« Chido a été une catastrophe humaine et environnementale extrême », annonce Amélie Van Gemert, écologue et présidente du Groupe d’Etudes et de Protection des Oiseaux de Mayotte (GEPOMAY). Après le passage du cyclone Chido, qui a dévasté l’archipel mahorais le 14 décembre 2024, de nombreux milieux naturels et en particulier les forêts, ont été ravagés.
Une coalition locale pour restaurer la biodiversité de Mayotte
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« C’est très difficile à voir l’état des forêts et des milieux naturels. La détresse des makis en a été le symbole mais c’est global« , déplore l’écologue. Face à cette catastrophe naturelle, les acteurs de l’environnement estiment nécessaire de se réunir pour répondre aux enjeux colossaux de la biodiversité meurtrie par le cyclone. « Quelques jours après la catastrophe, beaucoup d’initiatives se sont mises en place mais le challenge était tellement énorme… On s’est dit qu’on ne pouvait pas s’en sortir si on ne partageait pas les informations, les expertises entre tous les acteurs », commente la présidente du GEPOMAY. Les jours passant, plusieurs initiatives pour la protection de l’environnement s’engagent, notamment pour le nettoyage de certaines plages et des forêts, ou par de l’aide alimentaire à la faune, telle qu’aux makis mais dans une certaine anarchie. « Les habitants ont fait beaucoup mais tout le monde faisait des choses dans son coin et comme les gens ne sont pas tous formés à la gestion de l’environnement, les conséquences de certaines actions peuvent être plus néfastes que positives, d’où la nécessité d’avoir un cadre », se souvient la scientifique. Moins d’un mois après le passage du cyclone, à l’initiative de la Fédération Mahoraise des Associations Environnementales (FMAE), l’ensemble des acteurs de l’environnement se réunissent au sein de l’hémicycle Younoussa Bamana du Conseil départemental. « C’est une prouesse d’avoir pu se réunir relativement rapidement alors qu’on n’avait pas encore de réseau. L’objectif était de mutualiser nos savoirs et expertises pour la reconstruction du territoire et d’acter la création de groupes de travail dédiés », se rappelle Amélie Van Gemert. C’est ainsi que voient le jour des groupes de travail sur la forêt, les zones humides et les mangroves, les milieux marins, les rivières, la faune terrestre et marine de Mayotte, soutenus par un Conseil scientifique du patrimoine naturel (CSPN) sur le département. « On avait besoin d’une coordination environnementale au niveau de l’île, qui a été actée par le Comité de l’eau et de la biodiversité, et on a fait en sorte que Conseil scientifique du patrimoine naturel puisse intervenir pour valider un diagnostic ou les actions d’un groupe de travail », rapporte la scientifique.
Une tribune environnementale comme boussole des politiques publiques
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Lors des déplacements des représentants de l’Etat après le cyclone, les experts de l’environnement constatent avec effroi que la biodiversité figure aux abonnés absents des discours politiques et des plans d’aménagement pour la reconstruction du territoire. Dans ce contexte, ils décident de rédiger une tribune afin de lancer un appel urgent aux autorités politiques. « Les forêts sont les poumons de l’île, elles permettent d’avoir de l’eau, elles constituent une protection contre les glissements de terrain, la protection de certaines espèces, et garantissent notre agriculture », insiste Amélie Van Gemert. Les préoccupations des scientifiques sont d’autant plus vives face aux réactions politiques récentes, qui appellent à un reboisement massif de l’île en important des plantes extérieures à Mayotte. « On ne peut pas laisser les politiciens prendre des décisions comme celles-ci sans les avertir au moins que cela risque d’avoir des répercussions catastrophiques en termes d’espèces et de maladies », milite l’écologiste.
