Les 18 et 19 août 2025, plus de 220.000 élèves ont repris le chemin de l’école à La Réunion. Cette rentrée scolaire a été marquée par la visite de la ministre de l’Éducation nationale, Élisabeth Borne, qui a multiplié les déplacements dans les établissements de Saint-Denis. Mais derrière l’apparat officiel, un autre sujet s’est imposé : la question des mutations des enseignants ultramarins.
La présidente du Conseil régional, Huguette Bello, a dénoncé avec force un système qu’elle juge profondément injuste. En marge de la visite ministérielle, elle a qualifié la situation de « chassé-croisé indigne » et comparé les affectations des jeunes enseignants titulaires réunionnais à la situation des « enfants de la Creuse ».
« On parle de mutations, mais ce sont des exils »

Pour Huguette Bello, la mécanique administrative des mutations n’est pas une simple gestion des ressources humaines, mais une rupture douloureuse pour les enseignants et leurs familles.
Elle a rappelé que de nombreux jeunes Réunionnais, lauréats de concours nationaux comme le Capes (certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré) ou de l’agrégation, sont contraints de partir à plus de 10.000 kilomètres de chez eux : « On parle de mutations, mais ce sont des exils. Nos jeunes réussissent leurs concours, ils sont compétents, diplômés, mais on les éloigne de leur île comme on l’a fait avec les enfants de la Creuse. »
Quand l’Histoire pèse sur le présent
La référence aux enfants de la Creuse, envoyés de force dans l’Hexagone dans les années 1960-70, souligne la charge symbolique et historique de ce qu’elle considère comme une injustice institutionnelle. En effet, entre 1962 et 1984, plus de 2.000 enfants réunionnais ont été « transplantés » de force dans 83 départements de l’Hexagone pour lutter contre l’exode rural et de peur d’une démographie galopante sur l’île par une société d’Etat, le Bureau des migrations des départements d’outre-mer (Bumidom) — une politique que l’Assemblée nationale a depuis reconnue comme une responsabilité morale de l’État.
Mutations : pourquoi certains partent et d’autres arrivent ?
Le système de mutations des enseignants repose sur un barème national de points, qui prend en compte l’ancienneté, la situation familiale (rapprochement de conjoint, enfants à charge), certaines bonifications personnelles (handicap, maladie) ainsi que le CIMM (Centres d’Intérêts Matériels et Moraux), destiné à favoriser le retour dans le territoire d’origine.

Pour les jeunes enseignants ultramarins fraîchement reçus aux concours, ce système peut se révéler défavorable : avec peu d’ancienneté, ils cumulent peu de points et sont souvent affectés dans des académies déficitaires de l’Hexagone — Paris, Versailles, Créteil — ou dans d’autres territoires ultramarins comme Mayotte.
Dans le même temps, des enseignants plus anciens, venus de métropole ou ayant déjà travaillé dans d’autres DROM, bénéficient de points supplémentaires et obtiennent des postes à La Réunion. Le résultat est que certains enseignants locaux doivent quitter leur île, tandis que des professeurs métropolitains ou d’autres DROM s’y installent. Ce système, légal, nourrit néanmoins un sentiment d’injustice et souligne la difficulté d’appliquer des règles nationales uniformes dans des contextes ultramarins particuliers.
Entre choix individuel et service de l’État : un équilibre délicat
Le système des mutations pose également la question de l’organisation nationale du service public. Les enseignants fraîchement titulaires pour exercer en France doivent parfois accepter d’être affectés dans des académies de l’Hexagone ou dans d’autres DROM, différentes de leurs académies d’origine, selon les besoins identifiés par l’Éducation nationale.

À La Réunion, certains enseignants originaires de l’île souhaiteraient rester sur le département, mais le barème national et les besoins des académies peuvent les conduire à être mutés ailleurs. Huguette Bello a rappelé l’enjeu pour le territoire : « Il s’agit d’un enjeu d’ancrage, de reconnaissance culturelle, mais aussi de justice territoriale. C’est la capacité de La Réunion à former ses enfants, dans sa langue, dans son histoire et dans son identité, qui est en jeu ».
Les syndicats locaux soulignent que certains postes restent vacants sur l’île alors que des enseignants réunionnais partent, et que des professeurs venus de métropole ou d’autres DOM arrivent sur ces postes. Selon le Sgen-CFDT Réunion : « Des professeurs réunionnais doivent quitter leur île, tandis que des enseignants métropolitains ou d’autres DROM arrivent ».
Les tensions entre affectations locales et nationales illustrent la complexité de la gestion des ressources humaines dans les académies ultramarines, où le système tente de concilier les besoins locaux et nationaux tout en assurant la continuité du service public sur l’ensemble du territoire.
Mathilde Hangard