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Mamoudzou

Le « féminin supérieur » ou « Nihimo » : la solution au problème de la violence à Mayotte ?

Le dramaturge Alain Kamal Martial travaille depuis de nombreuses années sur un grand roman en 3 volumes décrivant les origines de la montée de la violence à Mayotte. « Apokalyptik Projekt » tente d’en analyser les sources et surtout de proposer une solution : un retour au « Nihimo » ou « féminin supérieur », le fondement traditionnel de la société mahoraise.

Comment expliquer la violence qui gangrène Mayotte depuis environ le début des années 2000 ? Bien des personnes s’y sont essayés, mais les explications restent souvent insatisfaisantes. Lui-même enfant de Mayotte, né en 1974, Alain Kamal Martial a entrepris une grande enquête sur ce phénomène. « J’ai observé les jeunes de Mayotte dès les années 90. Par la suite j’ai mené des enquêtes auprès d’amis policiers, d’infirmières et de bien d’autres acteurs de l’île pour prendre conscience de l’ampleur du phénomène dans sa globalité », affirme le dramaturge qui a commencé la réaction de son roman fleuve dès 2007. Ce dernier a beaucoup évolué depuis pour finalement être transformé en une fresque en 3 volumes intitulée « Apokaliptik Projekt ».

Les ruines de l’usine sucrière de Mirereni

Utilisant les techniques des romanciers réalistes, il s’est fondu parmi les jeunes peuplant les bidonvilles de Kaweni, les a observés, écoutés et, en parallèle, a bien étudié l’histoire de son île, notamment depuis l’arrivée de la France en 1841, pour en tirer des conclusions, qu’il a transposées de manière poétique dans les trois volumes de ses romans.  « C’est à Kaweni que s’est implantée la première plantation de canne à sucre à Mayotte par monsieur Lecours, un médecin nantais venu tenter l’aventure sur notre île aux alentours de 1850. Par la suite d’autres plantations de canne à sucre ont suivi. Il fallait donc de la main d’œuvre pour y travailler et c’est ainsi qu’on a fait venir des travailleurs engagés du Mozambique et des autres îles des Comores, qui n’étaient pas encore françaises à l’époque », nous raconte-t-il. « Cette main d’œuvre étrangère était vue comme « inférieure » par la caste des notables de l’île à la peau claire, descendant pour la plupart de la royauté mahoraise. Il n’y avait donc aucun mélange entre ces deux populations et les gens du sud se sont toujours sentis supérieurs à ceux du nord à Mayotte », précise-t-il.

L’industrialisation de Kaweni aux origines du chaos

RHI, ANRU, Koungou,
Les bidonvilles fleurissent autour de Mamoudzou depuis le début des années 90

« Ce passé est à l’origine de beaucoup de choses », explique le dramaturge qui opère ensuite un saut dans le temps pour en venir au début des années 80 où le nord de Mayotte a commencé à véritablement s’industrialiser. Le schéma des années 1850 s’est alors répété : de la main-d’œuvre étrangère venue principalement des îles voisine a été importée pour travailler comme ouvriers dans les entreprises de Kaweni. C’est vers la fin des années 80 et le début des années 90 que le grand bidonville de Kaweni, désormais surnommé « Gaza » a commencé à se développer.  « A l’époque, les enfants issus de ces quartiers n’étaient pas violents. Ils vendaient des œufs ou du sirop surgelé en bord de route », précise le romancier qui s’est peu à peu aperçu que les conditions de vie terriblement difficile de la vie dans ces bidonvilles devenaient progressivement « des zones d’ensauvagement » pour ces enfants. « Il est impossible pour des enfants d’y rester toute la journée et c’est ce qui les a amenés progressivement à traîner de plus en plus dans les rues, échappant à l’éducation de leurs parents. En outre, à cette époque, la vente d’alcool, puis de drogues n’était pas contrôlée et ils voyaient dans ses substances une échappatoire à leurs terribles conditions de vie », explique le romancier. « Beaucoup de filles, quant à elles ont été poussées vers la prostitution. Deux célèbres boîtes de nuit de Grande-Terre, dont je tairai le nom, ont fait leur fortune sur la prostitution. En bref, toute une économie parallèle a commencé à se développer à Mayotte entre le milieu des années 90 et le courant des années 2000 », détaille-t-il tout en dénonçant « l’omerta » de la société. « Tout le monde voyait bien ce qu’il se passait, mais personne ne disait rien. C’était un sujet tabou à l’époque », raconte-il.

Le scandale de « l’affaire Roukia »

Les jeunes délinquants se cachent dans la brousse un peu partout à Mayotte

Tout a cependant basculé en 2011 avec le scandale généré par « l’affaire Roukia », cette jeune fille découverte morte d’une overdose sur une plage. L’enquête avait alors révélé un trafic de drogue impliquant des gendarmes haut gradés de Mayotte. « Ensuite, dans les années 2012-2013, la chimique a commencé à se répandre sur le territoire, un fait que j’ai dénoncé dans ma pièce de théâtre « Chimik 2025 ». Mais personne ne m’avait pris au sérieux à l’époque », déplore le dramaturge. Continuant en parallèle la rédaction de son roman, il a également évoqué le phénomène des syndicalistes-politiciens prompts à utiliser la violence des jeunes pour se faire élire. « Car il ne faut pas se leurrer, ces jeunes sont instrumentalisés par des adultes dans des buts bien précis », affirme-t-il.

