Issu des conjointes étymologies grecques de Polis et Politeia, faisant référence à la cité et à l’ensemble des règles qui la constitue, le terme Politique, en français, est ironiquement du genre féminin. Ironiquement ? Oui, du fait de la dominante masculine qui exerce le pouvoir en des sphères plus ou moins hautes et ce, de par un Monde qui demeure sans surprise majoritairement à dynamique patriarcale. Bien que les choses tendent timidement à évoluer vers une parité normalisée plus appuyée — notamment en Europe et sur le continent américain — sur les 193 pays reconnus et membres des Nations-unies (hors Vatican et Palestine qui sont au rang d’observateurs permanents), seuls 19 ont à leur tête une femme au gouvernement (soit 9,8% contre 7,3% en comparaison de l’étude basée sur la précédente décennie). Et même si la France fait figure de bonne élève, aussi grâce à sa politique sainement pécuniairo-répréhensible, en lien avec la loi du 4 août 2014 sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, il n’en demeure pas moins que les positions féminines relèvent bien plus du représentatif subalterne que réellement du décisionnaire exécutif; notamment à échelles municipale, départementale et régionale. Le chemin est encore long et notre territoire mahorais au régime matriarcal, sur le papier, ne fait guère office d’exception bien que son destin d’affiliation se soit amplement dessiné grâce à la détermination et au combat d’illustres figures à conjuguer au genre féminin !
Support avant tout d’objectivité et de conscientisation
Finalement, un peu à l’image d’une continuité et d’un lien corrélatif global qui se portait sur la représentation photographiée de la femme mahoraise dans la société, il y a de cela près de 3 mois, cette oeuvre télévisuelle se veut de donner une visibilité autre de notre paysage politique local, mettant un gros coup de projecteur sur l’engagement de nos éluEs mais pas que : « Je souhaitais à travers ce documentaire être acteur de ce changement et de cette modélisation de notre territoire, aussi impulsés par les femmes. Elles sont de partout, dans l’envers du décor mais aussi au front, leur visage c’est celui de Mayotte mais comment en sont-elles arrivées là ? Comment concilient-elles leur vie de famille avec leurs responsabilités politiques ? Il a fallu attendre 2015 pour commencer à les voir apparaître dans les institutions à des rangs autres que du simple administratif pourtant, elles ont toujours été présentes et elles méritent qu’on leur donne enfin et officiellement leur place et non pour une simple question de quota » nous confie Chafion Madi.
C’est ainsi que durant 25 minutes, il est introduit conjointement les portraits de 7 figures féminines de la scène politique mahoraise et ce, quels qu’en soient le bord, le caractère, les visions et opinions. Sept témoignages intergénérationnels faisant état du masque public de circonstance mais également d’une facette un peu plus intimiste, attachante car vraie et humaine. Comprendre que, outre la lutte et la dureté propre à cet impitoyable milieu où seule la cravate est reine, l’engagement politique d’une femme revêt un caractère encore plus complexe à »double challenge » où, disons-le objectivement, la misogynie est légion et ce, ici comme ailleurs. Nous nous souviendrons du fameux épisode en juillet 2012, de la robe à fleurs de Cécile Duflot, alors ministre du logement, sifflée en pleine Assemblée par des députés… Et cette bassesse revendicative, bien souvent purement gratuite et agressive, ne relève absolument pas de l’argumentaire politique mais bien d’un sexisme plus ou moins soft relatif à l’approche physique ou bien personnelle de la candidate. Et ce procédé des plus douteux, pour ne pas dire condamnables, vient aussi parfois de la gente féminine elle même. Un manque de solidarité objectivement énoncé tant à travers ce documentaire que les échanges, analyses et débats qui ont suivi, à l’issue de la projection.
L’importance de la représentation
Présenté en fin d’année 2022, ce projet a quasiment instantanément trouvé succès auprès de Taslima Soulaimana pour la forte symbolique qu’il impulsait :
« Je dois vous avouer que cette thématique était une forte demande plutôt récurrente auprès de nos services. Je suis heureuse aujourd’hui qu’on ait l’opportunité concrète d’amorcer le sujet sur la place publique car cela matérialise le fait que l’on puisse dresser une sorte de bilan du chemin déjà parcouru mais surtout de celui qu’il reste à dessiner. Si Mayotte en est là, s’il est question du droit de vote pour tous et toutes et de la possibilité d’être élu(e) aussi pour une candidate, c’est grâce au combat des femmes françaises au sortir de la Seconde Guerre Mondiale; c’est grâce à la création de lois. Et malgré ces lois, il y a encore beaucoup à faire pour garantir cette égalité homme-femme. Le travail d’imprégnation et de pédagogie doit se faire et commencer auprès de la jeunesse pour qu’on comprenne bien que les femmes qui décident de s’engager en politique, aussi à Mayotte, ont leurs idées et opinions propres et qu’elles ne sont pas à relayer exclusivement au rang de subalternes ». Comprendre que cette parité ne doit pas relever de la simple obligation vécue comme une contrainte législative mais bien de l’enrichissement critique et de l’objective émulation de tous bords pour faire évoluer une société. Cette vision élargie relative aux valeurs de la République, c’est aussi une volonté des entités gouvernementales présentes sur chaque territoire, comme le sont les services préfectoraux dédiés à la Politique de la Ville par exemple, qui ont souhaité associer certains de leurs dispositifs, notamment le Conseil départemental des jeunes, à cet événement.
