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Mamoudzou

Interco’ Outre-mer sur le « défi foncier » à Mayotte : entre sanction et nouveau disque dur

En réponse au désordre foncier du territoire, facteur bloquant de son développement, ce n’était pas un séminaire de plus sur le foncier la semaine dernière. Des vérités étaient assénées sans langue de bois par Interco' Outre-mer, et il y en avait pour tous, élus, services de l’Etat et habitants.

« Beaucoup de spéculation, le foncier c’est de l’or, de l’affection. L’attachement à la terre est culturellement viscéral mais aussi financier ». Cette citation extraite des « Paroles d’acteurs » du document l’Enjeu foncier en outre-mer de l’association Interco ’Outre-mer résume à elle seule l’étendue des enjeux.

L’incompréhension – feinte ou non – de certaines démarches administratives le mêle à la crainte d’être fiscalement redevable pour les mètres carrés reçus en héritage… des vérités en métropole comme en Outre-mer. A Mayotte, ces vérités prennent encore plus de relief au regard de la transmission orale depuis des années, débouchant sur une endémique indivision, qu’essaient de clarifier plusieurs outils. Il n’en reste pas moins qu’une convergence est nécessaire avec ce qui se fait en Hexagone, reste à savoir comment s’y prendre.

Introduction par Rachadi Saindou aux côtés de Caroline Cunisse

Nous n’en sommes pas à la première réflexion dans ce domaine à Mayotte, et les Assises du foncier organisées en 2023 par la mairie de Mamoudzou avaient été prolixes. Évidemment les avancées majeures en Outre-mer permises par le législateur que furent la loi Letchimy sur l’indivision ou l’opportunité d’acquérir un terrain par la prescription acquisitive, étaient au cœur des échanges proposés sur la semaine par l’association Interco’Outtre-mer. L’association rassemble les intercommunalités ultramarines autour d’enjeux communs tout en tenant compte des caractéristiques de chacune.

Si elle s’est penchée sur le foncier dans chacun des territoires ultramarins, c’est parce qu’il représente « la matière première de leur aménagement et de leur développement » et des transformations environnementales et climatiques.

De la parole à l’acte, un fossé

Pour ce vendredi 24 mai de restitution des ateliers, c’est Rachadi Saindou, président de la CADEMA, communauté d’agglomération qui accueillait le forum, qui donnait le « la ». Avec son habituelle expression directe : « Combien de mahorais sont d’accord pour titrer leurs terres face à l’administration et dans la crainte d’être dépossédés. Une majorité parle de l’importance de détenir un titre de propriété alors qu’ils ne font pas eux-mêmes immatriculer leurs terres ! »

A ses côtés, Caroline Cunisse, directrice d’Interco’ Outre-mer et Philippe Schmit, conseiller expert et fondateur d’Urba Demain, qui ne maniait pas, lui non plus, la langue de bois. « Je suis là pour dire les choses », nous rapportait-il ensuite, recevant sur cette démarche, l’approbation de son public.

Des ateliers, il retenait 10 éléments transversaux, caractérisant l’enjeu du foncier à Mayotte, dont nous dégageons les principales propositions. On y trouve, davantage de dialogue et de partage entre les acteurs du foncier, conseil départemental, Direction de l’Aménagement et du Logement, agence de l’urbanisme, etc. Mayotte se trouvant à la fois dans une phase de transition et de rattrapage, un appel général à la souplesse est lancé. Un débat intéressant s’engageait à ce sujet sur la création d’un « Permis de construire allégé » pendant une « courte période » à Mayotte.

« Il n’y a aucune fermeté »

Philippe Schmit dresse un état des lieux sans concession

Une façon de passer d’une majorité de constructions sans permis vers une légalisation, pour Philippe Schmit : « La demande d’un permis de construire n’est pas ancrée dans la logique ici, en plus, le territoire manque d’architectes. La marche à franchir est phénoménale ! Il faut commencer par informer des avantages que procure l’obtention d’un permis. » Un point de vue que ne partageait évidemment pas Dominique Tessier, directeur du Conseil d’Architecture, d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE), « le permis de construire permet d’être protégé contre les recours, d’obtenir des prêts immobiliers et de transmettre à sa descendance », pas plus que Yves-Michel Daunar, directeur de l’Établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte (EPFAM), « qu’est-ce qu’un permis allégé va permettre de faire en plus ? On a déjà la possibilité de différer les travaux de viabilisation avec le permis actuel », ou chez Issoufi Maandhui, VP de la CCPT, « c’est la disponibilité du foncier le problème, pas le permis de construire. »

