Saïd Omar Oili fustige la stratégie quinquennale de reconstruction

Dans un dossier attendu, l’élu mahorais critique les incohérences, le manque de transparence financière et l’absence de cadrage global du plan gouvernemental pour Mayotte 2026-2031.

Le 17 juillet dernier, nous écrivions que la stratégie quinquennale 2026-2031, dévoilée au CIOM, se présentait comme une feuille de route « ambitieuse », mais déjà critiquée pour ses limites, notamment en matière de lutte contre l’immigration clandestine.

Depuis, la presse attendait le dossier complet du sénateur Saïd Omar Oili. C’est désormais chose faite : dans une analyse détaillée, l’élu dénonce une stratégie « fragile », « incohérente » et « trop éloignée des réalités du territoire ». 

« Mayotte débrouille » plutôt que « Mayotte debout »

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D’après l’élu, le document stratégique ne détaille ni les moyens humains et financiers détruits par le cyclone, ni le calendrier de leur rétablissement.

« Plus de huit mois après le passage du cyclone Chido, la stratégie quinquennale a été présentée sans les élus du territoire », regrette Saïd Omar Oili. Le sénateur pointe le manque de bilan complet des dégâts, estimés à 22,1 millions d’euros, et surtout « les imprécisions, voire contradictions sur les moyens financiers à déployer ».

L’État a promis quatre milliards d’euros pour la refondation de Mayotte, mais l’élu doute de la concrétisation de ces engagements : « Pour l’instant, c’est Mayotte débrouille qui domine. », utilisant une formule cinglante en réponse au slogan du plan « Mayotte debout », dévoilé par le Premier ministre François Bayrou lors de sa visite à Mayotte les 30 et 31 décembre 2024, qui visait à rétablir les services essentiels après le cyclone et poser les bases de la refondation du territoire.

Un plan sans cadrage et une gouvernance confuse

Au cœur de ses critiques, l’absence d’un Schéma d’aménagement régional (SAR), pourtant cadre légal et nécessaire à toute politique de reconstruction. Le document « ne repose sur aucun outil de planification », ce qui risque de bloquer des investissements stratégiques, selon lui. La gouvernance est également jugée « confuse ». La multiplication d’instances (CODIR, COSTRAT, comités de suivi…) pourrait risquer de diluer les responsabilités. « Une profusion d’instances sans articulation claire n’est pas gage d’efficacité », s’inquiète le sénateur.

Immigration : un traitement indigent

En mai dernier, le sénateur Saïd Omar Oili avait reproché la diffusion tardive du rapport préfectoral concernant l’immigration, pointant du doigt un déficit de transparence lors des discussions parlementaires sur la refondation de Mayotte.

En continuité de son alerte du 17 juillet dernier, la lutte contre l’immigration clandestine à Mayotte reste, selon le sénateur, une priorité mal traitée depuis vingt-cinq ans. La stratégie quinquennale 2026-2031, centrée sur le renforcement des moyens de surveillance maritime et terrestre, et la création d’un état-major interministériel (EMOLIC), peine à produire des résultats tangibles.

Les chiffres le confirment : en 2024, les reconduites à la frontière ont chuté de 21 %, et les interceptions en mer de 25 %, avec seulement 61 % des kwassas interceptés contre 79 % en 2023. Pour le sénateur, cela traduit « un décalage entre les politiques publiques et la réalité du terrain ». L’amendement du sénateur, visant à clarifier ces points cruciaux, a été supprimé en Commission Mixte Paritaire, laissant un certain vide opérationnel sur ce dossier pourtant prioritaire.

Le foncier, une bombe à retardement

La régularisation foncière, cruciale pour la sécurisation des projets publics, est abordée de manière « opaque et irréaliste » dans la stratégie. Près de 200 000 titres de propriété seraient encore à émettre. Mais le processus affiché – « titrement possible à partir de janvier 2026 » – est jugé « prématuré » et « voué à l’échec » sans diagnostic préalable, d’après l’élu, qui plaide pour une véritable concertation locale, rappelant l’expérience de la commission de révision de l’état civil en 2000, comme modèle d’expérimentation collective.

Un contexte hydrique tendu

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Plus de deux ans après ce qui a été qualifié de « crise de l’eau », Mayotte continue de subir des coupures d’eau de 36 heures tous les deux jours.

Mayotte traverse une crise de l’eau significative. Depuis plusieurs jours, les habitants subissent des coupures pouvant atteindre trois jours par semaine. La situation s’est encore aggravée depuis le 27 août, lorsque l’usine de dessalement de Petite-Terre a été confrontée à une série de pannes techniques, réduisant au minimum sa production et étendant la pénurie jusqu’en Grande-Terre, à Mamoudzou.

La stratégie quinquennale pour l’île prévoit la fin des tours d’eau d’ici 2027 grâce à une deuxième usine de dessalement, de nouvelles retenues collinaires et un renforcement des capacités d’assainissement. Mais pour le sénateur Saïd Omar Oili, ces échéances sont « irréalistes ». Hormis le coût connu de la troisième retenue collinaire, estimé à 100 millions d’euros, « aucun budget n’est détaillé », souligne-t-il. Les dégâts laissés par le cyclone Chido pourraient de surcroît réduire les 730 millions d’euros prévus au Plan Eau Mayotte, repoussant l’objectif à un horizon incertain.

Une usine de dessalement, comme celle de Petite-Terre, comporte des limites techniques importantes. Fournir l’eau aux Mahorais ne suffit donc pas : la distribution, souvent fragilisée par des coupures fréquentes et un entretien insuffisant, reste un défi majeur. Selon le sénateur Oili, le plan actuel ne prend pas suffisamment en compte ces enjeux. « Si ce document reste en l’état, il ne fera qu’alimenter le sentiment d’abandon de la population mahoraise », avertit-il. Sans une approche intégrée et transparente, combinant production, distribution, entretien et planification réaliste, Mayotte risque de rester plongée dans une crise hydrique chronique, malgré les promesses officielles de l’État.

Mathilde Hangard

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