Ainsi, Marine, Serena et Feïzina, respectivement 14, 17 et 24 ans, ont pour la première fois eu l’opportunité d’en apprendre davantage sur les différentes personnalités féminines qui ont marqué leur empreinte, celles qui composent le paysage politique mahorais mais également sur l’Histoire au final récente et paradoxalement méconnue de leur île…
Moins candide et nuancé, auraient-elles pu se nommer les caillouteuses ?
Entre évolution, modernité et décision, il est aussi un volet traditionnel et historique relatif à la femme mahoraise. Un volet qui se doit d’être écrit, énuméré et connu de tous à jamais; surtout auprès des jeunes générations. Contrairement au caractère plutôt juvénil, passif et inoffensif qu’on attribue inconsciemment à sa définition dans la langue française, le terme chatouilleuse est au final aux antipodes de ce qu’a pu être le déterminisme, le courage, l’avant-gardisme et l’engagement parfois dépourvu d’état d’âme, de ces femmes qu’étaient Zéna M’Déré, Zakia Madi, Coco Djoumoi, Zaïna Méresse, Mouchoula, Echat Sidi ou encore Boueni Mtiti, pour ne citer qu’elles, au regard de la trajectoire qu’elles souhaitaient donner au territoire mahorais et à ses générations futures. Une trajectoire arrachée à la sueur des doigts, certes mais également, par l’intimidation, l’omniprésence, la tension, les jets de pierres, les confrontations et même la Vie… Tel fut le prix à payer pour prétendre à ce droit à la Liberté; un droit pour le coup conjugué au militantisme féminin tout comme le combat pluridisciplinaire qu’il englobe.
Dans un long hommage écrit par Anchya Bamana en l’honneur de ces chatouilleuses, et lu après visionnage, il fut également énuméré les disparités économiques, sociales, professionnelles, intellectuelles et politiques, marquées au détriment des femmes, qui perdurent. Des disparités aussi liées à un poids pesant des traditions et du regard de l’autre qui s’acharnent avant tout contre la gente féminine. En effet, pour être totalement accomplie, une femme doit avant tout construire et bien s’occuper de son foyer, de ses enfants, de son mari… Oui ! Là où certain(e)s fronceront les sourcils face à cette vision plutôt archaïque, la grande majorité, ici, trouvera cela normal. Comme ainsi évoqué dans les échanges, au sein de ce symbolique hémicycle, le célibat de la femme mahoraise est encore un sujet extrêmement tabou, tout comme l’idée qu’elle puisse être autonome, totalement affranchie ou encore s’engager politiquement, sans mentor. Des freins structurels, éducationnels mais qui ne doivent en aucun cas trouver plus ample appui et/ou excuse auprès de l’argumentaire religieux : « La vraie religion musulmane n’empêche rien aux femmes, bien au contraire. Avant de parler de religion, il faut parler d’éducation, de conditionnement des mentalités, d’émancipation. Les hommes qui utilisent cet argumentation religieuse ont pour unique motivation que celle de barrer la route aux femmes. Bien que plus pratiquantes que nous, les chatouilleuses ont été protagonistes du destin de Mayotte et ont préfiguré la parité homme-femme. Elles, elles n’avaient pas eu la chance d’être allées à l’école laïque et pourtant elles ont arraché leur destin. Les femmes mahoraises sont bien plus intellectuelles et compétentes désormais, elles doivent arracher la place qui leur revient. J’ai été précurseuse à ma manière, je le sais; nous dirons que j’ai été à bonne école grâce à mon père… », souligne en souriant l’ancienne maire de Sada.
Bien plus que la ’’simple’’ sphère politique, ce documentaire soulève donc un réel enjeu sociétal pour le territoire local et au delà. Un enjeu d’ouverture de vision et d’esprit qui relève également des missions du service public que se doivent d’enrichir les programmes de Mayotte 1ère, dont le nouveau directeur régional, Toufaili Andjilani — récemment promu et présent à cette occasion — a confirmé depuis toujours son souhait et sa volonté d’appuyer cette mixité politique à travers les émissions proposées. N’ayant pas aspiration à ce que cet événement se limite uniquement à de la projection thématique en petit comité, sa diffusion sur la chaine précitée est déjà en proche programmation, tout comme un travail de réflexion pour pleinement utiliser ce support tel un véritable outil pédagogique, notamment auprès de la jeunesse, futur(e)s citoyen(ne)s de demain et qui sait, peut-être qu’au final Margaret Thatcher, chatouilleuse dans son genre, disait vrai : « En politique, si vous voulez des discours, demandez un homme; si vous voulez des actes, demandez une femme… ».
MLG