Attentifs, curieux et surtout volontaires, une cinquantaine d’élèves du lycée polyvalent du Nord suivent avec attention les consignes de deux gendarmes venus les former à la médiation scolaire, ce mardi 23 septembre. A la fin de la semaine ils seront prêts à endosser le rôle d’élèves pairs au sein de l’établissement qui accueille plus de 2.260 lycéens, issus de 13 villages différents.
Un relai entre les villages, le lycée et la gendarmerie

« Les élèves pairs poursuivent deux objectifs : lutter contre le harcèlement scolaire et prévenir l’insécurité en contribuant à désamorcer les conflits », explique Étienne Genin, CPE de l’établissement depuis trois ans et responsable du dispositif.
« Beaucoup de jeunes ont envie de s’investir dans le bien- être de leurs communes, mais il leur manquait un outil. La formation leur offre un moyen d’agir en leur offrant une reconnaissance, un statut. Elle crée un lien fort entre la jeunesse, la gendarmerie et l’établissement », remarque Noël Sanchez, proviseur du lycée polyvalent du Nord.
« Plus nous aurons de jeunes impliqués, mieux ce sera. Nous en comptons 50 aujourd’hui, mais nous en aimerions 100, 150. Au sein du lycée leur mission est de désamorcer les petites tensions avant qu’elles ne s’enflamment. Progressivement, ils agissent aussi dans leurs villages. Ils communiquent, apaisent, rapprochent les jeunes entre eux. C’est une dynamique qui dépasse les murs de l’établissement ».

« Les élèves pairs jouent un rôle essentiel : ils nous rapportent les tensions et les conflits qui se passent dans les bus et dans leurs villages, des informations auxquelles nous n’avons pas accès autrement », souligne Bina Amdjadi, agent de prévention et de sécurité auprès de l’établissement. « On peut ainsi agir avant qu’il y ait des répercussions dans le lycée. Une fois qu’on a l’information, quand on sait que deux villages vont arriver au lycée avec des tensions, on interpelle les leaders pour mettre en place une médiation. Même chose pour les problèmes dans les bus : on réunit les protagonistes pour calmer les choses. D’où l’importance d’être informé le plus tôt possible, et c’est ce que permettent les élèves pairs », ajoute Noël Sanchez.
« Ce n’est pas de la délation mais de la prévention »
« Au début, certains craignaient d’être vus comme des délateurs, mais peu à peu, cette perception a changé : aujourd’hui, ils sont fiers de ce rôle. Ce n’est pas de la délation, leur mission, c’est la prévention », note le proviseur qui aimerait voir se généraliser ce dispositif à travers le territoire.

« L’an dernier, des individus cagoulés et armés de machettes ont agressé des élèves devant le lycée. Cet événement aurait pu être interprété comme une attaque inter-villages et provoquer des représailles. Grâce au relais des élèves pairs, le risque d’escalade a été évité », continue Étienne Genin. « Ils sont même allés dans chaque classe pour transmettre ce message, transformant un réflexe de vengeance en confiance dans l’État et la gendarmerie. Cette dernière a d’ailleurs identifié les responsables. C’est bien la preuve que les élèves pairs sont un dispositif de confiance », insiste Noël Sanchez.
Un évènement dont se souvient parfaitement Haoudhoi, élève pair depuis deux ans au sein du lycée, résidente de M’tsangamouji. « Les élèves pairs mais aussi d’autres lycéens se sont réunis pour empêcher les délinquants de rentrer dans le lycée », se remémore la lycéenne en classe de terminale.
« Un jour il y a eu des caillassages sur le bus qui m’emmenait à l’école, entre Dzoumogné et Bandraboua. Les élèves de Dzoumogné ont été attaqués et une fois arrivée au lycée, nous les élèves pairs, on a permis d’empêcher le conflit », raconte Sahara, de Dzoumogné, elle aussi élève en terminale. « Je suis fière de pouvoir contribuer à diminuer le danger autour du lycée ».
Une mission pour le bien-être de tous
Une fierté qu’elle a acquise progressivement au fil de ses missions et des résultats concrets observés sur le terrain. Etre élève pair c’est aussi s’exposer aux critiques et aux craintes de sa famille. « Il m’est arrivée d’entendre d’autres élèves me dire : t’es une élève pair, t’es qu’une balance, on veut pas te parler ! », relève Maïmoune, lycéenne en terminale, originaire d’Acoua. « Mais on se laisse pas abattre et on arrive progressivement à montrer aux gens qu’on n’est pas des balances mais des témoins. On montre aussi aux autres élèves qu’on est là pour eux, qu’ils peuvent nous parler au quotidien ».
« Ma mère n’était pas d’accord que je devienne élève pair, il a fallu plusieurs discussions entre elle et les membres de la direction pour que j’obtienne son autorisation », se rappelle Haoudhoi, « elle avait peur à l’idée que je m’attire des problèmes ». « Moi mon père m’encourage à continuer, je suis contente ! », interpelle Maïmoune.
Les gendarmes et l’établissement s’assurent que les élèves pairs représentent chaque village du territoire pour créer un maillage efficace au lycée et en dehors. Les formateurs observent aussi que l’engagement féminin est particulièrement fort parmi les élèves pairs.

« Pourtant c’est important que les garçons deviennent des élèves pairs », rétorque Yasser, en terminale, originaire d’Acoua. « Beaucoup hésitent car si tu deviens élève pair tu ne peux plus participer aux bagarres. Personnellement le dispositif m’a beaucoup aidé, beaucoup appris. Lors d’une situation conflictuelle je n’hésite pas à agir, le but n’est pas de nous mettre en danger mais de dire aux élèves d’aller s’abriter, de les rassurer ».
Avant de rejoindre leurs camarades pour poursuivre la formation, les élèves ont souhaité faire une visite de l’établissement pour montrer que la sécurité y est garantie et que les élèves y vivent dans une atmosphère paisible. « Le lycée du Nord, c’est bien ! Ici, on est tous solidaires !« , appuie Haoudhoi.
« Les élèves se sont rendu compte que sans violence, la vie est plus belle », retient Noël Sanchez, « ils veulent préserver cette atmosphère au lycée, et se disent : si cela fonctionne ici, pourquoi pas dans nos villages ? Les élèves pairs sont les porteurs de ce message ».
Victor Diwisch