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Mamoudzou

Transport en commun : comment les intercos vont-elles rentabiliser leurs projets ?

Les services publics de transport en commun étant majoritairement déficitaires, comment vont faire nos fragiles intercos pour tenir le coup sans l’aide d’un Etat qui ferme ses robinets. Notre expert en mobilité Mohamed Hamissi, donne des pistes en invitant à repenser la gouvernance

Le bouclage en cours de la 1ère phase du réseau de transport en commun Caribus donne le « la » de ce qui est une grande première à Mayotte. Une réussite qui amène les autres collectivités à rêver de leur propre modèle. C’est le cas du Grand Nord de Mayotte qui tentait de lancer il y a un mois une enquête pour cerner la population cible.

Une question se pose alors : comment rentabiliser ces futurs dispositifs de transport en commun sur un territoire où 77% de la population est pauvre, et 34% officiellement au chômage ? On a du mal à imaginer que les collectivités qui sont Autorités Organisatrices des Transports vont adopter un prix du ticket de bus aussi élevé qu’à Bordeaux ou Lyon. Nous nous sommes tournés vers le spécialiste mobilité, Mohamed Hamissi, Directeur Environnement, Plan Climat Air Energie Territorial, Transport et Mobilité, de la Communauté de communes de Petite-Terre, qui émet plusieurs propositions.

Tout d’abord, il met en garde, « j’entends souvent mes interlocuteurs me dire que l’Etat doit accompagner les transports publics. Mais le budget contraint dont la présentation par le Premier ministre est en cours, ne nous permet pas d’espérer grand-chose, l’heure est plutôt à la recherche d’économies. En plus, quand j’entends les Réunionnais ou les Antillais se plaindre d’un développement insuffisant de leurs transports publics alors qu’ils existent depuis 50 ans, j’ai un peu peur de ce qui nous attend avec nos collectivités aux reins peu solides, et alors qu’elles proposent chacune leur propre projet ! »

Des frais d’exploitation qui grimpent vite

Mohamed Hamissi espère que les intercos vont mutualiser leurs offres et adapter le matériel roulant au profil de leur propre zone

Surtout que notre arrivée tardive sur ce marché implique de se conformer aux normes que les autres Régions ont absorbé au fur et à mesure : « Il faut respecter les critères de développement durable, d’évaluation environnementale sans demander à chaque fois une dérogation. »

La loi d’orientation des Mobilités (loi LOM) de décembre 2019 octroie la compétence de mobilité au couple Région-intercommunalité, « donc en tant qu’autorité organisatrice, le Conseil départemental doit être chef de file en coordonnant les projets des intercos. Or, si la CCSud créée une offre de transport, il faut que toutes les populations puissent être desservies quel que soit leur lieu de résidence, ce qui coûte très cher ». Il va donc falloir rationaliser les coûts et chercher des sources de financements, « il faut mutualiser les offres car de toute façon, un service public de transport en commun est forcément déficitaire. Il faut que ça le soit le moins possible. »

Un bref calcul des coûts d’exploitation actuels et à venir des transports donne déjà le vertige. Environ 50 millions d’euros pour le transport scolaire, 20 millions pour le STM, autant pour les futures lignes interurbaines terrestres et maritimes, et 30 millions d’euros pour le transport collectif urbain, soit 120 millions d’euros de charges d’exploitation annuelles, et c’est sans compter les investissements et les autres grands projets à venir, contournement de Mamoudzou, téléphériques, et la modernisation du réseau routier mahorais, « on frôle les sommets ! ».

Les zones urbaines grandes gagnantes de la mobilité

La vitesse commerciale est optimisée sur les sites propres. Une piste cyclable a été aménagée en marge de la phase 1 de Caribus

Il faut d’abord regarder sur quelles ressources on peut compter de manière certaine, avant de prospecter ailleurs. « Le modèle financier repose en premier lieu sur la contribution des entreprises par le versement de l’impôt sur la mobilité ». Nous avions déjà expliqué que les entreprises publiques ou privées de plus de 11 salariés, sises sur le trajet du bus, y sont soumises. Il est uniquement perçu par les intercommunalités. « Et c’est sous condition de mise en place de lignes de service régulières ». Ce qui n’est par exemple pas le cas des navettes Caribus. « Les intercos peuvent délibérer sur le taux de prélèvement dans une marge de 0,5 à 2%, déterminée en fonction de la population de l’interco et de la décision d’installer un service en site propre. »

Sur cette ressource, la gagnante est sans aucun doute la CADEMA qui concentre les deux-tiers de l’activité économique, avec la ZI de Kawéni, le CHM, le rectorat, le technopôle, etc., suivie par le Grand Nord, avec le port de Longoni et la Vallée III. « Les autres sont dans des zones rurales. La question se pose de savoir comment elles vont financer leurs investissements et leur exploitation, sans administration ou entreprises y contribuant, sachant qu’elles ont d’autres projets à mener et qu’elles n’ont pas les reins solides. »

