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jeudi 13 février 2025

Les plaies ouvertes des habitants de Bandraboua, deux mois après le cyclone

Deux mois après Chido, les habitants du village de Bandraboua tentent de panser leurs plaies. Ceux dont la maison est sinistrée continuent les réparations quand ils le peuvent, les autres, qui ont la chance d'avoir un toit se posent des questions quant à leur avenir dans la commune et à Mayotte. Tous se demandent où a bien pu passer l’aide qui leur avait été promise.

Dans le village de Bandraboua, presque deux mois après Chido, il est difficile de trouver de l’ombre. Les arbres à pain qui ont fait la renommée de la commune n’ont pas résisté à la force du vent et l’abri à l’entrée du parc municipal s’est envolé. Quelques habitants arrivent néanmoins à se reposer le long des façades et aux abords des magasins qui ont rouvert leurs portes. Mais en ce début de week-end, samedi 8 février, l’heure n’est pas à la sieste. Ici et là des hommes empilent des parpaings pour reconstruire en dur les étages des maisons sinistrées tandis que d’autres les rejoignent munis de perceuses et d’outils en tout genre. Sur les hauteurs les coups de marteaux retentissent sur la tôle des cases du quartier Brezil, presque intégralement reconstruites, et les fumées des feux de nettoyage remplissent l’atmosphère d’une odeur de brûlé.

Chido, Bandraboua, destruction, reconstruction
Mouhaza Saindou et ses enfants sur sa terrasse.

“Toujours personne n’est venu me voir pour m’apporter de l’aide malgré mes demandes”

Mouhaza Saindou étend son linge sur le garde-corps de sa terrasse en tentant d’éviter ses deux jeunes garçons qui lui marchent dans les jambes. Cette maman de 38 ans, cuisinière au collège de Ouangani, n’a pas le temps de souffler, son logement situé au 3ème étage n’a plus de toit. Le 14 décembre, le cyclone s’est infiltré dans son appartement, à détruit la baie vitrée et les meubles. Le salon, la cuisine, la salle de bain et la terrasse ne forment désormais plus qu’une seule pièce vide, dans laquelle le soleil se reflète sur le carrelage blanc. La nuit et les jours de pluies elle et ses 4 enfants se réunissent dans deux chambres encore recouvertes de tôles.

« Si je pars je ne pourrai pas me reconstruire »

« Je travaille tous les jours, je cherche mes enfants à l’école, quand je rentre je nettoie tout. Là encore il y avait des cailloux et de l’eau à cause de la pluie donc j’ai tout enlevé. Je n’ai pas une minute pour moi », raconte-t-elle, les larmes aux yeux. « J’ai demandé de l’aide partout où je pouvais mais je n’ai rien reçu, depuis le cyclone personne n’est venu me voir ». Sans toit, l’intérieur de sa maison et ses déplacements sont à la vue de tout le voisinage, il n’y a plus de sécurité ni d’intimité. « Les tôles coûtent chères, je n’ai aucune visibilité, je ne sais pas quoi faire », ajoute-t-elle. Des dizaines de maisons sans toit sont visibles depuis sa terrasse, certaines sont bâchées, d’autres non. « Les propriétaires sont souvent partis pour la métropole ou La Réunion », indique Mouhaza Saindou, qui, malgré sa situation, ne souhaite pas quitter son village, « si je pars en sachant que chez moi, ici, la maison est détruite, je ne pourrai pas me reconstruire ». En attendant de trouver une solution pour son logement, elle s’accroche à son métier et à ses enfants et tente de garder la tête haute.

Chido, Bandraboua, destruction, reconstruction
Dans la maison seules deux chambres ont encore un toit. Malgré cela Mouhaza Saindou ne veut pas partir.

« Je vous raccompagne », dit-elle, en tenant un enfant dans chaque main. Trois mètres plus loin, la porte d’entrée de son logement gît par terre au milieu de la végétation.

“Jusqu’où on va tirer sur la corde ?”

Depuis son balcon, le regard tourné vers son village et plus loin le port de Longoni, Echati Salim, 30 ans, se pose également la question de son départ de Mayotte même si elle n’en a pas du tout envie. Si sa maison a été plutôt épargnée par le cyclone, elle s’aperçoit que ses trois jeunes enfants ont des séquelles suite à la violence de la tempête. « Mon plus grand de 6 ans, dès qu’il y a de la pluie et du vent il me dit « ça recommence » et il va se barricader avec ses deux petits frères », explique-t-elle, en les regardant jouer sur leurs vélos à roulettes.

Chido, Bandraboua, destruction, reconstruction
« Ici on est la sous-France », répète Echati Salim.

« Je ne veux pas partir mais quand je vois mes enfants dans cette situation, que les écoles sont surchargées, qu’on a reçu aucune aide et qu’il n’y a plus rien dans les magasins, je me demande jusqu’où on va tirer la corde ? », insiste celle qui a vécu en métropole pendant plusieurs années. « Ces dernières semaines m’ont fait comprendre qu’avant en métropole j’étais vraiment française. Lorsqu’il y avait une inondation ou autre, en deux/ trois semaines c’était réglé et tout le monde avait des aides. Même à La Réunion, un mois après un cyclone, il n’y a plus rien. Ici on est la sous-France et si personne ne s’était bougé dans le village il y aurait encore plein de débris », continue Echati Salim, attristée.