Philippe Schmit n’en démordait pas, « il faudrait dans ce cas qu’il y ait un contrôle de la police de l’urbanisme*, or ce n’est pas le cas, il n’y a aucune fermeté, aucun ordre de démolition, donc il n’y a pas la crainte de représailles. Il faut qu’un travail collectif soit mené. » En conséquence, des habitations sont en zone de risque, notamment d’éboulement. La directrice adjointe de la DEALM (Direction de l’Environnement, de l’Aménagement, du Logement de Mayotte), indiquait être récemment arrivée à Mayotte, « on me dit que tout a été fait dans l’urgence, donc on a dérogé, fragilisant parfois les écosystèmes. » L’éternel débat entre développement de Mayotte et préservation de son environnement.

Le représentant d’une intercommunalité souscrivait à l’idée d’allègement du permis de construire, « soit on amène les règles nationales verticalement par la sanction », ce qui n’est apparemment pas le cas, « soit il faut créer une passerelle, et créer un permis de construire allégé. Un intervenant d’Interco’ expliquait également que pour répondre au problème de « ceux qui ne veulent pas construire lors d’une rupture d’indivision mais qui veulent juste viabiliser, il faut ce permis allégé ».

L’élu spécialiste de la question sur le territoire qu’est le sénateur Thani Mohamed Soilihi qui a motivé de nombreuses missions sur ce sujet à Mayotte : « Il n’est pas forcément nécessaire de créer un nouveau permis de construire, il faut plutôt faire preuve de souplesse dans ses conditions de délivrance. »

« Où est le référent indivision ? »

Thani Mohamed Soilihi a collaboré aux rapports d’information du Sénat par le passé

Plusieurs vérités étaient assénées sans trop de gant toujours par Philippe Schmit: « Pour une transformation culturelle de l’approche, il faut changer de disque dur avec un accompagnement colossal des acteurs du CAUE, un renouvellement de posture des élus, rendre plus objectif le traitement de l’indivision ou des constructions illicites, on peut d’ailleurs à ce titre regretter l’absence du directeur de l’Agence de l’urbanisme de Mayotte. » Alors qu’il y a une unanimité sur la compétence des cadres chargés de l’urbanisme dans les collectivités, leur maigre marge de manœuvre est mise sur la table, « ils sont coincés entre la population et les élus. » On comprend que les intérêts particuliers continuent à primer.

Plusieurs propositions concrètes en découlent, outre le permis de construire allégé : la création d’un observatoire du foncier, notamment pour se substituer aux instances qui dysfonctionnent, la mise en place d’une Chambre ou d’une juridiction propre au foncier, « il faut des sanctions fortes sinon on crée un fossé entre les citoyens, entre ceux qui demandent un permis et les autres par exemple », la formation au CNFPT pour « hisser le niveau », le passage de 30 à 10 ans pour la prescription acquisitive.

Et de souligner que des textes existent mais inappliqués : « La loi 3DS introduit un référent ‘indivision’ pour chaque communauté de communes, où est-il ? Faut-il nommer un sous-préfet à l’indivision ? »… comme on a eu un sous-préfet de l’eau.

On retiendra donc de ces échanges de nouvelles recommandations de mise en place d’espaces dérogatoires au PLU (Plan local d’urbanisme), pour lesquels plusieurs acteurs locaux préfèrent donc plutôt l’application de la loi « avec souplesse ». Les deux pistes, davantage de sanction par l’Etat et changement de logiciel chez les élus et la population, semble un préalable pour recadrer le désordre foncier, « « sans ça, il n’y a pas de développement du territoire possible », concluait le sénateur mahorais.

Anne Perzo-Lafond

*Relève des maires. La police de l’urbanisme consiste à relever une infraction via un procès-verbal qui doit être transmis au Procureur de la République

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