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Les outre-mer dans la Constitution : « changer de paradigme ultramarin est une nécessité »

Pour nourrir le débat sur la place des outre-mer dans la Constitution, la délégation sénatoriale aux outre-mer a organisé en juin dernier une réunion conjointe avec l’Association des juristes en droit des outre-mer. L’objectif, esquisser des pistes de réflexion pour refonder les articles 73 et 74 de la Constitution au regard des réalités des territoires ultra-marins.

« Il est bien des choses qui ne paraissent impossibles que tant qu’on ne les a pas tentées ». Si la question de la refonte constitutionnelle de la place des outre-mer dans la République n’était pas à l’esprit d’André Gide au moment d’écrire ses propos, sa citation sied pleinement à cette actualité au regard des chantiers immanquables en passe de s’engager.

« Aujourd’hui, nous sommes face à un défi : changer de paradigme ultramarin est une nécessité », a prévenu Patrick Lingibé, avocat au barreau de la Guyane et spécialiste en droit public, lors de la table ronde portant sur « Les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ». Une fenêtre d’action semble en effet être sur le point de s’ouvrir compte tenu des interrogations du statut de la Nouvelle-Calédonie. La révision constitutionnelle concernant ce territoire, « à une échéance relativement brève […] ouvrirait une fenêtre d’opportunité pour repenser plus globalement la place des outre-mer dans la Constitution », a informé le sénateur Stéphane Artano.

La crise de la Covid a accentué les lignes de fractures

L’essayiste Loup Viallet sur le plateau de CNews mercredi 27 juillet

Si pour les participants de cette table-ronde, il est « urgent d’agir, non seulement en Nouvelle-Calédonie, mais aussi dans tous les outre-mer », c’est avant tout parce que « les événements récents – la crise du covid en particulier – n’ont fait que renforcer la conscience des spécificités ultramarines et le sentiment d’une évolution nécessaire ». La crise sanitaire, dont « les restrictions infligées à la liberté de circulation ont été très mal vécues outre-mer », s’est greffée à des problématiques structurelles existantes telles qu’un « taux de pauvreté trois à huit fois supérieur » par rapport à l’Hexagone, un chômage plus élevé ainsi que « l’accès à l’électricité ou à l’eau potable dont les populations de certaines collectivités d’outre-mer sont privées ».

S’y ajoute aussi le manque parfois criant de considération de la Métropole. Dernier exemple flagrant en date, symptomatique de cette vision, les propos de Loup Viallet tenus lors d’un débat sur une chaîne d’information en continue le 27 juillet dernier. Il n’avait alors pas manqué d’affirmer que « lorsque des Maghrébins sont en infraction en France et sont sous le coup d’une OQTF (ndlr Obligation de quitter la France) et qu’ils ne peuvent pas quitter le territoire national, qu’on les mette à Mayotte, qu’on les mette en Guyane ». Des propos qui ont fait vivement réagir les parlementaires de l’île au lagon et condamnés par le ministre Jean-François Carenco.

Une situation qui n’est plus acceptée par les outre-mer

Un constat global loin de laisser indifférent Patrick Lingibé : « à l’évidence, il existe une distorsion entre la réalité vue par le prisme républicain et la réalité vécue outre-mer. Il s’agit même d’une discordance totale, qui crée une crise de confiance majeure. Les résultats des dernières élections en témoignent ». Ainsi, à Mayotte, lors du premier tour de l’élection présidentielle, l’abstention a atteint près de 60 % contre 26,31 % au niveau national.

En témoigne aussi l’appel de Fort-de-France du 17 mai dernier, révélateur de « l’urgence d’ouvrir une prise de conscience politique au plus haut niveau de l’Etat ». Lancé par sept présidents d’exécutif ou d’assemblée ultramarins, dont Ben Issa Ousseni, ils ont appelé à « refonder la relation entre nos territoires et la République par la définition d’un nouveau cadre permettant la mise en œuvre de politiques publiques conformes aux réalités de chacune de nos régions. »

Rendre plus lisible les différents statuts des territoires ultra-marins

Si la Nouvelle Calédonie est régie par le titre XIII de la Constitution, les 11 autres territoires ultra-marins sont régis à la fois par son article 73, pour les Départements et Régions d’Outre-Mer dont Mayotte fait partie, et son article 74 en ce qui concerne les « collectivités d’outre-mer ». Or depuis la révision constitutionnelle de 2003, les « déclinaisons statutaires sont cependant nombreuses au sein de chacun » de ces articles, renseigne Isabelle Vestris, maître de conférence à l’université des Antilles.

La grande pauvreté, une problématique d’envergure en outre-mer

Une lisibilité qui s’est atténuée encore davantage avec l’instauration en 2003 des collectivités d’outre-mer qui « contribue certainement à brouiller la distinction entre les catégories statutaires des articles 73 et 74 », poursuit-elle. Ainsi, dans « un contexte marqué par des revendications en faveur de l’autonomie de la Guyane et alors que des voix s’élèvent pour réclamer ‘un cadre constitutionnel rénové’ pour les outre-mer, le cadre constitutionnel actuel présente donc des insuffisances ».

Des pistes de réflexion quant à la méthode à mettre en œuvre

Quelles solutions peuvent-être envisagées afin d’aboutir à cette rénovation constitutionnelle ? Pour Isabelle Vestris, il pourrait être considéré « de fusionner les articles 73 et 74 dans ce qu’on pourrait appeler une ‘clause outre-mer’, comme il existe des clauses Europe, par exemple, dans certaines Constitutions ».

Une refonte de ces deux articles est a minima à envisager selon Stéphane Artano, « avec deux variantes : l’une minimaliste qui renverrait largement à des lois organiques ad hoc pour chaque outre-mer – les statuts à la carte – et l’autre maximaliste qui détaillerait dans la Constitution, la boîte à outils à disposition des outre-mer ». Néanmoins, conseille le sénateur, quelle que soit la manière dont la révision est envisagée, « le statut ne doit pas rester cantonné aux débats de techniciens. Le véritable enjeu, c’est qu’il réponde aux besoins de la population ».

Pierre Mouysset

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