« Mamoudzou est loin d’être à genoux »

Suite au récent avis budgétaire émis par la chambre régionale des comptes concernant la Ville de Mamoudzou, nous avons interviewé l'édile de la commune, Ambdilwahedou Soumaïla, afin qu'il nous explique la situation. Entretien.

JdM : Dans un récent avis budgétaire publié par la chambre régionale des comptes (CRC), cette dernière indique que la Ville de Mamoudzou accuse, dans son budget 2024, un déficit de près de 12 millions d’euros. À quoi cela est-ce dû selon vous ?

Ambdilwahedou Soumaïla : Nous avons lu ici et là des interprétations alarmistes de la situation financière de la Ville. S’il est vrai que nous avons rencontré des difficultés budgétaires en 2024, et comment pourrait-il en être autrement dans un contexte de crises à répétition ? Il n’en reste pas moins que Mamoudzou est loin d’être à genoux et que nous avons au contraire, su résister et donner à notre budget une trajectoire équilibrée dès 2025.

Les locaux de la chambre régionale des comptes de Mayotte se situent place de l’ancien marché à Mamoudzou

Pour mieux mesurer ce qui est réellement en jeu au travers de l’avis de la CRC, il faut dans un premier temps clarifier les chiffres. Les 12 millions dont vous parlez relèvent d’une lecture globale des différents budgets. Or, en fonctionnement sur 2024, le budget principal de la Ville n’était déséquilibré que de 1,899 M€ en fonctionnement. C’est en investissement que le déficit est plus élevé : 9,5M€, mais c’est une situation courante pour de nombreuses collectivités chaque année.

S’agissant de Mamoudzou, la situation s’explique notamment par des subventions contractualisées mais non versées (plus de 3 M€) et des emprunts prévus en fin d’année avec nos partenaires financiers pour soutenir notre effort d’investissement mais non engagés dans le contexte exceptionnel généré par Chido.

N’oublions pas que 2024 a été une année hors norme : il y a eu Chido en décembre, mais toute l’année a été marquée par l’insécurité, les barrages, la paralysie économique, la crise migratoire, … Ces crises d’une d’intensité exceptionnelle ont lourdement impacté notre économie. Résultat : la Ville a perdu 2,9M€ d’octroi de mer alors que cette recette avait progressé de près de 12% par an depuis 2020.

À cela s’est ajouté un élément purement technique : lors du passage à la gestion en autorisations de programme/crédits de paiement (AP/CP), des restes à réaliser n’ont pas été inscrits en recettes, gonflant artificiellement le déficit affiché. Ce n’est pas une manœuvre : c’est une erreur d’écriture comptable, qui a d’ores et déjà été corrigée dans le budget 2025 et validé par la CRC. La Chambre est d’ailleurs formelle dans son avis du 21 juillet 2025 : « Les mesures prises sont suffisantes ».

Il est important de clarifier cette situation pour les habitants qui peuvent compter sur une Ville résolument engagée dans la voie du développement malgré la tempête. En témoigne notamment sur cette année 2024 dont nous parlons avec 40 millions d’euros réalisés en investissement et cela sans augmenter les impôts locaux. Mamoudzou ne recule pas : elle investit, elle se redresse et elle prépare l’avenir.

Vous avez récemment adressé une lettre au préfet François-Xavier Bieuville dans laquelle vous écrivez que vous n’avez pas encore reçu les fonds de l’État nécessaires pour assurer sereinement la prochaine rentrée scolaire. Qu’en est-il actuellement ? La Ville est-elle assez accompagnée par l’État comme cela devrait l’être dans un contexte post-Chido que l’on connaît ? Avez-vous eu les aides auxquelles la commune a droit ?

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Le maire de Mamoudzou ne cache pas son inquiétude concernant la prochaine rentrée scolaire. Pour lui « la situation est particulièrement préoccupante ».

