Après un premier projet d’extension de la carrière de Koungou porté en 2021, qui n’a pas abouti, l’entreprise ETPC (Entreprise de Travaux Publics et de Concassage) réitère sa proposition. Pour ce faire, elle a déposé une demande d’autorisation environnementale auprès de l’État. La carrière étant une « installation classée pour la protection de l’environnement » (ICPE), autrement dit une activité pouvant avoir des effets sur la nature et la santé, son extension doit respecter des règles strictes. Afin de décider si ce projet peut être autorisé et sous quelles conditions, l’État doit évaluer les risques et recueillir l’avis des habitants.

La première phase d’examen, qui a abouti sur un dossier, étant terminée (nous reviendrons sur quelques points ci-dessous) c’est la phase d’enquête publique qui débute. Jusqu’au 10 septembre prochain, les habitants auront un libre accès au dossier d’enquête sur le site de la préfecture et à la bibliothèque municipale de Koungou aux heures d’ouverture (du lundi au jeudi de 8 h à 16 h et le vendredi de 8 h à 15 h). Tous les mercredis de 13 h à 16 h, ils pourront également rencontrer le commissaire enquêteur Ben-Madi Rachidi, pour en savoir plus sur le projet et surtout donner leurs avis. « Tous les avis sont les bienvenus, qu’ils soient négatifs ou positifs. Le but est de les récolter puis de les apporter à la préfecture. C’est elle qui tranchera », explique le commissaire, qui tient à avertir qu’après la date butoir, il sera impossible de déposer un nouvel avis.
Un projet d’extension important pour la reconstruction, le développement et l’emploi
ETPC, filiale du groupe COLAS, active depuis 1994 à Mayotte, souhaite étendre l’exploitation de la carrière de roches basaltiques sur environ 11 hectares supplémentaires, afin d’augmenter sa production annuelle et atteindre entre 600.000 et 800.000 tonnes de pierres extraites par an. La société ambitionne d’exploiter ce site pendant 30 ans. En décembre 2023 ETPC indiquait que sans extension, « l’exploitation du périmètre autorisé s’achèvera fin 2024″, soulignant l’urgence d’une telle augmentation.

Le cyclone Chido et l’augmentation de la demande en matériaux de construction accélère d’autant plus la cadence de production.
L’augmentation du site est d’autant plus important que l’entreprise emploie des centaines de personnes à travers les sites d’extraction de Koungou et de M’tsamoudou mais aussi plusieurs points de vente à travers le territoire de produits préfabriqués en béton, de parpaings et blocs ainsi que du béton prêt à l’emploi. Elle participe également à la création d’emplois indirects.
Des impacts forts sur la biodiversité
D’après le dossier déposé par ETPC et les différents plans d’implantation, l’extension de la carrière se ferait vers le sud du site actuel, c’est-à-dire à l’opposé du village. Plusieurs parcelles agricoles, mais surtout des zones naturelles seront touchées. Ces dernières abritent une faune et une flore terrestres mais aussi aquatiques, puisqu’une rivière dévale le terrain concerné.

