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Vie chère : Octroi de mer, fiscalité et sur-rémunération, le cocktail empoisonné des DOM

Jeudi matin, dans le cadre du rapport d’information sur la lutte contre la vie chère dans les Outre-mer, la délégation sénatoriale aux Outre-mer a reçu l’économiste Olivier Sudrie, à la recherche d’axes de réponse à la crise en cours. 

Dès le début de la conférence, le cadre est posé comme tel. « J’aurais bien aimé trouver un responsable de cette vie chère mais je n’en ai pas trouvé », plaisante Olivier Sudrie, associé fondateur du cabinet d’études spécialisé dans la prévision et le conseil de politique économique (DME), spécialiste des Outre-mer et maître de conférences à l’université de Paris-Saclay. Depuis septembre, le territoire de la Martinique est le théâtre d’une mobilisation sociale massive contre la vie chère. Cette crise actuelle, largement partagée par les autres territoires ultramarins, appelle une réponse en profondeur.

21% d’augmentation des prix alimentaires en 3 ans 

Plus de 10 euros pour du papier toilette. Même chose pour les couches, le lait infantile ou les produits d’hygiène. Dans les Outre-mer, les prix des produits de première nécessité s’envolent. Pour Olivier Sudrie, invité à participer aux travaux de cette délégation, « les Outre-mer viennent de subir un choc inflationniste inédit ! ». En trois ans, entre les années 2021 et 2024, les prix alimentaires ont augmenté de 21%, non seulement dans les Outre-mer mais aussi en Hexagone. Pour l’économiste, ce choc inflationniste a surtout été vécu par les ménages comme une privation de liberté. Les dépenses contraintes, telles qu’un loyer ou des factures à payer, ont augmenté plus vite que les revenus. En effet, si les prix alimentaires ont augmenté de 21%, le SMIC lui n’a augmenté que de 13%. Le chaos de ce déséquilibre s’est matérialisé par la protestation des Martiniquais lors des « courses fictives » dans les supermarchés de Fort-de-France, où les ménages contestaient le fait de ne plus pouvoir payer des produits de la vie quotidienne comme du papier toilette, des pâtes, des couches pour bébé, et non des produits plus secondaires, comme de l’alcool ou des jouets. 

Une inflation sans frontières mais inéquitablement vécue

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À Mayotte, certains prix des produits alimentaires sont 30% plus élevés que dans l’Hexagone

La vie chère a renforcé les inégalités. « Tous les ménages n’ont pas été logés à la même enseigne, notamment les plus modestes qui ont subi de grandes pertes », constate Olivier Sudrie. Les inégalités sociales qui s’étaient renforcées avec les pandémie Covid-19 se sont amplifiées avec le choc inflationniste. Mais si l’inflation s’est répandue dans l’ensemble des départements du territoire, elle s’est imposée avec plus ou moins de force en fonction des prix des produits pratiqués à échelle locale. L’économiste prend l’exemple du prix d’un paquet de pâtes pour appuyer ce propos. « En métropole, si le prix d’un paquet de pâtes était de 1,90 euros et de 3,30 euros dans un département d’Outre-mer, alors une inflation de 5% a fait augmenter de 5% le prix du paquet de pâtes dans chaque territoire, d’où des écarts considérables entre les territoires. » 

Octroi de mer, fiscalité, sur-rémunération, sur le banc des accusés

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Panier de produits de consommation courante estimé à 100 euros en Martinique, contre 80 euros en Hexagone (source : PPT, conférence, délégation sénatoriale outre-mer, O. Sudrie, 05/12/24)

Contrairement aux idées reçues, tous les produits vendus dans les territoires ultramarins ne sont pas importés. En moyenne, 75% des produits sont importés et 25% des biens sont produits localement. Mais en raison de l’octroi de mer applicable dans les départements d’Outre mer concernés et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), le prix d’un panier de courses dans un territoire ultramarin comme à Mayotte, peut être 25% plus cher qu’en Hexagone. Ainsi, un consommateur mahorais peut payer jusqu’à 25% de plus des produits alimentaires qu’un consommateur métropolitain, alors que si la moyenne nationale du PIB par habitant en métropole en 2022 était de 38.775 euros en 2022, elle était à 11.579 euros à Mayotte. 

