Ce fut le motif principal du mouvement social de janvier 2024 à Mayotte : supprimer la territorialisation des cartes de séjour qui maintient de force sur le territoire les étrangers en situation régulière. Leur permettre de se rendre ailleurs en France, comme c’est le cas de tous les autres départements français, c’est le souhait de l’ensemble de la classe politique mahoraise. C’est d’ailleurs cette mesure que privilégiait le sénateur Saïd Omar Oili qui n’avait pas voté en faveur du durcissement de l’accès à la nationalité, texte définitivement adopté au Parlement, mais pour lequel son groupe Socialiste, écologiste et républicain sollicite le conseil constitutionnel. « La nouvelle loi limitant le droit du sol à Mayotte votée à l’Assemblée nationale ne produira ses effets qu’en 2038 ! La seule mesure efficace pour lutter contre l’immigration clandestine, c’est la fin des cartes de séjour territorialisées », écrivait le sénateur mahorais cette semaine sur sa page Facebook.

C’est dans ce sens qu’il a déposé une proposition de loi le 19 mars dernier, « un héritage colonial qui assigne à résidence plus de 90.000 étrangers ». Nous avions relayé son argumentaire qui fait remonter cette décision de cantonner à Mayotte les détenteurs de titres de séjour au flou de l’ordonnance du 26 avril 2000, puis au Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) qui prévoit que les titres de séjour ne sont valables que sur le 101ème département.
Ce qui nous avait incité à déclarer que cette disposition pose la question de « l’indivisibilité de la République ». S’il s’avérait que le conseil constitutionnel rétorque le durcissement de l’accès à la nationalité, il ne pourrait pas pratiquer deux poids-deux mesures en rejetant cette exception française aux détenteurs de titres de séjour. Qui n’est pas même valable en Guyane, pourtant terre d’immigration.
Dans sa Proposition de loi que nous avons pu consulter, Saïd Omar Oili régime dérogatoire, explique que ce régime spécifique à Mayotte, « accentue la pression sur un territoire qui ne parvient déjà plus à gérer le défi migratoire« , et « crée un trouble manifeste à l’ordre public, engendrant la prolifération de bidonvilles, la saturation des services publics de la santé, de l’éducation nationale, des réseaux d’adduction d’eau et d’assainissement, ou encore la dégradation accélérée de l’environnement et du lagon« . Concluant sur « l’ensemble des politiques publiques de rattrapage du territoire le plus pauvre de France mis en échec par l’augmentation de la démographie induite par l’immigration. »
La condition impossible de Gérald Darmanin
Il faut maintenant s’assurer que les différents groupes politiques accèdent à cette demande. Saïd Omar Oili informe ce jeudi avoir obtenu l’adhésion de son groupe Socialiste, écologiste et républicain qui « reprend à son compte la proposition de loi pour la suppression des cartes de séjour territorialisées ». Qu’en est-il des autres ?

Tout d’abord, la position du gouvernement reste floue. Rappelons que le ministre Darmanin, quand il était à l’Intérieur, avait annoncé sur le tarmac de l’aéroport de Pamandzi la levée des titres de séjour qu’il couplait avec la levée du droit du sol. Il arrivait alors en plein mouvement social contre l’immigration. Était-ce une manière de calmer la foule en sachant que le conseil constitutionnel allait retoquer la demande sur le droit du sol ? Ce qui fut le cas. Il faut préciser que c’est une mesure qu’il annonçait « à la demande du président de la République ». Si Gérald Darmanin a depuis passé le flambeau à Bruno Retailleau, ce dernier pourrait prolonger cette proposition d’Emmanuel Macron. Surtout qu’il avait bien été précisé que la fin du visa territorialisé serait inscrite dans la loi Mayotte. Or, il n’en est rien. Et que Gérald Darmanin continue à suivre me dossier.
C’est en effet en sa qualité de ministre d’Etat, qu’il est intervenu au Sénat sur le durcissement de l’accès à la nationalité en indiquant que « la suppression des visas territorialisés ne serait possible que le jour où la question de l’immigration irrégulière sera réglée à Mayotte ». C’est-à-dire jamais. Cela questionne sur l’appui des Républicains (LR) qui pourraient bien avoir lancé la proposition de loi pour réviser à la baisse l’accès à la nationalité pour ne pas devoir se prononcer sur la levée des visas territorialisés.
Les RN seraient-ils aussi sur cette longueur d’onde ? Une partie de la classe politique craindrait-elle de valider l’arrivée de comoriens en situation régulière sur le territoire français et ainsi, de se rendre impopulaire auprès de leur électorat ? Du côté de La Réunion, y-aurait-il un travail de lobbying par peur d’être la nouvelle destination prisée étant donné que les allocations y sont les mêmes qu’ailleurs en France contrairement à Mayotte ?
Des économies pour l’Etat

Pour cela, nos parlementaires doivent argumenter sur les données. Tout d’abord, tous les détenteurs de titres de séjour ne partiront pas, certains voudront rester à Mayotte en proximité avec leurs familles aux Comores. Ensuite, il y a déjà une forte communauté comorienne en France, notamment à Marseille, qui s’est intégrée. Enfin, il va être compliqué de soutenir que quelques dizaines de milliers de personnes ne peuvent résider sur un territoire de 550.000 km2, quand Mayotte ne fait que 374 km2 !
Le seul argument valable face à cette mesure, c’est le risque d’appel d’air qu’elle peut provoquer en migration des Comores vers Mayotte. On peut rétorquer que l’appel d’air existe déjà, avec des arrivées continuelles massives en kwassa, et que de toute manière, les départs des étrangers en situation régulière vont considérablement alléger les services publics de Mayotte. Et c’est un argument de poids vis-à-vis du gouvernement qui pourra revoir à la baisse ses budgets écoles, santé et autres. Dans un contexte d’économie des finances publiques, cela ne se refuse pas !
Quand le sénateur Saïd Omar Oili lance cet appel, « il est important que la proposition de loi sur la levée des cartes de séjour territorialisées soit aussi soutenue par les autres groupes politiques du Sénat et de l’Assemblée nationale », c’est quasiment une bouée de sauvetage qu’il réclame. L’opportunité ne se représentera sans doute pas tous les jours. Ou alors, sous forme d’article contenant cette proposition, rajouté au projet de loi de Programmation pour la refondation de Mayotte qui devrait être présenté le 23 avril en conseil des ministres.
Comme le rappelait le mois dernier le sénateur mahorais, certains titres de séjour permettent déjà de sortir de Mayotte, ceux de 10 ans, ou les cartes de séjour temporaires ou pluriannuelles, il s’agit donc simplement de généraliser la mesure et de faire en sorte que Mayotte ne soit plus une exception au moins dans ce domaine.
Anne Perzo-Lafond