Des données connues et détaillées dans l’étude d’impact, « des campagnes d’inventaires réalisées sur le terrain par un bureau d’études naturaliste indépendant (…) ont permis de constater que les terrains occupés par le projet ne présentent pas d’enjeu écologique fort », note le rapport. Pourtant, dans le même dossier, dans le volet dédié à l’impact sur la biodiversité, y est écrit : « les impacts forts correspondent notamment à la destruction d’arbres de haute tige, la destruction d’individus d’espèces protégées et la réduction des surfaces de progression et d’alimentation sur la zone du projet. De même, des impacts directs forts sont liés à la perte et la destruction d’habitats aquatiques situés sur le tronçon de l’affluent du Mro wa kirissoni traversant le périmètre d’extension de la carrière ».
Une remarque appuyée par l’avis de la mission régionale de l’autorité environnementale, rendu en 2024, qui note que l’extension causerait « la destruction des milieux naturels et agricoles permettant à des familles de se nourrir et, potentiellement, à la destruction des espèces faunistiques et floristiques ». L’Office Français de la Biodiversité (OFB) identifie aussi plusieurs impacts significatifs sur la biodiversité avec la destruction de cours d’eau et de leur végétation, des risques de pollution, d’érosion, de modification des relations hydriques, de destruction d’espaces naturels et d’habitats d’espèces protégées, de perte de terre fertile, de destruction de nids et de perturbations de la faune et de la flore locales. L’OFB considère aussi que les mesures de remise en état prévues (après l’exploitation) sont insuffisantes et que certains impacts pourraient être limités par des mesures d’évitement ou de réduction plus ambitieuses.
L’étude d’impact note cependant « qu’il est préférable de procéder à l’extension d’une carrière existante, ce qui permet de réutiliser et optimiser les équipements et installations existants plutôt que d’ouvrir une nouvelle carrière nécessitant la mise en place de ces installations ». « La zone retenue pour l’extension présente un faible potentiel agricole et écologique et se fera en direction opposée des habitations, ce qui permettra de réduire les nuisances pour les riverains », ajoute le rapport.
Les risques pour la population de Koungou

Concernant les habitants de Koungou, l’étude revient sur plusieurs points. Pour le bruit, elle indique que « les mesures acoustiques réalisées sur le site montrent que l’impact de la carrière existante est fort », avant de continuer « l’extension est localisée du côté opposé des habitations, ce qui devrait réduire les nuisances pour les riverains ». Du côté de la pollution du sol, l’enquête l’assure, « il n’y aura aucun stockage de produits dangereux ou susceptibles d’entraîner une pollution du sol ou du sous-sol sur le site. L’impact du projet sur les terres, le sol et le sous-sol sera donc limité« . Sur la partie déchets, « les seuls déchets sortant de la carrière seront certains déchets ETPC (terres non polluées, déchets béton, déchets de produits préfabriqués en béton) et les déchets provenant des chantiers du B.T.P. d’autres entreprises. L’impact du projet d’extension en termes de déchets est donc faible ».

Enfin concernant la poussière et la pollution de l’air, « les rejets à l’atmosphère seront principalement des poussières, générées par l’exploitation, la circulation des engins et les gaz d’échappement de ces engins« , note le rapport. « Des mesures sont et seront mises en œuvre afin de limiter les émissions de poussières liées à l’exploitation de la carrière (revêtement et arrosage des pistes, vitesse de circulation réduite, bâchage des convoyeurs, etc.). Les engins utilisés respecteront les normes anti-pollution en vigueur et seront régulièrement entretenus ».
Là encore un organisme public, L’ARS Mayotte en l’occurrence, émet un avis réservé sur le projet d’extension de la carrière de Koungou, sous réserve que l’entreprise prenne plusieurs mesures pour limiter les risques sanitaires et environnementaux : gérer correctement les déchets, entretenir les ouvrages de gestion des eaux pluviales, éviter la prolifération de moustiques, contrôler le bruit, évaluer les rejets de poussières, planter des espèces non allergisantes, sécuriser les zones en cas de pollution accidentelle et respecter les règles de sécurité tout au long du projet.

Souleïmana Saïd Ali, habitant de Koungou, juste à côté de la carrière, ne croit pas en la pertinence de l’enquête publique. Pour lui, l’avis des habitants ne comptent pas forcément, et de toute façon extension ou non, le problème est déjà là. « Dans les quartiers autour de la carrière, l’avis des gens ne compte pas. Pourtant il y a énormément de poussière, chez moi on ne peut pas manger sur la terrasse, on doit nettoyer quotidiennement », confie-t-il. L’homme tient néanmoins à souligner, avec un sourire, que son père a construit la maison avec les matériaux d’ETPC, et qu’il a lui même acheté du ciment pour reconstruire après Chido. Entre le besoin de développement et les inquiétudes liées à l’environnement et à la santé, son exemple illustre bien les enjeux de l’extension. Un dilemme que les habitants du territoire pourraient être amenés à affronter de plus en plus souvent dans les prochaines années.
Victor Diwisch