La semaine dernière, le député du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), Frédéric Maillot, a interpellé la ministre de la Santé et de l’Accès aux soins, Geneviève Darrieussecq, sur les patients atteints d’un diabète de type 2, qui pourraient subir une amputation de leur pied. Son intervention visait à défendre le déploiement du médicament cubain, Heberprot-P, en France et en Outre-mer, testé dans une vingtaine de pays pour réduire ces amputations, depuis 2011 : « Heberprot-P a été testé dans plus de 25 pays avec des taux de réussite plus qu’encourageant », a déclaré le député, en mentionnant que 14% de la population adulte réunionnaise était atteinte de diabète.
Face à cette question, la ministre de la Santé a répondu ne pas pouvoir donner de réponse : « Il n’y a pas de réponse à donner car il faut l’autorisation de mise sur le marché (AMM) de l’agence européenne du médicament et à ce jour les laboratoires qui commercialisent n’ont fait aucune demande à l’agence. Je veux bien aider mais je ne peux pas faire de demande à la place des laboratoires afin d’avoir une étude clinique sur ce produit ». À ce jour, l’Heberprot-P n’a obtenu ni autorisation de mise sur le marché, ni fait l’objet d’une telle demande, au niveau national ou au niveau européen.
Les patients diabétiques, 8 fois plus à risque de subir une amputation
D’après la communauté médicale, un diabète de type 2 peut entraîner d’importantes complications chroniques, telles que des problèmes rénaux, cardiaques ou encore podologiques. Les patients diabétiques seraient huit fois plus exposés que des patients non diabétiques au risque d’amputation, du fait d’un risque important de développement de plaies. Les chiffres de la fédération française des diabétiques rapportent que près de 85% des amputations subies par les patients diabétiques ont eu lieu après le développement d’une plaie au pied. Lorsque les tissus et les os sont très infectés, l’amputation peut être inévitable. En France, près de 10.000 amputations par an sont liées au diabète. À Mayotte, une première étude de santé publique réalisée en 2008, « Maydia », avait estimé à 10,5% le taux de prévalence du diabète total (connu et non connu) chez des personnes de 30 à 69 ans, où plus d’une personne sur deux ignorait être atteinte de diabète. Dix ans plus tard, l’enquête « Unono Wa Maore », qui étudiait les comportements de santé et l’état de santé de la population mahoraise, dont le diabète, révélait que plus de 12% des personnes vivant à Mayotte, âgées de 18 à 69 ans, avaient un diabète. Près de la moitié de ces personnes ignorait souffrir de diabète.
Heberprot-P aurait fait ses preuves à l’étranger
Une étude de santé américaine a documenté les effets bénéfiques du médicament cubain dans la prise en charge des plaies des patients diabétiques. Les effets du diabète sur la croissance épidermique des patients rend plus difficile la cicatrisation des plaies, d’où un recours à l’amputation. Le médicament Heberprot-P a été créé dans le but de s’injecter directement autour et dans la plaie du patient, permettant à celle-ci de cicatriser à nouveau et de se refermer, et ainsi d’éviter une amputation. Si le médicament cubain Heberprot-P peut sembler « révolutionnaire » dans la prise en charge de l’ulcère du pied diabétique, il n’est toujours pas autorisé en Europe, et aucun médicament à ce jour ne permet de lutter contre les amputations.
Le diabète de type 2, une pathologie évitable
D’après Santé publique France, le diabète de type 2, qui représente plus de 90% des cas de diabète, aurait pourtant un « fort potentiel d’évitabilité ». La plupart des facteurs de risque de la maladie, tels que le surpoids, l’obésité et la sédentarité, seraient liés au mode de vie du patient et pourraient être « modifiables ». Les responsables sanitaires estiment même que le dépistage et une prise en charge précoce du diabète pourrait réduire l’exploitation à une hyperglycémie grave sur les organes et ainsi réduire le risque de développer de graves complications. Dans l’étude épidémiologique mahoraise « Unono Wa Maore », les patients diabétiques sont majoritairement des jeunes femmes, en situation de surpoids, vivant dans une situation socioéconomique particulièrement difficile.
Au sein de la communauté médicale, le médicament Heberprot-P divise. Si certains y sont favorables pour éviter aux patients de subir une amputation, d’autres estiment que ce médicament n’est pas une réponse en tant que telle à la problématique du diabète et que la prévention reste de mise. « En fait il faut régler le problème de fond, ce serait super de pouvoir avoir un médicament qui limite le risque d’amputer le pied d’un patient atteint d’un diabète de type 2, mais il faut surtout miser sur la prévention, l’alimentation équilibrée, l’activité physique, éviter de manger des aliments sucrés et transformés, c’est vraiment ça le cœur d’action. Malheureusement à Mayotte, la vie est hyper chère, les gens qui ont peu d’argent sont toujours victimes de la malbouffe, ils vont donc acheter ce qu’ils peuvent et la nourriture la moins chère est toujours sucrée, grasse, transformée » commente un médecin. En réponse à la question du député Frédéric Maillot, la ministre de la Santé a d’ailleurs conclu son propos en soulignant l’importance de la prévention et du suivi des parcours de soins pour lutter contre le diabète, avant de rappeler que des données scientifiques et des études cliniques étaient encore nécessaires pour que le médicament Heberprot-P soit étudié.
Si l’expérimentation était lancée, le médicament devra d’abord être testé dans des territoires où le nombre de patients diabétiques est élevé. Les départements d’Outre-mer et notamment Mayotte, sont donc pleinement concernés.
Mathilde Hangard