Pour reprendre l’expression du Dr Roussin, « on ne compte même plus » les soignants qui voulaient venir à Mayotte et qui se sont rétractés en raison du contexte, ceux qui travaillent à Mayotte et qui veulent quitter le territoire, ceux qui ont été agressés, ceux qui sont fatigués des dernières crises multifactorielles, extrêmement complexes, telles que la crise de l’eau ou encore l’opération Wuambushu, et, qui, aujourd’hui sont obligés d’insister à chaque barrage, pour aller travailler ou rejoindre leur domicile.
Pourtant à Mayotte, le système de soins est en hypertension quasi chronique. Les professionnels de santé manquent dans tous les secteurs sur le territoire national, mais plus encore à Mayotte, où les besoins en soins de la population sont considérables. Malgré une population jeune, l’état de santé des habitants de Mayotte est moins bon que ceux des habitants de la métropole et les conditions de vie de la majeure partie de la population sont très précaires. Pour des raisons financières, logistiques ou encore sociales, un grand nombre de personnes renoncent souvent à se faire soigner. Le Centre hospitalier de Mayotte (CHM) demeure ainsi encore, l’acteur quasi unique de l’offre de soins du territoire, malgré les difficultés de recrutement de professionnels, en raison du contexte sécuritaire.
Mais c’est surtout dans les Centres médicaux de référence (CMR), à Dzoumogné, Mramadoudou, Kahani et Dzaoudzi, et le secteur de soins libéral, que la situation est la plus critique. En raison des violences et des barrages, les médecins, les infirmiers, les aides-soignants, les sage-femmes, les kinés, … rencontrent de grandes difficultés à se déplacer pour se rendre sur leur lieu de travail ou aux domiciles de leurs patients.
Chaque jour, des professionnels de santé sont bloqués aux quatre coins de l’île par les barrages oU se voient refuser l’accès aux barges
Alors que les spécialités manquent dans l’offre de la médecine de ville à Mayotte, une médecin endocrinologue, qui assure depuis plusieurs années, des consultations à Mayotte, a été contrainte de reporter son séjour en raison du contexte extrêmement instable, lié aux violences et aux barrages. Alors que les barragistes ont partagé une charte avec une liste de professionnels « prioritaires » autorisés à franchir les barrages et à emprunter les barges, la réalité est toute autre. Chaque jour, des professionnels de santé sont bloqués aux quatre coins de l’île par les barrages ou se voient refuser l’accès aux barges. Ainsi face à l’incertitude de pouvoir consulter à Mamoudzou et dans le Sud, cette médecin endocrinologue qui devait arriver lundi 19 février prochain, a reporté son déplacement.
Le cabinet médical de Chirongui fermé TEMPORAIREMENT EN RAISON DU CONTEXTE
Depuis hier, le Dr. Roussin, qui exerce au sein du cabinet médical de Chirongui, a fermé son cabinet, admettant tristement qu’« abandonner et dire que l’on n’assurera plus de soins » cela ne lui était jamais arrivé. « C’est très lourd de mettre une ligne rouge » mais « les gens qui travaillent n’ont plus de vie » a-t-il commenté.
Le tableau dressé est grave. Le Dr. Roussin explique que les habitants de Mayotte sont entrés dans une « autre dimension » avec ces violences : « Au mois de décembre 2023, durant trois semaines, des bandes armées de machettes agressaient les usagers des routes du Sud, puis à nouveau au mois de janvier 2024. »
Ainsi, faire appel à des professionnels de santé en renfort ou attirer de nouveaux professionnels est difficile. S’il ne souhaite formuler aucun commentaire sur la forme du mouvement des Forces Vives, ignorant ce qu’il ferait pour protester contre l’insécurité sur l’île, le Dr. Roussin admet simplement qu’en raison de son âge, après près de trente ans à Mayotte, « déblayer des détritus sur les barrages pour passer, négocier aux barrages pour aller chercher de l’essence ou acheter de la nourriture, prendre un, voire plusieurs bateaux, pour rejoindre le sud de l’île depuis Petite-Terre à la sortie de l’avion » est devenu « trop » éprouvant pour ce médecin, et ses confrères qu’il évoque, qui n’a plus d’autre choix que de « se protéger » en fermant temporairement son cabinet.
« On ne peut rien organiser. On est dans l’urgence permanente depuis des années. » explique-t-il. Mais malgré la dureté du contexte, le Dr. Roussin l’affirme : « Si les barrages s’arrêtent, j’ouvre à nouveau le cabinet » mais pour ce médecin, parler ne suffit plus, « il faut que les représentants de l’Etat agissent, même si les réponses ne sont pas faciles, en raison du contexte local, national et international. »
UN CONTEXTE QUI FAIT FUIR LES PROFESSIONNELS DE SANTÉ
Une médecin du CHM a confié que les recrutements de professionnels, qui sont déjà compliqués quotidiennement à Mayotte pour l’ensemble des raisons précitées, le sont encore plus aujourd’hui en raison du contexte. De nombreux médecins qui avaient donné leur accord pour venir à Mayotte, ont finir par renoncer.
C’est le cas, de deux médecins qui devaient renforcer les équipes du CMR de Mramadoudou pour trois mois et qui ont annulé leur venue en raison du contexte d’insécurité et des blocages de l’île. D’autres médecins qui s’étaient engagés à venir pour un mois ont fait savoir qu’ils ne viendraient pas avant que la situation s’apaise. Parmi les professionnels déjà en poste, un médecin a déjà fait savoir qu’il souhaitait raccourcir son contrat en raison du contexte local. Lors des recrutements, cette médecin généraliste avoue que la première question que les renforts lui posent est toujours « quel est le contexte sécuritaire actuellement à Mayotte? ». L’exemple ne plus affligeant d’après cette médecin, a été la venue d’un médecin, qui devait renforcer le CMR de Kahani et qui après être sorti de l’aéroport, « n’a jamais pu barger ou prendre un taxi bateau pour rejoindre Grande-Terre » en raison des blocages des voies maritimes par des habitants et le collectif des Forces Vives. Ce professionnel de santé a été contraint de rester deux jours en Petite-Terre, et alors, qu’il connaissait bien Mayotte, s’est découragé et a repris un avion vers Paris.
Se mobiliser contre l’insécurité, en défendant une « vie en paix » et en faisant appel aux autorités de l’Etat pour un soutien sans faille, tout en empêchant les soignants de secourir la population, semble totalement contre-productif.
Mathilde Hangard