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Tribune – « La gestion de l’eau à Mayotte : Changer de paradigme »

Notre chroniqueur Mouhoutar Salim évoque dans une tribune la crise de l'eau sous un autre biais : celui de la maitrise des naissances. Sans prendre en compte cet indicateur, la bataille de l'eau sera perdue quelques soient les infrastructures programmées, estime-t-il. De l'information à l'action, une bataille qui concerne tout le monde.

L’île de Mayotte est touchée par une crise de l’eau d’une ampleur exceptionnelle ayant d’importantes répercussions sur la vie quotidienne des habitants de l’île. Elle est due à l’incapacité des infrastructures en eau à satisfaire les besoins, depuis la ressource en eau, jusqu’à la distribution en passant par la production, le stockage et le transfert.  Cette crise ouverte à Mayotte depuis plusieurs années s’est aggravée en 2023 par le manque de ressource en eau dû à la sécheresse qui touche l’île, et qui a fortement fait baisser les niveaux des ressources utilisées pour la production d’eau potable. Ces pénuries d’eau se durcissent sur un fond démographique dynamique et une précarisation des conditions de vie d’une très forte majorité de la population qui vit sous le seuil de pauvreté (77%[1]). Cette situation a engendré par ailleurs des inégalités en matière d’accès à l’eau et l’assainissement.

Pour faire face à cette situation de pénurie, dans l’attente de l’arrivée de la saison des pluies de plus en plus rare à cause du dérèglement climatique, des tours d’eau sont organisés sur l’ensemble du réseau de l’île, en raison de 18 h d’eau sur 54 h de coupure, de façon à économiser la ressource de tous les captages exploités. Cependant, en raison de la non maîtrise du péril fécal à Mayotte, de l’hygiène précaire et d’un accès aux soins limité, les maladies liées au risque hydrique : diarrhées aiguës, parasitoses intestinales, typhoïde, choléra, hépatite A et poliomyélite sont susceptibles de survenir partout et à tout moment.

ARS, rectorat, Mayotte, Covid
Mouhoutar Salim prône l’action sur la croissance démographique autant que sur les investissements.

En attendant l’éducation de la population aux mesures d’hygiène et l’amélioration du système d’assainissement des eaux usées demandent des actions et des investissements au long terme, le système de surveillance mis en place à Mayotte par les autorités sanitaires, l’identification des cas individuels et l’investigation autour de ces cas permettent pour l’instant une prise en charge rapide des cas primaires, des cas secondaires et une description des foyers de maladie.

Cependant, dans le contexte actuel, la bataille de la quantité d’eau est d’ores et déjà perdue d’avance pour les 5 prochaines années, à cause d’une part du retard d’investissement pour des nombreuses infrastructures et d’autre part, à cause de cette croissance démographique dynamique soutenue et permanente. Sur cette toile de fond et pour faire face aux défis auxquels la gestion de l’eau dans ce 101ième département français est désormais confronté, nous devons changer de paradigme et impliquer davantage les Mahorais dans la problématique de l’eau.

Le maire responsable

En commençant d’une part, par nos élus maires qui doivent prendre leurs responsabilités en matière de production et de distribution de l’eau potable. Conformément au Code Général des Collectivités Territoriales (CGCT) et au Code de la Santé Publique (CSP), ils doivent contribuer à l’amélioration de l’accès à l’eau potable à tous. Actuellement 29% n’ont pas accès à l’eau courante dans leur logement, 5% ont un accès à l’eau potable à la borne fontaine et 6% s’approvisionnent dans la rivière ou un ruisseau (souvent pollués par les eaux usées et les déchets).

Des stations d’épuration en nombre insuffisant et non raccordées aux habitations.

Il faut que nos maires s’intéressent à la maîtrise des rejets d’eaux usées, en exerçant leur pouvoir de police en matière d’hygiène ainsi que leur compétence en matière de lutte contre l’urbanisation illégale. Dans ce cadre, ils doivent favoriser la création dans leurs communes d’un Service Public d’Assainissement non Collectif (SPANC) sur les zones concernées. Rappelons ici que 38 % des résidences principales à Mayotte sont en tôle et 59 % ne bénéficient pas du confort sanitaire de base.