Depuis les premiers jours ayant suivi le passage du cyclone Chido, la Ville de Mamoudzou s’est pleinement mobilisée pour instruire et déposer dans les délais ses demandes de subvention, bien avant même l’annonce officielle de l’enveloppe exceptionnelle de 100 millions d’euros. Nous avons agi en anticipation, dans un contexte d’urgence, sans cadre consolidé de financement.

Malheureusement, nous avons fait face à un manque de retours formels, à une instabilité des circuits d’instruction et à des délais très longs dans le traitement des dossiers. Ce n’est que six mois après nos premiers dépôts que les premières demandes de compléments ont été formulées par les services de l’État. Nous y avons répondu immédiatement et de manière complète.

Mais depuis, la réalité est simple : zéro euro versé à ce jour au titre du fonds d’urgence. Les circuits d’instruction sont instables, les délais de traitement de dossiers sont très longs, les demandes de compléments arrivent 6 mois après nos premiers dépôts… et pendant ce temps, nombreuses sont les écoles qui attendent des moyens pour leur réhabilitation ou encore plus simplement leurs tables et leurs chaises…

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Les dégâts causés par Chido ont été particulièrement lourds sur les infrastructures éducatives de l’île. Ici l’école de Cavani Sud après le passage du cyclone.

Nous l’avons souligné, la situation est particulièrement préoccupante pour la rentrée scolaire. Le manque de réactivité dans le traitement des demandes d’aide d’urgence, en particulier sur le mobilier scolaire, compromet sérieusement les conditions d’accueil des élèves dans plusieurs établissements sinistrés. Malgré nos alertes répétées auprès de la préfecture et du rectorat, la dotation en mobilier reste partielle, et les délais de livraison ne sont pas à la hauteur de l’urgence éducative.

Nous insistons : la Ville a fait sa part, dans les délais, avec rigueur et dans un esprit de coopération. Si la reconstruction prend du retard, ce n’est pas par manque de travail ici, mais bel et bien en raison d’une lenteur administrative qui pèse lourdement sur nos concitoyens. Dans un contexte aussi critique, la solidarité de l’État ne devrait souffrir d’aucune ambiguïté. Après une telle catastrophe, la contribution nationale à la relance du territoire ne devrait pas être ralentie par des procédures à rallonge. La Ville de Mamoudzou et le département de Mayotte tout entier ont plus que jamais besoin d’un partenariat plus réactif et plus efficace.

La chambre régionale des comptes indique en conclusion de son avis que concernant le budget 2025, « les mesures sont suffisantes ». Quels sont vos leviers pour procéder à ces ajustements ? Allez-vous augmenter la fiscalité ?

Encore une fois, la chambre régionale des comptes a été très claire dans son avis rendu en juillet 2025 : « les mesures prises sont suffisantes ». Cela confirme que la Ville est sur une trajectoire saine et maîtrisée, sans qu’aucun plan de redressement, ni aucune mesure de tutelle ne soit envisagée.

Nos leviers sont clairs : – Gestion rigoureuse des dépenses, sans sacrifier les investissements prioritaires ni les services essentiels – Correction des erreurs techniques liées au passage en AP/CP et aux restes à réaliser – Recours maîtrisé à l’emprunt, avec près de 26 millions actés auprès de deux partenaires bancaires qui nous font confiance après analyse de notre situation.

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Concernant la fiscalité : ZERO augmentation des taux d’imposition pour toute la mandature.

Quant à la fiscalité, c’est une décision politique majeure et inédite que nous assumons pleinement : ZERO augmentation des taux d’imposition pour toute la mandature. Les taux appliqués à Mamoudzou restent d’ailleurs bien en dessous des moyennes départementales et nationales, et notre responsabilité est de ne pas alourdir la charge d’une population déjà fragilisée.

Nos prévisions d’atterrissage budgétaires pour 2025 sont plus qu’encourageantes : nous serons en excédent, aussi bien en fonctionnement qu’en investissements. Nous poursuivons donc notre action avec sérénité, détermination et sens des priorités.

Interview réalisée par Benoît Jaëglé

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