« Les arbres ne sont pas tous morts »
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Dans ce décor saccagé après Chido, le paysage naturel semble éteint faisant craindre un anéantissement total de l’ensemble de la biodiversité de l’île. Pourtant, Amélie Van Gemert affirme : « Les arbres ne sont pas tous morts ». Selon la scientifique, même si la végétation mahoraise a été gravement endommagée, les sols abritent encore des graines, permettant aux écosystèmes de se régénérer progressivement. Les arbres, bien que partiellement détruits, commencent à repousser, tout comme les lianes et les espèces herbacées. Toutefois, un risque persiste : celui d’une uniformisation des espèces. « Le risque est d’avoir des espèces exotiques envahissantes qui pourraient étouffer les autres espèces et uniformisent la biodiversité végétale, les animaux et les auxiliaires de culture qui dépendent de la diversité des plantes », rappelle la présidente du GEPOMAY. Loin de restaurer la biodiversité naturelle de l’île, ce type de reboisement risquerait d’introduire des espèces exotiques envahissantes et menacerai l’équilibre naturel des écosystèmes présents. « Les espèces exotiques envahissantes ont été introduites par l’Homme. Sur le territoire, elles risqueraient d’être plus fortes que les espèces indigènes qui sont là naturellement et pourraient les anéantir. On a une très grande richesse d’espèces à Mayotte, et notamment d’espèces endémiques, qui n’existent qu’à Mayotte, elles font partie du patrimoine de Mayotte. » À ce sujet, la spécialiste des écosystèmes terrestres prend l’exemple du Lantana camara : « Dans des zones forestières dégradées et ouvertes suite au cyclone, si on la laisse faire, la Lantana camara peut coloniser les milieux et empêcher la pousse d’autres espèces. On ne pourra pas le faire partout sur l’île mais le but c’est de pouvoir intervenir dans les endroits les plus critiques, pour la limiter, afin de laisser les arbres repousser et permettre à cette espèce de pousser à l’ombre, pour qu’elle soit moins compétitive. » Même si l’idée de retrouver un environnement verdoyant peut sembler séduisant, l’écologue alerte les autorités et la population contre cette fausse croyance où en plus de risquer d’anéantir les espèces indigènes de Mayotte, l’introduction d’espèces extérieures pourrait également conduire à l’introduction de nouvelles maladies et des ravageurs inconnus, compromettant ainsi l’agriculture locale. D’autre part, sur le 101ème département français, où la question de l’eau est le maillon faible du territoire, « la diversité des systèmes racinaires des plantes est cruciale pour l’infiltration de l’eau », précise la scientifique, « en conservant ses espèces indigènes, l’île préserve son équilibre écologique et protège sa biodiversité. »
Mayotte, territoire-pilote de reconquête de la biodiversité ?
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Face à cette urgence écologique, les acteurs de l’environnement de Mayotte appellent les autorités publiques à intégrer les principes environnementaux dès les premières étapes de la reconstruction du territoire. « Le but de cette tribune est de faire un premier pas politique pour que la biodiversité soit prise en compte dans la loi de programmation pour Mayotte et les programmes d’aménagements, car l’aménagement sur une zone humide peut favoriser les inondations, et s’implanter sur des milieux naturels fait courir des risques sur un patrimoine qui pourrait ne jamais être reconstitué », plaide l’écologue de GEPOMAY. En plus d’intégrer la science et les expertises locales sur l’environnement dans les décisions politiques et les projets d’aménagement du territoire, les experts demandent l’application d’une règlementation stricte, telle qu’exprimée dans le Code de l’environnement, pour la protection de l’environnement mahorais, mais aussi un soutien financier pour le déploiement de projets de biodiversité urbaine, comme les îlots de verdure, et l’urgence d’agir pour une meilleure gestion des déchets sur l’île, qui étouffent le paysage urbain et naturel de l’archipel. Par des efforts continus de sensibilisation, de régulation et d’investissements, tout en mettant l’accent sur la nécessité de stopper les pratiques nuisibles et de restaurer les milieux naturels, les scientifiques pourraient faire de Mayotte, après Chido, un modèle de reconquête écologique, inspirant d’autres régions à suivre cet exemple. Encore faut-il que les autorités étatiques ne fassent pas la sourde oreille…
Mathilde Hangard