Par ailleurs, le schéma directeur d’assainissement des eaux usées de Mayotte a retenu l’assainissement collectif comme principale solution pour assainir Mayotte. Cet assainissement collectif des eaux usées, compétence du LEMA (ancien SMEAM) n’est toujours pas suffisamment organisé.  Les installations en place dans le patrimoine du LEMA et plus récemment intégré dans celui de la SMAE qui dispose d’une délégation de service public pour l’exploitation des installations d’assainissement collectif des eaux usées disposent d’un parc d’une trentaine de stations d’épuration qui présentent dans leur grande majorité de très graves dysfonctionnements ayant pour conséquences des risques sanitaires et environnementaux importants.

Compte tenu de la rareté grandissante de l’eau à Mayotte, l’idée de l’utilisation des eaux usées traitées ne pourrait-elle pas constituer une source additionnelle d’eau pouvant servir économiquement et efficacement à favoriser le développement ?  Cependant, l’utilisation des eaux usées même traitées, peut soulever des questions d’acceptabilité socioculturelle. Et enfin, les maires doivent organiser la collecte des déchets solides et la maîtrise des rejets susceptibles d’influencer la qualité des eaux en général.

 Valeurs et usage de l’eau

Nombreuses ablutions lors des prières (Photo d’Archive).

La société mahoraise, plus encline à la spiritualité, a ses propres catégories mentales qui rejaillissent sur sa perception de l’eau et son usage. Cette culture mahoraise, y compris la religion, exerce manifestement une influence sur la perception des Mahorais à l’égard d’une ressource telle que l’eau, influence touchant la gestion qu’on lui réserve. Bien que cet aspect ait souvent été négligé dans les réflexions conduites dans les différentes instances de gestion de l’eau à Mayotte, notamment le Comité de l’Eau et de la Biodiversité (CEB), le Comité de Suivi de la Ressource en Eau (CSRE), l’Office de l’Eau etc. Les organismes internationaux[2] reconnaissent de plus en plus l’importance de la culture et des valeurs locales dans la construction des projets. Ces valeurs sont particulièrement importantes à Mayotte où vivent plus de 95% des personnes de confession musulmane, majoritairement mahoraise et comorienne.

Si pour l’humanité en général, la survie et la bonne santé de tous les êtres humains dépendent de l’eau, chez les Mahorais musulmans, on lui accorde une importance spéciale compte tenu de son utilisation qui renforce en plus le sacré lié à la vie et de l’approche non économique de la gestion d’eau. D’abord en tant qu’élément de purification du corps lors des ablutions, c’est-à-dire :

  • Le lavage avant chaque prière « wudu », au nombre de 5 par jours et qui ressemblent à une rivière débordante passant près du portail de chacun de vous, et où il se lave cinq fois par jour.
  • Le bain de purification après chaque rapport sexuel « Djanaba »,
  • Le bain à la fin des menstruations « hidhui »,
  • Le bain après les (20 ou 40) èmes jours suivant l’accouchement « nifassi »,
  • Et avant chaque lecture du coran.

Puis, pour se nettoyer après le passage aux toilettes « utsamba ». Vous avez sans doute remarqué la présence de récipient à eau dans chaque toilette mahoraise pour se laver. Mais aussi pour la toilette mortuaire comprenant l’usage d’eau chaude, des plantes aromatiques, du camphre, des feuilles de (jujubier) (mtsinavu) du coton pour boucher les orifices et du parfum et dans le « lakini » ou viatique : après ensevelissement, on pose la pierre capitale (pierre de tête), on arrose la tombe avec de l’eau propre. Cette représentation toute proche de l’image de vie dans la pratique de ce rituel « lakini » nous rassure quant à l’éventualité d’une meilleure renaissance dans l’autre monde, telle une semence qu’on arrose pour la faire germer.  « Allah a fait descendre du ciel une eau par laquelle il fait revivre la terre après sa mort »[3].

