Piégé par son portable sur écoute, Maftouhou M. ne pouvait faire autrement que d’avouer son activité, mais tentait avec son avocat, de nier en être la tête de réseau, qui permettait également d’inonder le marché mahorais de cigarettes de contrebande.
Né dans le petit village de Kangani au Sud-Ouest d’Anjouan, il est accusé d’avoir fait venir des passagers et des marchandises depuis les Comores entre juillet 2022 et mars 2023, en dirigeant une « bande organisée », faite de guetteurs, de passeurs, de taxis mabawa (clandestins), etc. « Bien que vous ayez changé de numéro, nous avons les messages que vous avez échangés avec les différents protagonistes, et c’est toujours vous qui donnez les ordres », lance la présidente de l’audience Julie Vignard.
En décembre 2022, un des kwassas est intercepté, induisant une Interdiction de Territoire Français pour lui et le passeur. Il revient malgré tout en janvier 2023.
Il est en attente de jugement d’une accusation de vol avec arme et violences aggravées dans une autre affaire, antérieure aux faits.
Les enquêteurs ont sorti leur calculette pour additionner les différents trafics, en se basant sur ses aveux lors de la garde à vue, notamment sur l’existence de trois réseaux. Un peu à la manière d’un problème de mathématiques. A raison de 9 ballots de 25 à 50 cartouches transportés par plusieurs kwassa des trois réseaux sous sa direction, et de son gain avoué de 2 euros par cartouche, et de seulement 60 euros – toujours avoués -par passagers qui payaient 500 à 600 euros la traversée, « vous vous êtes fait 12.000 euros, et encore, c’est en se basant sur vos dires », entame le procureur Yann Le Bris. Une réquisition qui va dévoiler un pan de ce qui se trame chez les organisateurs de réseaux aux Comores.
« Vous n’arriverez plus à arrêter les kwassa »
En garde à vue, le prévenu explique que 60% des beachages se font sur une plage de Bandrélé à Mayotte, « vous avez précisé que votre commune de Kangani à Anjouan ‘détient le record de tous les départs’ ». Le procureur poursuit : « Vous avez même eu une vision prophétique de ce qui nous attendait. Tout d’abord en expliquant que les autorités comoriennes s’étaient déplacées à Kangani, mais que les habitants les avaient empêchés, vous avez lâché, ‘maintenant, on est tranquille à Kangani, du coup, l’usine de kwassa s’y est installée et a quitté Domoni’. Ensuite en livrant aux enquêteurs, je cite, ‘un jour, vous n’arriverez plus à arrêter les kwassa, car nous préparons des bateaux plus costauds avec des moteurs de 150 chevaux !’ ».
Un commerce « très bien structuré », et Yann Le Bris cite encore le prévenu, avec à Mayotte, ses guetteurs, ses taxis qui empochent 50 euros pour ramener leur monde dans les villages, « le territoire est en partie gangréné par de multiples intervenants à l’intérieur et sur l’eau, comme certains pêcheurs qui avertissent de la présence de la gendarmerie maritime. » Sur la période de surveillance, il lui est reproché d’avoir facilité l’entrée sur le territoire de 6.000 étrangers. Pour comparaison, c’est autant que les interceptions par les moyens nautiques de l’opération Shikandra sur les dix premiers mois de l’année 2022.
Pour l’instant le commerce de Maftouhou M. est stoppé pour 5 ans, c’est le temps qu’il passera en prison, grâce au mandat de dépôt délivré par le juge, peine assortie d’une nouvelle Interdiction de Territoire Français.
Anne Perzo-Lafond