Feu vert pour les pelleteuses qui ont commencé à faire le ménage dans les cases de la montée de Talus 2 ce lundi. Toutes n’étaient en effet pas à détruire, et l’un des occupants, un propriétaire, regardait le bruyant ballet de son balcon, et recevait même la visite du préfet.
De telles opérations, Mayotte en a vu un paquet puisque environ 2.000 cases ont été détruites en deux ans. Cette fois, entre la date du 25 avril de lancement officiel mais non effectif de l’opération Wuambushu, deux recours en justice. Ont-ils permis des avancées sociales ? C’est difficile à dire vu que les familles supplémentaires prises en charge ce week-end par la permanence sociale de la mairie, 16, auraient de toute façon attendu le dernier moment de la démolition, nous explique-t-on. En tout cas, c’est un feu vert du tribunal administratif sur le format des relogements qu’a obtenu la préfecture, faisant tomber de fait le recours au tribunal judiciaire.
6h30, quasiment tous les acteurs sont en place, sous la houlette de la chef d’orchestre, Psylvia Dewas, nommée le 6 février 2022 chargée de la résorption de l’habitat illégal et de la construction de logements sociaux et de villages relais-logement auprès du préfet de Mayotte. Elle entame le briefing auprès des forces de l’ordre, gendarmerie nationale et police municipale, et des acteurs privés et publics, entreprise Tetrama et EDM. Manque la SMAE annoncée pour plus tard. Et rappelle aux médias la destruction de 162 cases sur cette opération, touchant 86 familles. « Environ la moitié a accepté nos offres de relogement, c’est mieux qu’à Doujani où elles n’avaient été que 25% dans ce cas. » Les médias nationaux sont pour l’occasion de retour à Mayotte ainsi que le service de communication du ministère de l’Intérieur.
État de dénuement
Un tiers des habitants a la nationalité française, rapporte le préfet Thierry Suquet arrivé sur zone, « nous construisons avec eux et avec les étrangers en situation régulière un parcours vers le relogement sur le territoire communal, avec une garantie de rescolarisation et la prise en charge du stockage de leurs meubles. On sait qu’une partie de ceux qui habitaient ici se réinstalle ailleurs, généralement parce qu’ils ne sont pas en situation régulière, c’est pourquoi nous menons des actions de démolition en flagrance sous 48h avec les maires qui le demandent, et qui peuvent aussi nous proposer de nouveaux périmètres de démolition. »
Ce sont donc des tranches de vie qui ont commencé à partir en miettes sous l’effet des premiers coups de pelleteuses qui attaquaient l’abrupte pente de Talus. Avec d’un côté la difficulté humaine de mener ce genre d’opération, de l’autre, la certitude que l’on sort des occupants de leur précarité, « le refus de relogement, c’est un faux procès qu’on nous fait. Nous mettons fin à une vie d’insalubrité de ces occupants, qui mettent leur santé en danger », soulignait Thierry Suquet. Le rapport d’insalubrité de l’ARS est la pour le valider. Et les témoignages recueillis l’attestent.
A 7h15, les gendarmes se rendent individuellement dans chaque case pour une « levée de doute », « une confirmation qu’il ne reste aucun occupant, aucun bébé, avant destruction ». Deux transports sanitaires sont prévus pour une famille vivant sur le site avec des enfants polyhandicapés. Un témoignage d’un travailleur social est éloquent : « Lorsque nous sommes entrés dans l’habitation, ils vivaient dans un état de dénuement avancé. Peu vêtus, il n’y avait pas d’adulte à leur côté ». La famille fait partie des personnes relogées, et accompagnées par une association.
Un terrain instable
7h30, les premiers bruits de démolition se font entendre, et quelques minutes plus tard, la petite pelle sur chenille grignote la pente qu’elle va gravir peu à peu. Non sans risque, nous explique Cyril Lemarchand, Conducteur de travaux chez Tetrama qui a déjà procédé à une quinzaine opérations de démolition. Il nous indique avoir déployé 7 engins, 4 pelles, 2 chargeurs et une tractopelle : « Nous commençons par le bas en attendant que l’électricité soit coupée par EDM sur les hauteurs. Ensuite, les engins sur chenilles gravissent la pente, qui peut manquer de stabilité, un engin peut parfaitement glisser, c’est pourquoi nous avons mis nos meilleurs gars. » L’un d’entre eux faisait un malaise, nécessitant l’intervention du SMUR et des pompiers.