La 2ème source de revenu, ce sont les recettes commerciales venant des usagers des transports. « La politique de tarification doit répondre à 3 objectifs : couvrir les coûts de production, favoriser le déplacement sans voiture, fidéliser les usagers. Même si nous sommes sur un territoire où la population est majoritairement en situation précaire, je ne suis pas favorable à la gratuité. Bien sûr, les collectivités peuvent la décider, mais il y a toujours quelqu’un qui paie. Strasbourg a mis en place une tarification solidaire en fonction du quotient familial, mais ce serait compliqué de le mettre en place localement. »

Troisième ressource, la participation de la collectivité organisatrice du transport, « mais forcément, elle va le financer par l’impôt, une décision compliquée à prendre dans la perspective des futures élections municipales. »

Enfin, il y a la participation de l’Etat. « Il a toujours été présent lors du lancement de Caribus, et il est possible de solliciter la Dotation d’équipement des Territoires ruraux et la Dotation de soutien à l’Investissement local, en contactant la préfecture, ou de répondre aux appels à projets de l’Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France. » Mais peu de chance qu’ils se multiplient par ces temps de contrainte budgétaire.

Un service high-tech à rentabiliser

Le pôle d’échange multimodal de Passamainty

On a listé les recettes, voyons comment maîtriser les coûts tout en ayant un transport public efficace. « Il faut à la fois proposer un service high tech sur des lignes de bus à forte affluence, avec clim, wifi, sièges confortables, etc, et des véhicules moins chers sur des lignes moins fréquentées, au taux de remplissage plus faible, pour rentabiliser l’investissement. Les taxis collectifs de 9 places sont adaptés sur les zones de rase campagne où la demande est plus faible. »

Quant au mode de propulsion, l’ingénieur invite à être attentif à plusieurs paramètres : « Le tout électrique peut s’avérer couteux en recyclage de batterie, comme le tout hydrogène. On peut réfléchir à un système hybride, mais surtout, viser ce qui permet d’obtenir des financements européens. Ça peut être un mix photovoltaïque et thermique, dans le cadre d’un échange permanent avec Total, EDM ou autre, qui ont une expertise poussée dans ce domaine. Le type de matériau roulant peut être rapidement un surcoût pour la collectivité s’il n’est pas mûrement réfléchi, qu’elle le mette à disposition de l’opérateur ou que ce soit celui-ci qui l’achète. »

On l’a vu plus haut, le type de ressources est contraint sur un territoire aussi pauvre que Mayotte. Mohamed Hamissi propose donc quelques nouvelles pistes.

Plus vite que son ombre

La Carte multimodale, ne devrait pas faire plaisir aux automobilistes, mais après tout, l’objectif, c’est qu’ils délaissent leurs voitures, surtout sur les zones très fréquentées qui finissent en embouteillages : « Il s’agit d’imposer aux automobilistes la souscription d’une carte d’abonnement d’utilisation de l’espace public. Cela ne concernerait pas les territoires ruraux où la voiture est indispensable, mais dans le Grand Mamoudzou et dans le Grand Nord. Cela ne peut marcher que si en face, on propose une offre de transport au niveau. C’est-à-dire avec des fréquences de passages matinales et tardives chaque jour, un grand confort à bord des bus, et une bonne vitesse commerciale ». Cette dernière est déterminante, explique-t-il.

L’objectif est d’en finir avec l’enfer matinal, et de permettre aux habitants de se lever moins tôt

« Le bus doit aller très vite si on veut attirer. Une faible vitesse commerciale a donc une incidence sur les coûts d’exploitation, car lorsque la vitesse commerciale est faible, un véhicule passe plus de temps à effectuer le trajet d’un terminus à l’autre. L’exploitation de la ligne nécessite, pour maintenir un niveau d’offre équivalent, la mobilisation de plus de véhicules, ainsi que de conducteurs ». Elle est facilitée par l’existence de voies dédiées aux bus, le site propre. Quant aux voies partagées, il faut diminuer le nombre d’automobilistes sur le bitume, d’où la Carte multimodale.

Autres pistes, généraliser le stationnement payant « zone bleue », « cela refroidira les automobilistes d’utiliser leur voiture », ou mettre en place le covoiturage avec l’aménagement de parking pour les voitures de covoitureurs, ou encore accélérer le projet de transport de marchandises par la voie maritime, « cela fluidifiera la circulation sur l’axe RN1 nord de Mamoudzou, et améliorera la vitesse commerciale des lignes interurbaines du département et urbaines de la communauté d’agglomération du Grand Nord. Avec donc des économies à faire pour les collectivités locales. »

Enfin, le modèle de gouvernance va être déterminant. « Les intercos ne peuvent porter à elles seules ces projets coûteux en investissement et en exploitation. Elles doivent se fédérer et travailler avec l’ETat. Pas forcément au sein d’un GIP mais pourquoi pas d’un modèle comparable à celui de la Société du Grand Paris.

Générer une réflexion sur l’ensemble de ces sujets est primordial à la fois pour garantir la pérennité des modèles de transports en commun publics, mais aussi « pour envoyer un message d’ouverture à l’Etat et à l’Europe qui traduise la volonté politique de monter quelque chose de sérieux tout en conservant la compétence de transport aux autorités organisatrices. »

Anne Perzo-Lafond

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