Il y avait comme une petite ambiance studieuse hier matin au lycée Bamana de Mamoudzou. Les élèves présents sont venus pour passer la redoutable épreuve de philosophie du baccalauréat. « Cette année nous avons un peu près 800 élèves qui passent le bac sur les 2700 élèves que compte notre établissement », indique le proviseur, Laurent Prevost. Depuis la dernière réforme du bac, rentrée en vigueur officiellement en 2021, les élèves sont évalués sur toute l’année à travers un contrôle continu. Ils ne passent seulement que quatre épreuves : deux en mars en ce qui concerne les spécialités, une autre en juin pour la philosophie et le grand oral à la fin du mois de juin. L’année dernière le lycée Bamana avait obtenu environ 82% de réussite à cet examen. « Nous sommes dans la moyenne nationale, mais nous espérons faire encore mieux cette année », confie le proviseur. Aussi pour marquer le coup, le recteur de Mayotte avait fait spécialement le déplacement afin de sonder, mais surtout encourager les élèves.
La présence du recteur en guise de porte-bonheur ?
Arrivé bien avant le début de l’épreuve qui avait lieu à 9 heures, afin d’être calé à l’heure de la métropole (les sujets étant nationaux), Jacques Mikulovic s’est promené dans le lycée afin de palper l’ambiance mais aussi recueillir des réactions. « Vous êtes prêts ? Vous avez bien révisé ? Lance-t-il à un groupe de cinq garçons qui attendaient sur un muret le début de l’examen. – Bof, répond l’un d’eux. On verra bien ». Il faut dire que depuis la réforme, les épreuves du bac ont perdu un peu de leur saveur et ne sont plus autant redoutées qu’auparavant. Avec les énormes coefficients qui leur sont attribuées, certains élèves savent déjà s’ils auront le précieux sésame ou pas. « Les épreuves anticipées de spécialités qui se sont déroulées au mois de mars ont des énormes coefficients, de l’ordre de 16. Si vous les avez réussies et que vous avez été sérieux toute l’année pour les épreuves de contrôle continu, vous êtes quasi certain d’avoir votre bac. En revanche, si vous vous êtes planté, votre réussite à cet examen est sérieusement compromise car la philosophie ne dispose que d’un coefficient de 10 », explique Laurent Prevost.
Le recteur a continué à déambuler dans le lycée à la rencontre des élèves et cette fois-ci il a interpellé un groupe de jeunes filles. « Comment vous sentez-vous ? Interroge-t-il. – Paniquées ! Répondent de concert les quatre jeunes filles. En plus le fait de voir les profs passer devant nous avec les enveloppes contenant les sujets ça ne nous rassure pas, raconte l’une d’elles. – Sur quel thème souhaiteriez-vous tomber ? » Poursuit le recteur. L’une répond la liberté, une autre le bonheur et une troisième la nature. Puis il pose la même question qu’au groupe de garçons. « Vous avez bien révisé ? Mais là, la réponse diffère grandement. – Oui ! Nous avons fait de bonnes révisions. – Pouvez-vous me dire une citation sur la liberté par exemple afin d’argumenter votre propos ? Demande le recteur ». L’une d’entre elles lui cite une phrase d’Olympe de Gouges concernant la liberté sur le droit des femmes.
Puis, afin de tester leur capacité de raisonnement, il leur soumet cette phrase : « Entre le fort et le faible c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère. Comment comprenez-vous cette phrase ? » – L’une des élèves, visiblement inspirée, répond : « Le fort représente l’État et le faible représente le citoyen ». Le recteur leur explique alors le sens de la phrase… : « La liberté c’est la loi du plus fort alors que la loi protège tout le monde ». Puis il poursuit avec une autre citation : « La loi n’est pas juste, mais c’est ce qui est juste qui fait la loi ». A la question : Le recteur vous a-t-il aidé à mieux appréhender l’épreuve ? Là aussi, leur réponse change de celle du groupe de garçons interrogés précédemment. Quand ils répondaient qu’après avoir discuté avec le recteur ils étaient habités par le doute, les filles répondent : « Oui, il nous a données de bonnes citations ».
To be or not to be…
Puis est venu le moment d’ouvrir l’enveloppe contenant les sujets. « Le bonheur est-il affaire de raison ? – Vouloir la paix, est-ce vouloir la justice ? Et enfin un texte du philosophe et anthropologue Claude Lévi-Strauss tiré d’un essai intitulé La Pensée sauvage. Après la lecture des différents sujets, Jacques Mikulovic n’a pas manqué de réagir. « Les sujets de l’épreuve de philosophie sont toujours très intéressants… surtout pour construire la réflexion des jeunes. Ils doivent être capables de se concentrer pour sortir le meilleur d’eux-mêmes. Philosopher c’est comprendre notre environnement. C’est donner du sens aux choses à l’aide de notions comme la vérité, la justice, la paix ou encore le pouvoir.
J’espère que nos élèves vont connaître un grand succès afin qu’ils puissent avoir des perspectives d’études, car on l’oublie souvent mais le bac est le premier diplôme de l’enseignement supérieur. Mayotte a tous les atouts pour réussir et rivaliser à l’échelle nationale. Mais cela passe bien sûr par la maîtrise des savoirs fondamentaux, indispensables au raisonnement et à l’enrichissement intellectuel. Il faut donc insister là-dessus ». Enfin, le recteur a fait part de la mise en place du mois de la lecture qui aura lieu en septembre prochain. « Nous souhaitons que nos jeunes prennent goût à la lecture et qu’ils reprennent leur stylo en main. C’est par l’écriture et la lecture que notre cerveau structure la pensée ».
Autre souhait du recteur de Mayotte à la rentrée prochaine : Expérimenter la mise en place d’un plat unique le midi, gratuit, pour tous les élèves d’un collège ou d’un lycée. « Nous réfléchissons à instaurer progressivement ce dispositif et surtout savoir comment l’organiser car beaucoup d’établissements scolaires ne disposent pas de cuisines ou même de cantines et de réfectoires. Nous allons voir comment nous pouvons répondre au mieux à ce problème de repas qui touche de nombreux jeunes sur notre territoire ».
B.J.