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Exemple d’un produit alimentaire, dont le prix est près de 2,5 fois plus cher en Martinique qu’en Hexagone (source : PPT, conférence, délégation sénatoriale outre-mer, O. Sudrie, 05/12/24)

Mais l’octroi de mer dépend des élus locaux », s’exclame une rapporteuse de la délégation. En effet, l’octroi de mer, différent d’un territoire ultramarin à l’autre, est une ressource financière des communes et des collectivités locales, que le Conseil régional ou la Collectivité territoriale fixe en décidant des produits taxés et du niveau de taxation. Ces prix élevés s’expliquent également par la fiscalité instaurée. Selon le produit alimentaire commercialisé, au sein d’un territoire ultramarin, comme Mayotte, le prix de ce produit peut être extrêmement élevé. Le coût du transport, le montant de l’octroi de mer et la marge imposée par le distributeur qui se sera acquitté de l’octroi de mer, vont considérablement faire fluctuer le prix d’un produit.

Une TVA régionale pour en finir avec l’octroi de mer ?

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« Les prix s’expliquent aussi par la longueur de la chaîne de valeur », explique Olivier Sudrie (source : PPT, conférence, délégation sénatoriale outre-mer, O. Sudrie, 05/12/24)

Selon Olivier Sudrie, la fiscalité est « un gros sujet » pour expliquer cette vie chère. Pour en sortir, l’économiste juge nécessaire d’instaurer une TVA régionale pour remplacer l’octroi de mer. « Il faut vraiment réformer ce dispositif. On résiste avec l’octroi de mer d’une part parce que les élus disent que c’est le seul impôt sur lequel on a la main, d’autre part, parce que les acteurs ont peur que cette taxe leur échappe, mais si on ne fait rien, si on reste dans un système comme celui-ci, on va droit au chaos. Il va falloir envisager urgemment la suppression de l’octroi de mer, en permettant que les collectivités locales ne perdent pas un euro, en gravant dans le marbre la régionalisation de la collecte de la TVA. » Parmi les leviers possibles d’action, l’économiste, favorable à une « justice sociale », identifie l’outil de « péréquation » de l’octroi de mer. « On doit enlever l’octroi de mer sur les produits de nécessité et reporter cet octroi de mer sur les produits que nous estimons comme étant de dernière nécessité pour que les collectivités ne perdent rien. C’est un peu l’idée du bouclier qualité-prix, mais il faut intégrer que c’est le consommateur qui le paye, c’est une péréquation de certains produits. »

« Les effets délétères et pervers des sur-rémunérations »

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« Dans une situation oligopolistique de la concurrence, les prix vont être très élevés en fonction de la disposition à payer des clients », rapporte l’économiste Olivier Sudrie (photographie/DR)

Même si ses propos lui ont valu quelques contestations tout au long de sa carrière, l’expert des prévisions économiques, n’a pas peur de le dire : les sur-rémunérations pratiquées dans les Outre-mer pour les fonctionnaires de l’Etat pèsent sur les prix. « Il faut ouvrir ce débat, qui est très politique, intimement compliqué. » En réitérant l’engagement des mots de Didier Migaud, lorsqu’il était Président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale de 2007 à 2010, puis premier président de la Cour des comptes de 2010 à 2020, qui avait « mis sur la table trois fois le sujet », Olivier Sudrie juge que ces sur-rémunérations ont des « effets délétères et pervers » et qu’ « elles participent à la vie chère ». Longtemps, pour compenser un retard de croissance au sein des territoires ultramarins, l’Etat français avait défiscalisé, soutenu l’octroi de mer et appliqué une rémunération plus attractive pour les fonctionnaires. Aujourd’hui, cette politique pratiquée est au cœur des mouvements sociaux. Pour les endiguer à court terme et pour régler le problème à long terme, Olivier Sudrie estime qu’il y a urgence à repenser notre modèle économique. Reste à savoir si la délégation sénatoriale aux Outre-mer adoptera cette marche à suivre et qu’une intervention au plus haut sommet de l’Etat prenne à bras-le-corps ces engagements, coûte que coûte.

Mathilde Hangard

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