Les plans blancs s’enchainent à l’hôpital de Mayotte. Deux ou trois fois en 2022, en mai 2023 pour intrusion au Centre médical de référence de Dzoumogné, suivi d’une montée au niveau 2 d’urgence en raison d’une pénurie de soignants en juin, poursuivi jusqu’à aujourd’hui en raison d’un droit de retrait d’une partie du personnel de l’hôpital en réaction aux caillassages répétés contre leur navette. Ils s’étaient rendus en nombre en préfecture le 15 septembre pour expliquer leur démarche, mais depuis, aucune évolution. Un service minimum est assuré, « nous prenons en charge toutes les urgences et la chirurgie fonctionne », nous avaient indiqué les syndicats, mais dans un hôpital fonctionnant déjà en mode dégradé.
Quelques minutes avant l’arrivée du ministre, un patient nous apostrophe, « nous n’arrivons pas à nous faire soigner. Il n’y a que les EVASAN qui arrivent d’autres pays qui sont prioritaires, personne ne veut nous prendre alors qu’on cotise pour cet hôpital! » Depuis le droit de retrait d’une partie du personnel, les consultations ne sont plus honorées.
Dès son entrée au CHM ce mercredi soir, Philippe Vigier était mis au diapason, « Sans les renforts nationaux, nous ne pourrions fonctionner », expliquait le docteur Gravaillac, à la tête des Urgences. Chamboulant l’ordre de la visite, le ministre priorisait les échanges avec l’intersyndicale du personnel soignant dans la grande salle de réunion du CHM. « Je sais que ce que vous vivez est compliqué, je suis venu vous écouter. »
S’en est suivi près d’une heure d’échanges dont l’enjeu devait être de part et d’autre la prise en compte des risques et le retour à un fonctionnement normal des services sous cette condition.
« Soignant, une vocation »
« Nous en sommes ressortis mi-figue, mi-raisin », nous rapporte Zakoini Hamada, président territorial de la CFTC Santé sociaux, qui souligne le geste du ministre, « il est venu nous voir alors que nous n’avions pas demandé d’entretien ». Si la rencontre a duré, c’est que beaucoup de problématiques ont été abordées en plus de l’insécurité, « le désert médical qu’est Mayotte, le manque d’eau, etc. », joliment résumé par le syndicaliste, « on peut dire que le citoyen avait pris le dessus sur l’hospitalier ».
Ils ont eu le sentiment d’avoir été entendus, « sur le droit de retrait le ministre nous a indiqué que c’était justifié par rapport à la sécurité », mais a aussi rajouté que « être soignant, c’est une vocation », et que « notre droit de retrait en se préservant d’un risque ne devait pas provoquer un autre danger. Pas sûr que tous aient entendu cette mise en garde. »
Car le mouvement social empêche le suivi de beaucoup de maladies, les chimiothérapies par exemple ne seraient plus effectuées.
Les représentants syndicaux doivent se revoir ce vendredi pour accorder leurs violons sur la poursuite du mouvement. « Le ministre a évoqué l’arrivée d’escadrons de gendarmerie en plus et l’installation du RAID. De mon côté, je propose que l’on décline le plan Vigipirate en l’adaptant à la délinquance. Nous sommes tous des cibles potentielles. »
A l’image de ses collègues, le représentant syndical garde en mémoire la proposition d’accompagnement par les forces de l’ordre d’il y a un mois, « nous avons accepté, et le soir même malgré cette mesure, nous nous faisions caillasser au même endroit et à la même heure que la fois précédente. Nous demandons un travail plus poussé de la part des services de renseignement ».
De son côté, la CFDT appuie les demandes par un courrier cosigné par les secrétaires nationale CFDT et CFDT Santé sociaux, respectivement Béatrice Lesti et Evelyne Rescanières, et Balahache Ousseni, CFDT Mayotte, et adressé au ministre de la Santé Aurélien Rousseau.
Pointant les crise sécuritaire et de l’eau, il dénonce deux poids de mesures : « Alors que notre pays est capable de faire preuve de solidarité internationale envers des populations dramatiquement touchées par des catastrophes, ce dont nous pouvons être fiers, il laisse un département français dans une situation sanitaire et sociale proche du chaos. La CFDT ne peut pas l’accepter et vous demande d’agir au plus vite pour restaurer la situation sanitaire et assurer la sécurité des agents de la Fonction publique hospitalière dans le cent-unième département français. Il faut un vrai plan stratégique de l’Etat pour le développement de ce territoire dans tous les domaines. »
Anne Perzo-Lafond