« J’ai fait l’erreur de présenter mon travail à Natacha Appanah qui s’en est inspiré pour écrire son roman « Tropique de la violence ». Mais elle a présenté cette violence d’une manière brute. Moi j’ai voulu aller plus loin en essayant d’en expliquer l’origine », poursuit le romancier. Pour lui, c’est avec les évènements de 2011 que « tout explose à Mayotte ». « Les enfants sont instrumentalisés et rien n’est fait pour les sauver car, dans le fond, cette situation arrange beaucoup de monde sur l’île. C’est cela que j’appelle « l’apokaliptik Projekt » », affirme-t-il.

Empêcher Mayotte de se développer : un projet capitaliste

Pour Alain Kamal Marial, ce chaos est orchestré et voulu afin que Mayotte ne puisse pas se développer. Mais par qui et pourquoi ? Telle est toute la question qui traverse son œuvre et c’est la raison pour laquelle il nous a rappelé l’histoire coloniale de Mayotte depuis l’époque des premières plantations de canne à sucre. « Ce chaos est un projet capitaliste. Il a pour but de maintenir l’île dans l’inertie la plus totale afin que le petit nombre de personnes qui détient tout le capital de Mayotte continuent de s’enrichir sans rien redistribuer. Ces personnes œuvrent depuis l’installation des premières plantations sur l’île », explique-t-il.

Des cargaisons de cannabis sont régulièrement retrouvées lors d’interpellation de kwassa

Dans le premier tome du roman, Alain Kamal Martial met en scène le personnage de Zambézia, une vielle femme centenaire qui s’est donnée pour mission de sauver ces enfants. « Quand Roukia meurt dans mon roman, elle la porte sur son dos, l’amène sur la place du marché et elle se met à danser le Makanja (danse des esclaves du Mozambique).  Par sa danse, elle raconte l’origine de la violence, comment on a coupé la langue à tous les poètes du nord de l’île afin de créer des enfants sans mémoires, sans ancêtres afin que survive le projet économique du nord de l’île. Car, quand tu connais tes origines, tu sais te battre », analyse le romancier. « De la même manière, si on stoppait l’immigration venue des autres îles, les supermarchés feraient moins d’argent. Car Mayotte a une économie d’importation et non de production. Cette immigration sert également à continuer d’enrichir le noyau qui détient le capital à Mayotte depuis près de 200 ans », indique-t-il tout en concluant que : « La violence est un outil capitaliste de neutralisation de la population ».

Une question nous est alors venue à l’esprit : pourquoi cet « Apokalyptik projekt » ne s’est pas déroulé dans les autres îles où se sont installées des plantations ? « Car ici, il y avait déjà une population locale implantée, contrairement à La Réunion par exemple. Le projet est aussi de séparer symboliquement les individus de leur terre », répond le romancier.

Génésis : une guérison des enfants grâce au féminin supérieur

Alain Kamal Martial a fait jouer un opéra issus de son roman « Genesis » en Tanzanie il y a deux ans

Dans le troisième tome de la trilogie, « Genesis », Alain Kamal Martial explique comment les enfants peuvent être guéris par le « Nihimo » ou « le féminin supérieur » de la culture bantoue. « Le Nihimo est la matrice principale de la société mahoraise. C’est le pouvoir de la maternation, qui peut aussi être attribué à des hommes. Si une mère meurt et qu’elle n’a pas de sœur, son frère peut prendre le pouvoir de la mère pour éduquer les enfants. Ils ne peuvent pas aller chez le père, ni chez les sœurs du père. Le Nihimo est porté par la lignée maternelle et c’est l’énergie de socialisation au sein de la culture bantoue. Tout enfant doit entrer en société par la voie du féminin supérieur apporté par la mère ou l’oncle maternel », explique Alain Kamal Martial.

Effectuant un rapprochement avec l’actualité récente, il affirme que « L’avènement du pouvoir politique féminin est aussi la mise en œuvre de la philosophie du féminin supérieur. C’est la féminisation de la religion et du pouvoir politique de la société pour protéger les enfants. C’est l’apport nécessaire pour que les enfants soient réintégrés dans la société grâce à l’éducation dispensée par la mère ». Il affirme également que « les enfants doivent redevenir des enfants par le jeu et les histoires et c’est pour cela que la culture revêt également une grande importance dans leur processus d’intégration dans la société ». « Nos femmes élues actuellement sont-elles dans le féminin supérieur ? Bienveillante dans leur politique vis-à-vis des enfants ? Voilà la question ! », conclut l’auteur.

Alain Kamal Martial publiera prochainement sa trilogie « Apokaliptik Projekt » aux éditions Eastambul qu’il a lui-même fondé en 2021.

N.G

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