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vendredi 24 janvier 2025

L’état des infrastructures de transport rend Mayotte vulnérable aux risques naturels

Par sa puissance, Chido aurait-il pu nous couper du monde ? Oui, répond sans hésiter Mohamed Hamissi qui estime que le territoire a malgré tout eu beaucoup de chance dans l’impact de ses infrastructures de transport terrestres et maritimes, insuffisamment entretenues.

Le sujet de la protection des infrastructures de transports terrestres et maritimes est entier, indique l’ingénieur, Directeur Environnement, Plan Climat Air Energie Territorial, Transport et Mobilité, de la Communauté de communes de Petite-Terre (CCPT). « Il faut arrêter de se croire protégé par Madagascar ou la mangrove, il faut prendre les risques à la hauteur des enjeux. Et quand les dégradations surviennent, on se sent dépourvus et pas préparés. Nous sommes uniquement dans la réaction », constate Mohamed Hamissi. Qui cite en exemple la route de Soulou fissurée il y a environ un an, « il a fallu beaucoup trop de temps pour réparer cette petite portion alors qu’en étant attentifs, il était possible d’anticiper ».

Il observe les bulletins de vigilance jaune vagues submersion émis par la préfecture, « on nous sensibilise à l’élévation du niveau de la mer, mais qui propose des projets pour s’en prémunir ? Les documents nous disent qu’il faut changer de stratégie, sans traduction concrète. Le boulevard des Crabes est périodiquement en risque de submersion, mais quel ouvrage est mené ? ».

Nous l’avons interpellé sur l’état de certaines routes « ridées » en surplomb d’une falaise, qui semble être le signe d’une érosion, « la DEAL a son rôle à jouer, mais les collectivités locales doivent l’interpeler », indique-t-il en rappelant que Petite et Grande-Terre totalisent 143 km de réseau départemental et 250 km de routes communales. Pour mémoire, 4 millions d’euros avaient été jugés nécessaires pour l’entretien annuel du réseau routier, à peine 25% de cette somme lui est attribué. En c’est sans compter les risques supplémentaires que font peser les phénomènes naturels exceptionnels, « Chido et Dikeledi ont balayé Mayotte provoquant des dégâts considérables, mais le territoire reste vulnérable aux glissements de terrain, avec un littoral très exposé et un problème de gouvernance qui incite à penser, ‘c’est pas ma faute, c’est l’autre’ ! »

Adopter une stratégie

Le ponton plaisance s’est retrouvé… à terre

Les infrastructures datant des années 70-80 sont vieillissantes, « la digue du front de mer de Mamoudzou vers la pointe Mahabou est envahie par la mer. Or, les travaux de Caribus ont une emprise à cet endroit avec les 4 voies de circulation. Ce qui implique des coûts supplémentaires pour sécuriser. » Selon lui, on ne peut plus avancer le manque d’information, « les experts du GIEC sont unanimes sur les impacts dévastateurs du changement climatique ».

L’illustration de ce qu’il ne faut pas faire selon lui, c’est la gestion des ports de plaisance de Petite et Grande-Terre : « Il y a eu beaucoup de déclarations de la part des acteurs économiques, mais au final, peu a été fait. On peut penser que de toute manière, les infrastructures auraient été endommagées, mais on ne peut que constater que les pontons plaisance et croisière sont HS, les bateaux coulés, et toute une activité touristique stoppée. »

Beaucoup ont invoqué la volonté de Dieu après Chido, y voyant une punition, « c’est surtout à nous de prendre notre destin en main. Imaginons qu’aucune barge n’ait survécu, que la piste soit inutilisable. Mayotte serait coupée du monde, impossible de survivre sans importations de denrées alimentaires. Nos décideurs doivent prendre ce sujet au sérieux et adapter une stratégie au changement climatique. » Il prend en exemple le réseau électrique, « il faut enfouir les réseaux électriques ». Une action prévue par EDM dans les mois à venir.

Refaire en améliorant l’existant

Route partiellement effondrée à Chirongui par le cyclone Dikeledi

La (re)construction du territoire doit être le prétexte à améliorer l’existant, « la gare maritime de Petite-Terre dont le toit s’est envolé doit être reconstruite en proposant davantage de confort, le Site de Maintenance et de Remisage des bus qui était à ciel ouvert doit être amélioré dans la cadre de la mise en place de Caribus avec du matériel roulant plus moderne, et au port de plaisance, ou lorsqu’on va développer le transport urbain maritime, il faut réfléchir dès maintenant comment stocker les bateaux en cas de nouveau cyclone ».

Nous l’avons informé du protocole au port de commerce obligeant à sortir les porte-containers au large lors des alertes cycloniques, avec des consignes pour protéger les remorqueurs et pilotines qui n’ont pas été endommagés, « il faut rédiger une même stratégie mais propre au port de plaisance et aux futures navettes maritimes. »

Le laxisme ne paie pas dans ce domaine non plus met-il en garde : « L’adaptation de nos infrastructures aux risques naturels est indispensable pour les usagers et l’économie du territoire ». Et à ceux qui craignent de voir les prix des aménagements grimper, Mohamed Hamissi parle d’un mauvais calcul, « cela va coûter beaucoup plus cher si le territoire se retrouve isolé du monde, la facture sera salée ! Et si on n’anticipe pas, c’est celui qui va payer pour réparer, c’est-à-dire l’Etat, qui va décider des actions à mener, créant un problème de gouvernance ».

La prévention des risques au cahier des charges

Les stations Caribus de Passamainty, l’exemple à suivre d’une réflexion en amont

Il faut donc à plus grande échelle intégrer les phénomènes climatiques dans les marchés publics, « ça doit même être un critère de sélection des candidats. Exiger une compétence sur la prévention des risques, mais pour ça, les collectivités doivent former leurs techniciens à ces domaines pour qu’ils puissent jauger des bons candidats. »

On l’a vu pour les bateaux du port de plaisance, être capable d’organiser la prévention, cela ne s’invente pas, « il faut une méthode d’analyse du risque et mettre en place une stratégie. On peut par exemple construire des digues, renforcer des structures, relocaliser les activités, etc. C’est cela qui va protéger Mayotte ».

Pour cela, l’ingénieur appelle à mettre en place un « groupe de travail pluridisciplinaire, avec des professions adaptées, climatologues, architectes, etc. »

Nous avons recherché et analysé les documents déjà publiés par le Parlement sur la prévention des risques en Outre-mer, et Mohamed Hamissi appelle à ce que ces sujets soient mis sur la table pour développer une culture de l’anticipation. « Nous avons à Mayotte un établissement public, le CEREMA, reconnu pour la qualité de ses travaux, beaucoup de collectivités y ont adhéré, elles peuvent le mandater pour étudier la vulnérabilité des infrastructures et des réseaux de transport terrestres et maritimes. Ce serait un premier pas », conclut-il en ouvrant des perspectives.

Anne Perzo-Lafond

*CEREMA : Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement

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