Depuis 18 jours, l’île de Mayotte est paralysée par des barrages tenus par une population en colère contre l’insécurité et l’accueil de réfugiés sur le territoire. Face à cette situation « quasi insurrectionnelle », les élus de Mayotte ont adressé une lettre au Président de la République espérant que « la parole mahoraise soit entendue ».
Pour protester contre l’insécurité et demander l’évacuation du camp des réfugiés de Cavani, une partie de la population mahoraise a érigé des barrages sur tout le territoire.
Aux origines des contestations, c’est surtout l’insécurité grandissante sur l’île qui pose problème dans le quotidien de chacun, où pour reprendre les termes de la dite lettre « personne ne se sent à l’abri« . Ainsi, pour aller travailler, faire des courses, rentrer à son domicile, profiter d’une soirée en ville, la population vit dans une peur constante de se faire agresser. Les coupables, si on peut les appeler ainsi, sont des jeunes, s’amusant à en découdre avec les forces de l’ordre, volant, agressant la population et s’affrontant entre villages rivaux. Si des moyens sécuritaires ont été déployés, les élus ont déclaré que, « malgré les efforts de l’Etat », ces moyens étaient insuffisants au regard d’une situation très instable.
Des élus engagés dans une « ultime bataille »
Ces forces vives ont rappelé que la mobilisation serait maintenue jusqu’à ce qu’une réponse concrète du gouvernement soit apportée. En réaction, et dans ce courrier au président de la République, les élus ont affirmé leur soutien aux manifestants, « nous, élus, conseillers départementaux et maires, déclarons notre soutien au mouvement de contestation qui traverse le territoire (…) et aux revendications portées par la population » et ont réclamé « une réaction forte de l’Etat afin de ramener le calme et la sécurité sur le territoire de Mayotte ».
Des revendications réitérées ?
Ce mercredi après-midi, les élus ont déclaré que leur premier souhait était « l’arrivée de représentants du gouvernement sur le territoire pour que des discussions puissent commencer avec des élus du territoire. » Le deuxième souhait présenté a été « celui d’entrer en phase de rédaction du projet de la future loi Mayotte (…) dans l’objectif d’avoir un point de convergence entre le territoire et le gouvernement. »
Après un défilé ministériel, le silence de Matignon
Mais comme l’a exprimé un journaliste, cela a déjà fait, lorsque le 8 décembre dernier, l’ancienne Première Ministre, Elisabeth Borne, l’ancien Ministre de la Santé, Aurélien Rousseau, l’ancien Ministre des Outre-Mer, Philippe Vigier, s’étaient déplacés à Mayotte, notamment pour rencontrer les habitants et engager des discussions avec les élus locaux, au sujet de l’insécurité. Aussi, le projet de loi « loi Mayotte », qui était présenté comme devant permettre d’accélérer le développement du territoire et d’améliorer la vie quotidienne des Mahoraises et des Mahorais », est toujours dans les tiroirs de l’Etat, plein de poussière ou desséché après la crise de l’eau.
Depuis ces visites ministérielles, Mayotte explose et Paris ne semble pas réagir. En effet, malgré les « contacts réguliers » de Ben Issa Ousseni, le Président du Conseil départemental (CD) de Mayotte, « avec l’équipe de Gérald Darmanin » et des rencontres qui ont eu lieu en début de semaine, « entre Mouhamadi Assani, le Directeur de Cabinet du Président du CD et Christiane Ayache, la Directrice générale des services du CD, et Frédéric Joram, le Conseiller Outre-Mer de Matignon, ainsi qu’avec les conseillers de Gérald Darmanin », rien n’a bougé.
A notre question de savoir de quelle marge de manoeuvre disposait les élus à l’égard des manifestants, la réponse n’a pas été claire. Si l’insécurité est un sentiment partagé par un grand nombre d’habitants de Mayotte, la forme de la protestation choisie en bloquant l’île, nuit davantage à la population, qu’aux décideurs. Dans plusieurs communes de l’île, la population est coincée depuis 18 jours, entre les barrages des manifestants et ceux érigés aléatoirement par des délinquants. Et visiblement, ce n’est pas Paris qui viendra la sauver…
De plus, depuis le début du mouvement, de nombreux messages racistes sont relayés sur les réseaux sociaux, aux abords des barrages et proclamés par certains manifestants virulents, ne donnant pas crédit à une bataille pour une vie en paix à Mayotte, à laquelle tout le monde pourrait s’associer. Les africains du camp de réfugiés de Cavani, sont devenus les bouc-émissaires du contexte d’insécurité sur l’île, déjà présent bien avant leur arrivée.
Pourtant, Ben Issa Ousséni l’a affirmé clairement, si les moyens sécuritaires de l’Etat déployés à Mayotte ne sont pas suffisants, peut-être qu’une partie des réponses résidera dans les politiques sociales, pour offrir des solutions d’avenir aux jeunes qui caillassent, plutôt que de poursuivre ces jeux incessants des chats et des souris, entre les délinquants et les forces de l’ordre, qui n’aboutit à aucun changement concret d’ambiance.
Dans cet esprit, la CADEMA a notamment investi dans des formations et des perspectives professionnelles, pour offrir un avenir à des jeunes, en quête de sens. Renforcer les secteurs de l’éducation et du social, en plus de moyens sécuritaires, ne pourrait-il pas être une façon d’accroître nos capacités à construire ensemble un monde meilleur ?
Mathilde Hangard