Ayant commencé le mois dernier, le recensement à pour objectif de repartir à zéro et de tout comptabiliser avec précision : maisons en dur ou de fortune, populations locales comme migrantes, rien n’est laissé au hasard. Au-delà de l’urgence du comptage, cette opération est également essentielle pour la reconstruction et la planification à long terme. Les données collectées permettront aux autorités de reconstruire les infrastructures et de les adapter à la population. Elles doivent aussi aider à anticiper les futures catastrophes, en identifiant les zones les plus densément peuplées ou les plus vulnérables.
Sur le terrain, une organisation millimétrée

Le premier jour de recensement à Dzaoudzi-Labattoir, a été consacré aux personnes vivant sur des bateaux. Un choix stratégique, ces populations pouvant quitter les lieux à tout moment. Selon Véronique Gambey, superviseure du recensement de la population sur Petite-Terre, 23 personnes vivant sur des embarcations ont ainsi été recensées. À M’bouyoujou, un quartier mixte, comme beaucoup à Mayotte où cohabitent maisons en béton et habitations en tôles, porte après porte, les agents collectent les informations, avant de poursuivre leur tournée, mais le travail ne s’arrête pas là. Ils regagnent la mairie avec les formulaires remplis sur le terrain. Ces documents sont ensuite numérisés et transmis directement à Paris. Pour faciliter l’organisation, la commune est découpée en une cinquantaine d’îlots, pris en charge par des agents recenseurs chacun responsable de son secteur.

C’est à l’Hôtel de Ville que Nafion Radjabou assure la coordination de l’ensemble du dispositif. Détaché temporairement de ses fonctions à l’état civil, il supervise la saisie et le contrôle des données. Ancien contrôleur de l’Insee en 2017, puis coordinateur communal depuis 2020, il connaît bien les rouages de l’opération. « Depuis qu’on a commencé, j’ai déjà saisi plus de 1.700 bulletins individuels », nous raconte-t-il. Si son travail se fait le plus souvent derrière un écran, le coordinateur peut aussi être amené à retourner sur le terrain. C’est le cas lorsqu’un problème est signalé. « Parfois, des habitants mentent pour ne pas être recensés, en disant que quelqu’un est déjà passé. Ça peut arriver, surtout aux frontières entre deux chantiers », poursuit-il. Sa présence sur place permet de constater la situation, d’évaluer l’ampleur de l’erreur et d’identifier les logements concernés.
« Un travail éprouvant, mais essentiel »
Les recenseurs sont tous originaires de la commune, un choix qui facilite l’accès au terrain et la connaissance des habitants ainsi que de leurs langues. Pour rassurer et accompagner ceux qui ne savent pas lire, écrire ou parler couramment français, leur maîtrise du shimaoré et du kibushi est essentielle. « Avoir des agents locaux rassure les gens », souligne Véronique Gambey. Chacun d’eux dispose d’une carte détaillée, avec des points jaunes pour les maisons en béton et rouges pour les cases en tôles. En cas d’absence, ils peuvent repasser jusqu’à quatre fois, chaque passage devant être justifié à la mairie.

Sur le terrain, le travail peut être éprouvant, Nouriati Maka Idjihadi, agente recenseuse participant pour la première fois, considère que « c’est important après Chido, pour savoir qui est parti, qui est resté et les difficultés que les gens subissent ». Elle a également évoqué ses contraintes telles que les déplacements à pied sous le soleil, des journées parfois très longues (pouvant se finir à 22 heures), et parfois des menaces de personnes refusant d’être recensées. « C’est un travail d’équipe, les coordinateurs nous aident beaucoup », ajoute-t-elle, soulignant aussi la liberté d’organisation que lui offre cette mission.
Des données clés pour reconstruire Mayotte
Avant même le lancement, un important travail préparatoire a été mené par six enquêteurs qui ont mis à jour les cartographies de l’île, qui ensuite ont été validées par les communes. Cette tâche a permis d’identifier environ 65.000 logements sur l’ensemble du territoire. Une mise à jour indispensable pour repartir sur des bases fiables et pouvoir envisager la reconstruction.

Le recensement repose sur des données déclaratives et strictement confidentielles. Une fiche est remplie pour chaque logement, ainsi qu’une fiche par riverains, enfants et nouveau-nés compris. « L’information la plus importante reste la date de naissance, notamment l’année, ainsi que le sexe », nous a expliqué la directrice. Ces données permettent ainsi de déterminer si la population est plutôt jeune ou vieillissante. Les agents renseignent également les conditions de logement : accès à l’eau courante, à l’électricité, taille de l’habitation… L’ampleur de l’opération mobilise des effectifs importants sur l’ensemble de Mayotte. Environ 700 agents recenseurs locaux ont été engagés pour tout le territoire. A Dzaoudzi, ils sont une cinquantaine encadrés par quatre coordinateurs communaux. Huit superviseurs suivent aussi l’opération, dont quatre venus de l’Hexagone. Une fois par semaine, les agents ramènent leurs dossiers aux coordinateurs, qui vérifient les informations essentielles, comme les dates de naissance ou les adresses. En cas d’erreur ou d’oubli, un retour sur le terrain est nécessaire. Le recensement est également disponible en ligne : les habitants peuvent remplir leur formulaire depuis chez eux, dans ce cas-là les agents recevront une notification qui les informera.
Pour de nombreux Mahorais, c’est une étape attendue. À M’bouyoujou, une résidente se dit satisfaite de l’action. « Depuis Chido, le nombre d’habitants intrigue », nous a indiqué la Mahoraise. Selon elle, connaître le nombre réel d’habitants permettra de mieux adapter les services publics, comme les écoles ou les transports. « Il faut être patient pour remplir les formulaires, mais c’est pour notre île et nous », a-t-elle insisté.
Sur l’île, le recensement est présenté comme une opération collective. « C’est une grosse machine, bien orchestrée, bien encadrée, chacun a sa mission et sa place », a résumé la superviseure. « Il est co-construit entre l’Insee, les communes et les habitants. Quand un agent frappe à votre porte, c’est l’avenir de Mayotte qui s’invite ». D’après l’équipe de terrain de Labattoir plus de 50% du site ont été passés au peigne fin, et à ce jour, la moitié des logements du territoire a déjà été recensée selon l’Insee.
Shanyce MATHIAS ALI.