8h, la SMAE n’est toujours pas arrivée, et un tuyau percé par une pelleteuse, fuit à gros jets. Spectacle navrant en période de coupure trihebdomadaire de habitants de l’île. « Apporte du fil de fer qu’on ligature la conduite d’eau ! », lance Cyril Lemarchand, stoppant la fuite.
Accompagné par un gendarme, un homme entre dans une case et en ressort avec vaisselle et jeux d’éveil pour enfants. « Qu’est ce que ça vous fait d’être obligé de quitter comme ça cette case ? », se tend un micro qui se veut empathique, « je récupère les affaires d’une occupante de cette case qui appartenait à mon père. Mais cette démolition de Talus 2, je trouve ça normal, ça va dans le sens du développement de Mayotte ». Les micros s’éloignent.
Les démolitions de barres d’immeubles insalubres en métropole d’occupants en règle recueillent rarement autant de marques de soutien ou de recours judiciaires.
Talus 2 est mort, vive les Jujubiers
C’est sur un foncier appartenant au conseil départemental et qui devra donc être rétrocédé à la mairie que sera construit le programme « Jujubiers » de 50 logements par la SIM. « Sur une zone en aléas fort, nous sommes obligés de reconstruire sur une surface exactement équivalente », nous indique Mélanie Guilbaud, DGA Développement urbain à la mairie de Koungou. Comme pour l’opération de Résorption d’habitat insalubre de Carobole, des conventions de relogement seront signées avec les habitants.
En attendant, ces derniers sont donc momentanément relogés pour des périodes de 21 jours à 6 mois renouvelables, avec une participation d’environ 50 euros, « ils sont aidés pour cela. Beaucoup ont des droits qu’ils ne font pas valoir », nous expliquent les services sociaux de la commune.
Présent sur le site, le maire de Koungou sait que la nuit a été dure, que les caillassages ont été menés dès 21 h ce dimanche soir. « Ce sont des représailles, elles ne doivent pas nous faire changer de cap. Nous sommes mobilisés dans une logique de démolir pour reconstruire. Nous avons pris du retard dans les programmes en raison des procédures judiciaires. Plusieurs programmes de construction devraient débuter d’ici la fin de l’année. » Quelques secondes avant que le maire ne remonte dans sa voiture, une trentaine de gamins alentours hurlent des menaces, « on te retrouveras, on sait où tu habites », sans personne pour contrer des paroles certainement reprises de bouches adultes.
Quelques minutes auparavant, le préfet rappelait que 7 autres arrêtés de déconstruction d’habitat insalubre avaient été publiés au registre des actes. Quatre concernent Dzaoudzi Labattoir (deux aux Badamiers, deux à Mbouyoujou), deux à Koungou, (Talus 2 et Barakani), un à Longoni (déjà opéré) et un à Bandrélé Hamourou. Pas de dates livrées par Thierry Suquet qui évoquait une nécessaire « agilité opérationnelle ». Et pas seulement parce que des caillassages sont systématiquement menés sur les zones démolies, mais en raison de dépôt de recours comme actuellement à Barakani, lieu où doit être érigée une station d’épuration. Aux 8 opérations de ce prévisionnel, 8 autres vont se rajouter, « nous allons ainsi atteindre les 1.000 cases insalubres », un quota fixé par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin.
Avec la relance de l’opération de démolition Talus 2 et la reprise des reconduites à la frontière, par voie maritime et « 25 par voie aérienne », ainsi que le glissait le préfet, et « 230 interpellations en un mois », le train-train de lutte contre l’immigration clandestine reprend à Mayotte, encore très éloigné de la vitesse que voulait imprimer Wuambushu.
Anne Perzo-Lafond