À Mayotte, La Réunion ou encore en Guadeloupe, le salon sert parfois de dortoir. Trois générations s’y croisent, entre repas partagés avec les grands-parents, devoirs d’école, et lessives étendues. En 2022, jusqu’à 5 % des ménages des départements d’outre-mer (DOM) sont dits « multigénérationnels », contre 1 % dans l’Hexagone, selon une étude de l’Insee (Focus n°365, 30 octobre 2025).
Le foyer comme refuge et fardeau

Dans ces foyers dits « complexes », selon le jargon de l’Institut, cohabitent ascendants, descendants, parfois familles monoparentales et proches isolés. 144.500 personnes vivent ainsi sous le même toit dans les DOM. Ces ménages, plus soudés que jamais, sont aussi les plus fragiles : logements trop petits, emplois rares, budgets serrés.
« Ces ménages se caractérisent par une suroccupation plus fréquente et des taux d’emploi inférieurs. Les femmes y sont surreprésentées », souligne l’Insee.
La solidarité familiale y tient lieu de protection sociale, mais elle repose aussi sur des épaules souvent féminines. À Mayotte, six adultes sur dix dans ces ménages sont des femmes. Elles assurent la garde des enfants, les soins aux aînés et le bon fonctionnement de la maison, souvent au détriment de leur propre emploi.
Des logements saturés, des vies contraignantes

Et quand les générations s’entassent, l’espace se réduit : 71 % des foyers multigénérationnels vivent dans un logement suroccupé à Mayotte, 66 % en Guyane, 35 % en Guadeloupe et Martinique. Derrière ces chiffres, des chambres partagées, des horaires décalés, une intimité quasi absente.
Et plus la maison déborde, plus l’emploi recule : le taux d’activité chute de 5 à 10 points selon les territoires. Les femmes, majoritaires dans ces ménages, sont aussi celles qui travaillent le moins, non par choix, mais faute de place, de temps, ou de modes de garde.
« Plus de 60 % des ménages composés de deux familles monoparentales vivent dans des logements suroccupés », précise encore l’étude. Autrement dit : dans ces foyers où la solidarité est vitale, elle peut aussi devenir un piège, celui de la promiscuité et du renoncement.
La famille, rempart et limite

Depuis 1990, la cohabitation entre générations recule aux Antilles et à La Réunion, mais reste stable en Guyane, où le modèle de la famille élargie perdure. Le schéma le plus courant, c’est une famille monoparentale hébergeant un parent âgé. Ces ménages incarnent la résilience locale (entraide, transmission, débrouille), mais aussi ses limites : difficultés d’accéder à un logement autonome, dépendance économique, surcharge mentale des femmes.
La maison reste le socle, le cœur de la vie sociale et affective. Mais quand les mètres carrés manquent et que les revenus stagnent, la solidarité familiale s’étire jusqu’à la rupture. Dans les DOM, même si la famille ne se choisit pas, elle continue malgré tout à tenir debout.
Mathilde Hangard


