Les Outre-mer sont en première ligne face à la montée des eaux. Si au niveau mondial, l’évolution du niveau de la mer peut monter jusqu’à 10 mm par an, il est de l’ordre de 3 mm par an aux Antilles, jusqu’à 6 mm par an à La Réunion, et entre 3 à 5 mm par an à Mayotte.
De quoi agiter les neurones des membres du Conseil Économique, Social et Environnemental national dont trois rapporteurs, Sabine Roux de Bézieux, présidente de la Fondation de la Mer, Hélène Sirder, ancienne 1ère vice-présidente de la collectivité territoriale de Guyane et Pierre Marie-Joseph, chef d’entreprise en Martinique, ont rendu un avis : « La montée des eaux dans les Outre-mer : quelles stratégies pour s’adapter ? ». Ils se sont appuyés sur les contributions des CESER de chaque territoire ultramarin, et ont enquêté auprès de 120 entreprises de ces territoires.
En porte-étendard de ce combat, les 600 habitants de la commune de Miquelon-Langlade (Saint-Pierre-et-Miquelon) bientôt les premiers réfugiés climatiques de France en déménageant vers un site en hauteur, leur village étant menacé par la montée des eaux. Un « modèle d’adaptation pour structurer les relocalisations à venir sur d’autres territoires », selon le CESE.
Au phénomène de la montée des eaux, s’ajoutent en Outre-mer des circonstances aggravantes : cyclones, tempêtes, ouragans, sécheresse, pluies intenses.
Risque de raz-de-marée à Mayotte

Les conséquences sont visibles, notamment à Mayotte en raison de phénomènes supplémentaires. On le sait, si à l’exception de Petite-Terre, nous sommes protégés par la double barrière récifale, l’affaissement de l’île a été aggravé par l’éruption du volcan Fani Maore, « en moins d’un an, Mayotte s’est enfoncée de 15 cm, ce qui aurait dû se produire en 400 à 500 ans », dont la vidange de la chambre magmatique fait craindre un tsunami aux spécialistes, comme le détaille le CESE : « Le volcan a modifié la topologie du littoral par un phénomène de subsidence. La plage s’est ainsi enfoncée un peu plus dans l’océan. (…) Le principal risque est celui d’un raz-de-marée déclenché par l’effondrement d’une partie du lagon ».
Les dernières grandes marées d’équinoxe ont provoqué d’importantes inondations sur notre territoire. « Certains quartiers d’habitat informel situés dans la mangrove d’Iloni à l’est de l’île sont en première ligne face à ces marées exceptionnelles avec des destructions régulières de maisons et de routes ».
Tout en mentionnant que l’État « exerce une surveillance renforcée de l’activité sismovolcanique », les dangers sont à prendre en compte, « dans notre département, plus de 80 % des constructions sont situées en zone littorale. Dans la baie de Soulou, la falaise affiche un recul de plus de 100 m en 50 ans soit une érosion annuelle considérable, supérieure à 2 m par an », notamment sur les infrastructures stratégiques, « à Pamandzi, la falaise de cendre qui jouxte la piste de l’aéroport enregistre un recul moins spectaculaire mais toutefois important, de 15 à 20 m en 50 ans soit 30 à 40 cm par an. Compte tenu des aménagements qui se trouvent en amont (aéroport, station de dessalement, lotissements), ce recul doit être pris au sérieux ».
Les infrastructures stratégiques menacées

