Sur la partie sécuritaire de notre interview à Elisabeth Borne, la réponse fusait, « les Mahorais doivent être protégés comme les habitants de l’Hexagone ». Mais alors que nous suggérions deux biais, un état d’urgence sécuritaire pour ramener la paix et un accompagnement des familles nombreuses monoparentale en difficulté de parentalité, l’audibilité des réponses n’était pas la même.
Pour protéger les habitants des agressions, incendies, caillassages, vécues quotidiennement en différents points du territoire – pas tous – et qui menacent jusqu’à leur vie, la Première ministre n’annonce rien. Et rappelle seulement l’implantation de deux brigades fixes de gendarmerie en 2024, l’une dans la commune de Tsingoni, l’autre à Bandraboua.
Son ministre de l’Intérieur a envoyé récemment un 6ème escadron de gendarmerie – il y en a quatre en permanence à Mayotte, et deux actuellement en renfort – soit 70 militaires supplémentaires. Or, alors que les médias devaient impérativement être présents à 6h du matin pour l’arrivée de la ministre ce vendredi, nos journalistes se faisaient caillasser en deux-roues à Tsararano vers 5h du matin et nous-mêmes étions bloqués à Majikavo Lamir par un barrage à la même heure. Le quotidien pour les automobilistes… Sauf qu’il s’agit de deux trajets qu’allait emprunter la Première ministre quelques heures plus tard. Démonstration est faite d’une insuffisance de « bleus dans la rue » pour reprendre l’expression d’un précédent procureur.
Aucun bilan tiré de Wuambushu I
Pourtant, aucune mesure de sécurisation du territoire n’a été annoncée. S’il ne s’agit pas d’une posture se démarquant du Tout sécuritaire de son ministre de l’Intérieur, on peut s’interroger sur le message qu’Elisabeth Borne souhaite faire passer à la population de Mayotte. Que le problème est sociétal ? Que les élus doivent se mêler en proximité avec les forces vives de leurs communes de restaurer de l’ordre parmi les adultes ? Ce n’est pas à exclure, mais ces solutions ne se font pas dans le même temps que l’arrêt des caillassages sur les bus scolaires et de soignants qui doivent immédiatement cesser. A nos confrères de Mayotte la 1ère, Elisabeth Borne annonçait « des opérations spéciales », pour ne pas prononcer le mot de Wuambushu.
Du 1er opus, aucun bilan n’a encore été tiré, alors qu’on a vu deux phénomènes contraires liés à la surmédiatisation de l’arrivée des 500 gendarmes supplémentaires. Sur les deux premiers volets, cela fut contreproductif puisque démolitions d’habitat insalubre et reconduites à la frontière ont été stoppées net, l’un par les recours massifs aux tribunaux, l’autre, par politisation de la situation par les Comores. Le 3ème volet qui concernait l’insécurité a fonctionné, à court terme par de nombreuses interpellations qui ont affaibli les bandes, mais qui se sont reconstitué ensuite, et surtout, par la pression médiatique qui a incité ces dernières à se tenir à carreau.
Deux lueurs d’espoir : la compensation de 100 millions d’euros au conseil départemental pour sa compétence obligatoire de protection de l’enfance et des PMI, mais qui ne sera utile que si on met en place une prévention spécialisée sur les familles en difficulté, et ensuite, l’évocation par Elisabeth Borne d’une évolution dans la prise en compte des mineurs délinquants, « Sur la justice des mineurs et les réponses à apporter, nous présenterons en conseil des ministres en janvier un projet de loi pour renforcer les sanctions des mineurs et responsabiliser les parents. Le texte devrait être discuté au Parlement en février. »
Alors son passage et les interpellations continues de la population et des parlementaires sur la situation auront-elles changé sa vision ? « On n’est pas des mendiants, mais la liberté, c’est quoi chez nous ?! », lançait à Dzaoudzi Labattoir la conseillère municipale Zaou Prudent. Et de nombreux manifestants sur la place de la République exhibaient des pancartes : « Un 49.3 contre la délinquance », « Mayotte paradis transformé en enfer », « Mayotte en sous-France »… La ministre indiquait qu’une délégation avait été reçue par le ministre Philippe Vigier.
En tout cas, quelques heures après son départ, comme ce fut le cas quelques heures avant, les caillassages et barrages recommençaient de plus belle à Koungou, avec une soirée rythmée par l’envoi de gaz lacrymogènes.
Anne Perzo-Lafond