Parmi les trois propositions de loi émises par le groupe LIOT en vue de la séance publique qui lui sera réservée, figurait l’extension de l’Aide médicale d’Etat (AME) à Mayotte. Rappelons que l’AME permet l’accès aux soins aux personnes en situation irrégulière. En vigueur partout sur le territoire national sauf à Mayotte, sa suppression avait été débattue l’année dernière, car estimée trop couteuse, avec l’intention par ses opposants de la limiter à son strict volet de prise en charge des soins urgents. Les partisans de l’AME avaient fait valoir qu’elle relevait d’une mesure de santé publique en évitant que se propagent des maladies, et que leur prise en charge tardive finirait par coûter plus cher qu’un soin donné à temps. Rajoutons qu’à Mayotte, la mise en place de l’AME permettrait de décharger des Urgences à bout de souffle en déplaçant les patients vers la médecine de ville pour laquelle la consultation serait remboursée.
C’est naturellement la députée LIOT Estelle Youssouffa qui était la rapporteure du texte de l’extension de l’AME à Mayotte. « Le droit commun français doit s’appliquer dans l’archipel », attaquait-elle en expliquant que le territoire avait été sorti de ce dispositif par ordonnance en 2012. Impliquant la prolifération d’épidémies, comme le choléra en 2024, la saturation de l’unique hôpital public « engorgé par la prise en charge des étrangers en situation irrégulière », pour un coût « d’au moins 123 millions d’euros sur une dotation unique de 320 millions ». La députée déplorait que les assurés sociaux soient finalement exclus du CHM… impliquant la solution des évacuations sanitaires (EVASAN) vers La Réunion, une aberration financière.
Parmi les difficultés d’installation d’un médecin à Mayotte, celle d’un déficit de patients avec une proportion d’étrangers en situation irrégulière de plus d’un quart de la population.
Aucune étude d’impact

La frilosité des gouvernements successifs d’implanter l’AME à Mayotte – et la sortie de l’actuel ministre de la Santé n’a pas échappé au Canard Enchaîné – tient de la crainte de l’appel d’air, qui est pourtant « déjà là », rappelait la députée soulignant les dizaines de milliers d’entrées irrégulières chaque année. C’est la même crainte de l’appel d’air qui bloque les détenteurs de titre de séjour à Mayotte, interdit de sortie du territoire, dont on va être attentif à l’examen de la Proposition se loi de Saïd Omar Oili sur ce sujet.
Estelle Youssouffa rapportait un autre argument brandi par le gouvernement, l’incapacité de l’hôpital de Mayotte et de la Caisse de sécurité sociale locale d’absorber le déploiement de l’AME : « On me dit que cela impliquerait la tarification à l’Activité à l’hôpital », alors qu’il s’agit du seul hôpital de France à bénéficier d’une dotation globale, « avec un ‘stock énorme’ d’étrangers à affilier, ce qui serait trop compliqué ». Selon l’élue, aucune étude d’impact n’a été menée, « l’immobilisme est toujours de mise, il y a une rupture d’égalité dans accès à la santé à Mayotte ».
La veille de cette audition, la députée avait lancé un appel à témoignages sur les dysfonctionnements de santé, ils furent légion, rapportait-elle devant ses collègues en commission, « lors de la crise des urgences du CHM un enfant de 2 ans est décédé d’une gastroentérite aigue victime d’une erreur médicale (…), une patiente présentant les symptômes d’une AVC n’a pu suivre les examens nécessaires induisant une paralysie (…) perte de la vue de l’œil gauche d’un patient faute de soins, généralisation d’un cancer induisant le décès du patient faute de prise en charge à temps »… la gravité des exemples s’est succédée.
Des justificatifs a minima

Elle bénéficiait de quelques soutiens, non en réponse à ses arguments, mais pour améliorer la prise en charge des ESI. Sans surprise, le RN indiquait ne pas voter en faveur de cette mesure, en évoquant le risque d’appel d’air en rappelant leur volonté de retreindre l’AME à l’Aide médicale d’urgence sur le plan national. Au contraire, LFI indiquait voter pour l’application de l’AME « qui ne représente que 0,4% des dépenses de santé du pays » mais critiquait les motivations d’Estelle Youssouffa, préférant critiquer un déficit d’investissement de l’Etat à Mayotte. Même vote favorable du PS.
Intéressant la prise parole de Dominique Voynet pour le groupe Écologie, puisqu’elle fut aussi la directrice de l’ARS Mayotte, et active dans un rapport de l’IGAS de 2017 préconisant la mise en place de l’AME à Mayotte. « Des rapports plus récents de l’Assemblée nationale et du Sénat disent la même chose », soulignait-elle en indiquant voter pour.
L’ancien ministre des outre-mer, Philippe Vigier, groupe Démocrates, se rapportait à la convergence des droits inscrite au projet de loi de programmation et justifiait son vote contre, par l’existence des « dispositifs de droit commun » qui prennent déjà en charge les soins des étrangers.
Marie Lebec, Ensemble pour la République, brandissait le sous-financement du CHM qui « gère 72% de l’offre de soins sur l’île avec une dotation de 240 millions d’euros dont plus de 100 millions sont consacrés aux soins des non assurés ». Des chiffres différents de ceux d’Estelle Youssouffa mais autrement plus inquiétants. Pour autant, la députée préconisait de développer l’offre en médecine de ville avant de mettre en place l’AME… quand c’est précisément l’AME qui attirerait de nouveaux médecins. On sentait que les positions nationales des groupes proches du gouvernement, l’emportaient.
Le vote à main levée faisait état de 23 voix contre, et de 21 pour, l’article était donc rejeté de peu et ne sera pas proposé en séance de l’Assemblée nationale.
Anne Perzo-Lafond