Mais l’eau est aussi un élément de purification du repas. Un repas servi sans eau est considéré comme incomplet « makruh » et propitiatoire. Le Coran dit tout simplement aux humains de servir avec modération des cadeaux de Dieu aux fins de leur subsistance (C7 : V31). Et lorsqu’il vous est diagnostiqué une malchance « utchwabi » en mahorais et que l’on souhaite la rendre plus favorable, on peut vous conseiller une douche avec de l’eau contenue dans une pirogue « Indra howé maji ya lakani ». La promotion dans l’île et surtout dans toutes les mosquées de Mayotte, à la place des rampes de robinet existantes, de Kits-hydro économes permettrait d’économiser un peu d’eau.

 Empêcher la réduction de l’eau disponible par habitant

Lavage des vêtements aux bornes fontaine.

Comme nous l’avons souvent rappelé, l’explosion démographique à Mayotte explique en grande partie cette indisponibilité en eau. Donc l’opportunité de conduire à Mayotte une grande campagne de planification familiale est renforcée d’une part, par cette pression démographique qui crée des déséquilibres majeurs avec une dégradation de l’environnement et l’urbanisation massive le long de certains cours d’eau de l’île, et d’autre part, par le succès des précédentes campagnes Bassi Kandré Karamba pour l’espacement des naissances en 1985 et 1,2,3 Bass pour la limitation des naissances en 1994, qui avait permis d’amorcer une décroissance démographique. Cette maîtrise de la natalité qui requiert ces efforts de prévention et de planification familiale adaptée aux communautés permet de compléter les infrastructures existantes dans le domaine de l’eau.

Cette campagne aura pour objectif d’informer la population, notamment celle nouvellement arrivée et qui est en situation « d’accouchement militant » (faire beaucoup d’enfants qui deviendront Français), sur l’accès à la contraception en renforçant le lien entre contraception et choix de vie. Ceci est étayé par le taux de fécondité par femme aux Comores (6 enfants par femme versus 4 enfants à Mayotte). Elle visera aussi à approfondir les connaissances des femmes et des hommes sur la contraception pour leur permettre de la choisir en pleine conscience, à accroître l’utilisation des moyens contraceptifs et à renforcer l’implication des hommes dans les choix procréatifs de la famille.

Elle concernera toutes les femmes en âge de procréer (15-49 ans) et les hommes, et cible particulièrement les jeunes de 15 à 25 ans, dont les taux de fécondité sont dix fois supérieurs à ceux de la métropole avant 20 ans. Ils constituent donc une tranche d’âge pouvant être particulièrement réceptive aux messages de prévention et favorable à un changement de comportement. Le soutien du Gouvernement renforcerait l’efficacité de cette campagne. Mais la mobilisation de relais d’opinion locaux (élus, collectivités, acteurs associatifs et religieux) est un levier indispensable à la réussite de cette campagne compte tenu des particularités culturelles de Mayotte.

 Sauver pour espérer…

Covid, eau, Mayotte
Le lavage des mains indispensable pour contenir une crise sanitaire

Mais dans l’immédiat dans l’ile aux parfums, il y a une épidémie de gastroentérite aiguë (GEA). Si la survenue de cette épidémie qui persiste depuis plusieurs semaines, à cette période de l’année n’est pas inhabituelle, la situation actuelle de pénurie d’eau rencontrée sur le département, couplée à une baisse de l’adoption des mesures d’hygiène de base liée au manque d’eau a probablement pour conséquence, une intensité et une durée de l’épidémie supérieures à ce que l’on a observé les années précédentes.[4] Ceci constitue un enjeu majeur de santé publique et une course contre la montre pour sauver des vies et nécessite de la part des pouvoirs publics, des mesures rapides pour le bien de la population mahoraise. Sauver pour espérer…, c’est un défi et une gageure !

Salim MOUHOUTAR

Auteur-Conférencier

[1] INSEE :  https://www.iedom.fr/mayotte/actualites/la-lettre-de-l-iedom/juillet-2020/actualites-economiques-locales/article/enquete-insee-sur-les-revenus-et-la-pauvrete-a-mayotte-en-2018-les-inegalites-de-niveau-de-vie-se-sont-creusees

[2] FAO, 1954 et OMS, 1996

[3] Coran S16/V65

[4] https://www.santepubliquefrance.fr/regions/ocean-indien/documents/bulletin-regional/2023/penurie-de-l-eau-a-mayotte.-point-au-6-octobre-2023

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