Mayotte fait face à une crise éducative majeure dans son enseignement primaire. La démographie explosive, le manque chronique d’infrastructures scolaires, la déscolarisation massive et les difficultés d’apprentissage forment un cocktail détonant, qui relègue les élèves mahorais aux derniers rangs des performances nationales. Le dernier rapport officiel dressant un état des lieux sans concessions et proposant des mesures d’urgence illustre l’ampleur du défi. Entre insalubrité des établissements, effectifs pléthoriques, et difficultés à scolariser tous les enfants, Mayotte se trouve à la croisée des chemins : continuer à subir ou engager une transformation profonde.
Une démographie galopante et un parc scolaire insuffisant face à des besoins colossaux

Depuis plusieurs années, l’île connaît une croissance démographique vertigineuse. Jeudi soir, l’Association des maires de Mayotte (AMM 976)) a transmis un livre blanc « pour refonder l’école de la République post-Chido« . À ce sujet, ce document, co-écrit avec le syndicat d’enseignants Snuipp et la FCPE, souligne que la densité de population pourrait passer de 858 habitants par km² à plus de 2.000 en 2050, avec une population totale approchant un demi-million d’habitants. Cette explosion démographique génère un besoin urgent de salles de classe, estimé à plus de 1.200-1.300 nouvelles classes dans les prochaines années.
« Le déficit en salles de classe est dramatique », alerte le rapport, qui pointe des conditions d’accueil souvent dégradées : insalubrité, manque de cantines scolaires, et classes surchargées allant au-delà du seuil maximum recommandé de 24 élèves, avec des pics jusqu’à 35 ou plus. Ce phénomène est aggravé par un turnover important des enseignants, qui nuit à la stabilité pédagogique. Sans investissements massifs, le rapport avertit que la situation pourrait empirer, compromettant l’accès à une éducation de qualité pour la jeunesse mahoraise.
Des milliers d’enfants hors du système scolaire

L’un des aspects les plus alarmants évoqués est la déscolarisation massive, avec un nombre d’enfants non scolarisés estimé entre 5.000 et 10.000. Cette donnée, bien que difficile à recenser précisément, reflète une réalité préoccupante : la scolarisation n’est pas encore un droit effectif pour tous à Mayotte. Le rapport pointe « une violation des droits fondamentaux », alors même que la scolarisation est obligatoire en France dès 3 ans. La présence de nombreux « kwassas scolaires » — transports informels — accentue les inégalités d’accès à l’école, notamment pour les enfants issus de l’immigration clandestine.
Pour répondre à ce défi, le texte propose la création de dispositifs spécialisés et la mise en place de classes de niveaux pour mieux accompagner les élèves, tout en imposant un plafonnement strict des effectifs à 24 par classe, avec 12 élèves au maximum pour le CP et CE1 en Réseau d’Éducation Prioritaire (REP). Cette mesure vise à réduire l’hétérogénéité des groupes, facteur identifié comme nuisible aux performances scolaires.
« Un plan Marshall » éducatif

Face à cette situation alarmante, le rapport formule des propositions ambitieuses. Il appelle notamment à un plan Marshall pour la rénovation et la construction des écoles, avec un objectif clair : doter toutes les écoles primaires d’une cantine d’ici 2027 et renforcer les équipements sportifs, bibliothèques, et infrastructures numériques. Sur le numérique, l’accent est mis sur la formation des enseignants, avec la transition du « tableau et de la craie » vers les outils digitaux (tablettes, ordinateurs, etc.) indispensables pour préparer les élèves à un monde en pleine mutation technologique.
Nationaliser les écoles pendant dix ans
Le rapport insiste aussi sur la nécessité d’un accompagnement renforcé des élèves en situation de handicap, en formant des enseignants spécialisés et en développant des structures inclusives conformes à la loi de 2005. Cette école inclusive doit devenir une réalité, condition sine qua non d’une éducation de qualité et d’égalité des chances. Enfin, la proposition la plus radicale est la nationalisation temporaire des écoles primaires à Mayotte pour une période de dix ans, garantissant ainsi un financement et une gestion au niveau des standards nationaux avant toute rétrocession aux collectivités locales.
À Mayotte, l’école primaire est à la fois le reflet et le levier des nombreux défis sociaux et économiques de l’île. Le rapport, riche en données et en propositions, exhorte l’État à sortir d’une politique de « sparadraps » pour engager une réforme d’envergure. Sans cela, la jeunesse mahoraise risque de rester enfermée dans un cercle vicieux d’échec scolaire, privant Mayotte de son capital humain essentiel à son développement futur.
Mathilde Hangard