« Quand tu as un travail ici tu n’as pas d’aides »

« Le plus difficile c’est qu’on a annoncé de l’aide et de l’argent mais ça ne vient pas. La prochaine fois, ne nous dîtes pas qu’il va y avoir des choses, dîtes que vous ne savez pas, comme ça on attend rien et on se prépare mentalement ». Depuis son balcon elle a vu des hélicoptères et des zodiacs apporter des containers à la commune mais elle n’a pas reçu la moindre bouteille d’eau. « Lors des dernières crise de l’eau tout le monde s’étaient inscrits sur les listes, ils ont déjà nos noms, pourquoi ne pas avoir ré-utilisé ces listes après le cyclone ? », se demande la jeune femme, assistante juridique à Kawéni.

Chido, Bandraboua, destruction, reconstruction
Le village de Bandraboua, au fond le port de Longoni.

Lundi, elle se lèvera à 4h du matin pour faire le trajet jusqu’à son lieu de travail, et comme tous les jours depuis le cyclone, elle va devoir prendre du temps pour chercher de l’eau, sans savoir si elle en trouvera. « Ici quand tu as un travail tu ne touches pas d’aides, on en verra jamais la couleur. Les Mahorais ils ont rien ».

“Chido a été un déclic pour moi, je veux aider les gens du village”

« Avant Chido, les gens venaient de tous les alentours pour profiter des installations, prendre le temps avec leurs familles et faire des pique-niques », confie Ellias Madi, 16 ans, en marchant sur l’herbe du parc de Bandraboua, « ça me fait de la peine de voir ça ». Le terrain de basket est vide, des débris parcourent le sol et des arbres sont à terre. « Même les enfants qui jouent ne vont plus dans le parc mais sur la plage parce que c’est plus propre ».

Chido, Bandraboua, destruction, reconstruction
Ellias Madi, 16 ans, à droite, et son ami Bakouna, constatent les dégats depuis le parc de Bandraboua.

« Ma mère me parlait beaucoup du cyclone Kamisy en 1984, mais je n’ai jamais imaginé voir une telle violence », note le jeune homme. « Il y avait des morceaux de tôles qui s’envolaient dans tous les sens et quand j’ai fait le tour du village après le cyclone, quand j’ai vu tous les dégâts je ne pouvais pas y croire ». Ellias Madi retrouve petit à petit son rythme d’adolescent entre les cours au lycée des Lumières à Mamoudzou et sa vie à la maison avec ses frères et sœurs. Après la catastrophe sa famille et lui ont aidé le plus de monde possible en distribuant des repas et en déblayant les rues. Des journées intenses sans vraiment dormir ou manger. « J’ai accompagné mon cousin tous les jours pour enlever les débris, je ne voyais pas le temps passer », explique-t-il.

« Pendant longtemps on a pas eu d’aide, au début on buvait de l’eau directement dans la rivière ou bien lorsqu’il pleuvait. La première fois que j’ai bu de l’eau en bouteille c’est grâce à un ami dont la famille travaille au Centre communal d’action sociale (CCAS). Sinon je n’aurais rien eu », continue Ellias Madi, se remémorant les longues files d’attentes de 5 ou 6 heures pour espérer avoir de l’eau. « Pour avoir de l’aide ici il faut présenter sa pièce d’identité. Mais ils savent très bien que de nombreuses personnes n’en ont pas. C’est pas le moment de faire de la politique, tout le monde a été touché », ajoute-t-il énervé. « Le pire c’est que dans le quartier on a tout fait sans les élus mais dans un an ou deux on va les revoir à la porte pour nous demander de voter pour eux ».

Chido, Bandraboua, destruction, reconstruction
Les deux jeunes ne reconnaissent plus leur village après Chido. « Mayotte avance lentement, mais là on est revenu deux ans en arrière ».

« On ne vit pas comme nos grands frères, nous on a peur »

Avec un de ses amis, Ellias Madi observe le bidonville depuis la plage. Avant le cyclone toute la colline était couverte d’arbres, ils n’auraient jamais imaginé voir autant d’habitations. « Les médias mahorais nous on oubliés. Au début l’électricité est arrivée à Mamoudzou et à Kawéni mais Mayotte c’est nous aussi, on s’est sentis abandonnés », constate Bakouna, la vingtaine. « Je suis rentré à Mayotte en 2023, et je ne reconnais plus mon île. On vit pas comme nos grands frères, nous on a peur et le cyclone a augmenté ce sentiment. On voit de plus en plus de nouveaux visages dans le village, c’est devenu dangereux. Les jeunes que tu croises ils t’insultent il n’y a plus de respect ».

Chido, Bandraboua, destruction, reconstruction
Ellias Madi devant chez lui. Le garçon espère pouvoir travailler dans sa commune après ses études pour aider le plus de gens possible.

« Ma mère voulait que j’aille en métropole mais moi je veux pas. Je lui ai dit que si je pars, je vais sans cesse penser à Mayotte et que je ne pourrai pas avancer dans ma vie. Elle a compris », ajoute Ellias Madi. « Si tout le monde part, qui va reconstruire Mayotte ? C’est à nous de faire renaître notre ville ».

« Chido a été un déclic pour moi, désormais je veux aider les gens ici, les accompagner dans leurs projets. Je veux créer une entreprise ou travailler pour la commune », confesse Ellias Madi qui fait déjà partie d’un comité de jeunes qui organise des animations à Bandraboua. « Ça me manque j’espère qu’on va pouvoir reprendre nos activités après le ramadan ».

« Avec un ami, on veut faire des économies pour acheter un appareil photo et créer un compte Instagram pour partager nos projets », entrevoit le jeune homme, en observant les enfants s’amuser dans la mangrove.

Chido, Bandraboua, destruction, reconstruction
Les enfants du village qui jouent sur la plage et dans la mangrove.

Victor Diwisch

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