Les chiffres parlent d’eux-mêmes, « une élévation du niveau de la mer de 2,2 mètres est attendue sur 100 ans ce qui met en péril la possibilité d’exploiter durablement la piste de l’aéroport Marcel Henry située à 3 mètres au-dessus et recouverte d’eau lors des grandes marées. En octobre 2024, la piste a été temporairement inondée et encombrée de débris ». De quoi clôre le débat sur le positionnement du rallongement de la piste aéroportuaire ? En tout cas, le président de la République l’a annoncé en Grande-Terre.
Le lagon protecteur reste attaqué et vulnérable notamment en raison des agressions terrestres. Certaines mangroves connaissent une réduction de leur superficie parfois très importante, en lien avec l’activité humaine, « notamment quand il s’agit de déboisement pour des besoins d’aménagement ou d’occupations illégales ».
Le géographe mahorais Saïd Hachim est cité, qui avertit que la montée des eaux menace également la rotation des barges, « risquant d’interrompre la circulation avec la Grande-Terre. C’est donc l’ensemble de l’organisation des mobilités qui est fragilisé ».
Sollicitée par le CESE, la géographe Virginie Duvat juge que Mayotte est l’un des territoires « en première ligne des impacts de l’élévation du niveau de la mer (…) qui va se traduire par une perte de territoire ».
Gagner du temps en s’appuyant sur la nature

Face à ces défis, comment s’adapter ? « Les solutions fondées sur la nature sont à privilégier car elles protègent les littoraux et retardent les effets de la montée des eaux », prêche le CESE, qui rappelle que des initiatives de plantation de mangroves ont été menées avec réussite ces dernières années à Bandrélé ou Ironi Bé. Ces solutions naturelles permettent aux pouvoirs publics de « gagner du temps précieux » pour mettre en place des stratégies d’adaptation et permettent de faire participer les populations aux projets sur leur territoire.
Mais pour organiser l’adaptation, plusieurs préconisations. La première porte sur les aides financières à l’adaptation, puisque le CESE juge que le fonds climat, le Fonds vert et le Fonds Barnier ne sont pas prévus ni calibrés pour prendre en charge les politiques d’adaptations, notamment dans le cadre de l’érosion du trait de côte, ce dernier n’étant pas non plus couvert par les assurances. Des outils pour financer l’adaptation sont donc indispensables.
Deuxième difficulté, la complexité des dispositifs existants, qui sont de plus centrés sur une « approche continentale », ne permet pas aux collectivités d’être efficaces. Le CESE préconise donc de mettre en place « un référent unique dans les préfectures » pour coordonner l’ensemble, tout en prévoyant des stratégies spécifiques à chaque territoire ultramarin dans le Plan national d’adaptation au changement climatique. Également la révision de tous les documents de planification et d’urbanisme en Outre-mer « en intégrant les risques liés à la montée des eaux », notamment la non-constructibilité du littoral et le déplacement des infrastructures hors des zones submersibles.
Enfin, la prise de conscience des habitants et des acteurs économiques apparait « inégale », « la montée du niveau de la mer peut paraître comme un phénomène lointain ». Le CESE préconise de commencer par les élèves qu’il s’agit de sensibiliser aux risques liés à la montée des eaux, et de mobiliser les réseaux d’entreprises et faire participer le Comité social et économique (CSE) à la connaissance et la prévention des risques liés à la montée des eaux.
Un plan de gestion des risques d’inondations de Mayotte a été adopté en 2015 et l’élaboration d’un plan de prévention des risques littoraux a été lancée en 2017. Ce plan intègre les effets à long terme du changement climatique pour cartographier les aléas afin d’éviter d’accroître le nombre d’enjeux exposés et d’améliorer la résilience du territoire. Un Plan de gestion des risques d’inondations du bassin de Mayotte 2022-2027 permet également d’asseoir une politique de gestion des risques avec 7 objectifs adaptés aux spécificités du territoire*.
A.P-L.
*Les 7 objectifs du PGRI de Mayotte sont : Planifier l’organisation du territoire en tenant compte des risques d’inondations ; Réduire la vulnérabilité des territoires et maîtriser le coût des dommages ; Favoriser le ralentissement des écoulements en cohérence avec la prévention des milieux aquatiques ; Renforcer la préparation à la gestion de crise et post-crise ; Développer la gouvernance autour des risques naturels ; Développer la culture du risque ; Améliorer la connaissance sur les risques d’inondations.