C’est plus qu’un cinéma et son pôle culturel qui ont été inaugurés ce samedi à Chirongui. Dans son discours, la maire Hanima Ibrahima Jouwaou/Roukia Lahadji, l’a martelé, « le temps des MJC est révolu ! » Ce n’est pas l’emballage qui est mis en cause, mais le contenu, « leurs beaux murs n’abritent que des toiles d’araignée ». Et ce n’est pas d’aujourd’hui. C’est par exemple une vieille MJC de Kawéni désaffectée que l’Agence de rénovation urbaine a récupéré pour la retaper et en faire sa Maison de projet. Pendant ce temps de nouveaux murs étaient érigés un peu plus loin, pour satisfaire la demande de la population, mais en matière de Jeunes et de Culture, la programmation n’est pas à la hauteur des attentes. Les associations de quartier se disent exclues, alors que les jeunes sont en demande de proposer spectacles et animations, nous ont-elles fait remonter. Le sous-préfet Edgar Perez enfonçait le clou, « sortons du naufrage des MJC pour aller vers une culture de projet avec une vision partenariale, élus-Etat-entreprises ».
Chirongui veut donc proposer « une offre de culture innovante », avance sa maire, notamment grâce à une salle de cinéma de 198 places. Chaque mois, trois semaines de projection, « avec des films récents, notamment en 3D », et une semaine de spectacles culturels, concerts, théâtre ou danses traditionnelles. D’ailleurs un premier programme* était distribué. Présents pour l’inauguration de cette infrastructure cofinancée, les représentants du préfet, Edgar Perez, et du président du conseil départemental, Nomane Ousseni et Insya Daoudou, ont pu tester les fauteuils de la salle de cinéma, munis de tablettes pour sa transformation en salle de conférence.
« Les élus refusent de s’engager sur de longs projets »
L’investissement se monte à 5 millions d’euros, dont 2,7 millions injectés par l’Etat et 500.000 euros par le conseil départemental. Un conseil départemental qui était en filigrane dans les conversations du jour, pour son incapacité à gérer le cinéma de Mamoudzou, fermé depuis 2014.
Que la commune de Chirongui pallie ce manque chez les cinéphiles, fut donc un gros défi, rapporte Hanima Ibrahima Jouwaou, qui remerciait ses élus d’avoir cru au projet malgré les difficultés de foncier, et les retards accumulés. L’intercommunalité du sud reprendra la gestion ultérieurement lorsqu’elle se sera dotée de compétences, explique son président Ismael Mderemane Saheva. Il mettait l’accent sur l’ambition et la nécessité de ne pas se limiter dans ses rêves : « On se plaint du manque de spectacle à Mayotte, mais il faut s’en donner les moyens. Or, les élus ne veulent pas s’engager sur de longs projets qui n’aboutiront qu’après l’échéance de leur mandature ! »
Des films valorisant l’île
Le Pôle culturel Abaine Madi Dzoudzou trône en bordure de route, baptisé du nom d’un homme qui aura marqué plusieurs générations. C’est son fils, le docteur Abaine, médecin du travail à Mayotte, qui retracera son influence : « C’était un instituteur du Sud qui fut ensuite conseiller pédagogique. Il nous a instillé à nous ses enfants, mais aussi à des générations entières, l’appétit pour le savoir. Que ce soit à la maison, aux champs ou à l’école, il nous faisait réciter en permanence, et toujours en français. Et il faisait pareil pour son entourage ! » Le Pôle culturel devra être à la hauteur de ce parrainage de haut vol.
Elle pourra compter sur l’impulsion du rectorat, comme nous l’expliquait Gilles Halbout : « Nous mettons en place une formation aux métiers du cinéma d’animation au lycée de Chirongui, qui vient compléter la section audiovisuelle du lycée de Mamoudzou nord. Et en lien avec le ministère des Outre-mer, nous montons un projet avec l’académie de Clermont-Ferrand, deuxième plus grande communauté mahoraise de métropole, pour inciter les jeunes à tourner des films valorisant l’île. » Il avait quelques minutes avant surfé sur l’exemple donné par Abaine Madi Dzoudzou : « Victor Hugo disait, ‘Chaque enfant qu’on enseigne, c’est un homme qu’on gagne’, c’est le projet qu’on doit avoir », en concluant en shimaore (sans note), « wusoma, wuangiha, wuhasibu » (lire, écrire, compter).
Une réalisation qui tient à la volonté d’une femme, Hanima Ibrahima, qui a su s’entourer et faire preuve de ténacité. En matière d’innovation culturelle, Edgar Perez annonçait le proche aboutissement à Mayotte d’un projet mené avec le musée de la Villette à Paris, « celui de l’accès virtuel aux expositions proposées en métropole, grâce à la mise à disposition de casques d’immersion en 3D ».
L’association Shiromani de Chirongui, concluait la matinée, avant l’inauguration de la structure et la projection de films en après-midi.
Anne Perzo-Lafond
* Samedi 29 février à 20h, concert de El-Had qui jouera son Utende. Samedi 21 mars à 20h, danse hip-hop avec Kenji. Samedi 18 avril, contes africains avec Audrey Falise et Karamoko Sanogo. Pendant ces trois mois, exposition de Véronique Massenot. Vernissage le 31 janvier à 16h30