Après 2 ans passés à Mayotte un magistrat témoigne de son expérience

Le juge Clément Le Bideau, 37 ans, a quitté Mayotte il y a environ deux semaines. Arrivé dans l’île au lagon deux ans auparavant, en juillet 2023, il revient pour le JdM sur son expérience vécue au sein du tribunal judiciaire de Mamoudzou.

Nous l’avions rencontré lors de sa venue à Mayotte, il y a 2 ans, à l’occasion d’une audience solennelle au cours de laquelle Clément Le Bideau avait prêté serment devant ses pairs, il nous avait alors confié : « C’est une nouvelle aventure qui commence pour moi. Je suis ravi d’être ici. C’est un endroit magnifique. J’ai hâte de découvrir Mayotte et la population mahoraise. Cette prestation de serment, c’est beaucoup d’émotions même si ma famille n’est pas présente. J’ai opté pour Mayotte, à la fois pour l’expérience que je vais acquérir mais aussi pour le cadre de vie. De plus, je pense être plus utile ici qu’en métropole. Il y a beaucoup de dossiers intéressants à traiter. C’est également un formidable défi car il y a énormément de choses à faire. Je sais que la situation est compliquée mais l’aventure n’en sera que plus palpitante ».

« A Mayotte on est jeté directement dans le grand bain ! »

Clément Le Bideau avait prêté serment selon la formule consacrée…

Arrivé à Mayotte en tant que juge non spécialisé, tout juste à peine sorti de l’École nationale de la magistrature (ENM) et après quelques années d’enseignement à l’université en tant que maître de conférence en droit civil, Clément Le Bideau a fait le choix de Mayotte pour son premier poste. « J’avais envie d’une expérience en Outre-mer, j’hésitais entre Cayenne en Guyane et Mayotte. N’étant pas particulièrement un aventurier ni un spécialiste de la rando et de la jungle, mon choix s’est porté sur Mayotte, sourit-il. Et je ne regrette absolument pas ce choix. Au contraire, Mayotte est une île magnifique avec son lagon et il y a plein de choses à voir ». S’il est venu à Mayotte c’est aussi par ce que ses conditions personnelles et familiales s’y prêtaient. « Toutes les conditions étaient réunies…ma compagne avait la possibilité de me suivre et nous n’avions pas encore d’enfant », raconte-t-il.

Sa première année à Mayotte, Clément Le Bideau l’a essentiellement passée au service civil et pénal. Tandis que la deuxième année, il était davantage au pôle pénal du tribunal judiciaire. « C’était diversifié, varié, avec des difficultés notamment sur les contentieux… il faut être polyvalent car vous touchez plusieurs disciplines… ». Aussi d’un point de vue professionnel il ne cache pas que son expérience en tant que magistrat à Mayotte était intéressante et d’une grande richesse. « Vous devez travailler dans l’urgence avec des difficultés de fonctionnement qui sont propres à cette juridiction… De plus, quand on est jeune magistrat on n’a pas forcément beaucoup d’expérience. Or, à Mayotte on est jeté directement dans le grand bain ! C’est parfois très dur, notamment en correctionnelle où les situations sont souvent lourdes avec des faits violents… Mais d’un autre côté c’est très formateur car vous êtes amené à faire plein de choses ici que vous ne feriez pas en métropole. Cela vous permet de progresser et de prendre de l’assurance, même si c’est à double tranchant car vous avez beaucoup de travail et des responsabilités importantes ce qui est très stressant ».

Mayotte, une particularité juridictionnelle…

Clément Le Bideau entouré de ses pairs il y a deux ans

Même avec peu d’expérience, Clément Le Bideau a vite été mis au parfum de l’île… « Je me suis vite retrouvé à être assesseur en audience collégiale, j’ai été impressionné au départ. Une fois il a même fallu que je remplace un collègue au pied levé en tant que président dans une audience collégiale, c’est une expérience marquante ! C’était un moment stressant mais très formateur une fois de plus. Ce genre de situation ne pourrait pas se produire en métropole car on ne laisserait pas un jeune magistrat présider une audience collégiale ». Autre fait marquant pour Clément Le Bideau : la violence sur le territoire. « Il y a un degré de violence important avec quotidiennement des caillassages, des barrages, des vols à main armée avec des machettes ou encore des contentieux entre bandes violentes…On n’a pas l’habitude de gérer ce genre de situation en métropole. Aussi j’ai été impressionné par le fait que ce genre d’affaires, qui seraient du ressort des cours d’assises en métropole, soient jugées en correctionnelle à Mayotte ».

« Le juge n’est que la bouche de la loi »

Même s’il est tenu par le secret, Clément Le Bideau nous a un peu soufflé ce qui se tramait derrière la porte, dans la pièce, quand les juges se retirent pour délibérer. « Cela se passe en 2 temps. Tout d’abord nous discutons sur la culpabilité du prévenu, si les faits sont caractérisés, et nous recherchons également s’il y a des difficultés d’ordre juridique et/ ou technique. La discussion qui prend le plus de temps concerne la peine en elle-même car c’est important. Nous devons à la fois sanctionner l’auteur, tout en pensant à sa réinsertion, mais aussi en préservant les intérêts de la société, des citoyens, et le préjudice envers la victime. C’est tout l’enjeu du délibéré : trouver un point d’équilibre. Aussi je pense que la collégialité est une très bonne chose car cela permet de relativiser et d’entendre d’autres points de vue ».

Le symbole de la balance : trouver un point d’équilibre

Concernant la critique qui peut être faite à la justice ces derniers temps, Clément Le Bideau nous explique que souvent les gens oublient que le magistrat ne fait qu’appliquer la loi qui est votée par le Parlement. « Nous sommes tenus par des règles strictes et un cadre contraignant », insiste-t-il.  Il en veut pour preuve, par exemple, que la loi ne permet pas aux juges de prononcer des peines de très courte durée, de moins d’un mois, et que pour les peines inférieures à 1 an de prison ils ont l’obligation de proposer un aménagement. « Le juge n’est que la bouche de la loi, disait Montesquieu… », ajoute-t-il.

Un retour en métropole non plus au siège mais au parquet

Clément Le Bideau s’en va donc vers de nouveaux horizons, en métropole du côté de Mont-de-Marsan, non plus en tant que juge mais substitut du procureur, en charge des atteintes aux personnes et des mineurs. « C’est un choix… j’étais attiré par les fonctions pénales pour prolonger mon expérience à Mayotte. Je pense aussi qu’il est bon de sortir de sa zone de confort en faisant autre chose au cours de sa carrière. J’aime beaucoup expérimenter, découvrir des choses différentes », avoue-t-il.

Aussi, même si durant ces deux dernières années à Mayotte son quotidien, tant professionnel que personnel, n’était pas de tout repos (coupure d’eau et d’électricité, barrages, embouteillages, sécheresse, choléra, chikungunya, Chido…), Clément Le Bideau a adoré Mayotte et en garde une expérience très enrichissante.« On vit différemment ici, on s’adapte, on apprend à vivre avec tout ça… J’étais à Mayotte quand Chido est passé… sans électricité pendant un mois, tout était compliqué… mais ce fut pour moi une grande leçon d’humilité. L’île mérite que ça aille mieux. »

B.J.

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