse. On comprend dès lors que la circulation alternée ait été mise en place, mais si les habitants regardent le montant de leur taxe de transport sur la CADEMA, 400 euros, en plus du prix du carburant à l’année, ils vont se rendre compte que leur coût de déplacement est énorme, tout en étant contraint. Idem, je répète que les navettes mises en place dans l’urgence ne sont pas si souples en privant leur utilisateur de déplacement alternatif quand ils arrivent à destination sans voiture. »

Impossible de trier en fonction des catégories d’usagers des navettes

Impossible de prioriser une clientèle particulière dans un service public de transport en commun

La communication de ce lundi par la CADEMA sur la tentative de captation des professionnels partant travailler à Mamoudzou est la preuve que Mohamed Hamissi avait vu juste. « Sur ce sujet, il est impossible de prendre des mesures discriminatoires sur la captation de tels ou tels usagers. Cela va à l’encontre des principes et valeurs d’un service public de transport des personnes ». La seule solution serait donc de multiplier le nombre de navettes aux heures de pointe.

En matière de déplacements, le taxi revient de plus en plus cher, souligne-t-il, « environ 16 euros en aller-retour du Nord à Mamoudzou, il va falloir que des études soient menées sur l’impact de cette mobilité par taxi sur le budget des ménages. »

Ça urge donc de mettre en place des transports en commun coordonnés, du Nord au Sud en passant par Mamoudzou, plaide-t-il. « Dans un an, les élus vont tous se mettre en mode préparatoire des élections de 2026, il faut donc que d’ici là, tout soit planifié et sécurisé, prêt à être financé. Mais pour cela, il faut répondre aux exigences de la loi sur une mobilité globale à l’échelle du territoire, car Bruxelles risque de tiquer pour financer autant de projets que de collectivités. Ils vont juger qu’il y a surcoût avec un risque de défaillance d’utilisateurs. »

Pour lui, il ne faut pas aller chercher plus loin que le document de référence, le PGTD, le Plan Global Transports et Déplacements de Mayotte, « il avait apporté les réponses sur les 30 prochaines années, notamment sur l’enquête ménages-déplacement à l’échelle départementale, sur la création d’un Observatoire de la mobilité, sur la gouvernance, etc. »

En matière de transport, attention donc à ne pas laisser passer un train de la mobilité à l’échelle du territoire, et les financements qui vont avec !

Anne Perzo-Lafond

*Mohamed Hamissi est Directeur Environnement, Plan Climat Air Energie Territorial, Transport et Mobilité, de la Communauté de communes de Petite Terre

**La population de la CAGNM est estimée entre 70.000 et 75.000 habitants en actualisant les 60.000 habitants de 2017

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