L’émotion était palpable dans l’hémicycle quand Nicolas Puluhen, l’auteur du livre Mon p’tit loup a témoigné des violences sexuelles qu’il a subi entre ses 5 et 7 ans de la part de son cousin, de seulement 10 ans son aîné. Ce témoignage en a entraîné d’autres parmi les participants à cette Caravane de lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants, animée par Arnaud Gallais, lui-même victime. Co-fondateur de l’association Mouv’enfants et membre de la Ciivise (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants), Arnaud Gallais a subi des violences sexuelles de la part de son grand-oncle, prêtre missionnaire, et de ses 2 cousins. Transformant son traumatisme en puissance d’action, il a fondé une association afin de tenter de faire évoluer la prise en charge des enfants victimes de violences sexuelles et la condamnation des agresseurs. En effet, seuls 3% de ces derniers finissent en prison (chiffre de l’observatoire national de la délinquance et des réponses pénales). « Moins de 4% des enfants victimes portent plainte et 73% de ses plaintes sont classées sans suite », déplore-t-il.
La Caravane avait réuni ce jeudi matin un grand nombre de professionnels dans l’hémicycle. Agents d’associations de protection de l’enfance, juristes, avocats, psychologues, gendarmes mais aussi victimes, tous ont été invité à débattre sur la manière de faire évoluer les choses en termes de lutte contre les violences sexuelles. Notre île n’est évidemment pas épargnée par le phénomène, bien au contraire ! « Un questionnaire mis en ligne dans le cadre du mouvement « wami too » a révélé que 35% des répondants avaient subi des violences sexuelles dans leur enfance et 11% n’étaient pas capable de le dire, manquant de références quant à la définition d’une violence sexuelle », dévoile Lydia Barnéoud, directrice de l’association Haki Za Wanatsa, qui œuvre en faveur des droits des enfants. « En 4 à 6 semaines, nous avons recueilli 800 témoignages et cette campagne a augmenté les signalements de 300%. Malheureusement, personne ne suit pour condamner les agresseurs. On semble être dans un système d’impunité totale ! », déplore celle qui indique également que ces chiffres sont supérieurs à ceux relevés au national.
La difficulté d’en parler
La première difficulté à laquelle se heurtent les professionnels est le silence des enfants. « Encore en 2023, c’est très difficile d’en parler », explique un adjudant de gendarmerie travaillant à la Maison de Protection des Familles. Chargé de recueillir les auditions concernant notamment des faits de violences sexuelles faites aux enfants, il se heurte régulièrement à cette difficulté. « La question de la honte est fondamentale à Mayotte. Quand on a un violeur dans la famille, l’opprobre est jeté sur toute la famille et même jusqu’à tout le quartier », développe-t-il. Devant ce problème de déni familial, Arnaud Gallais a suggéré qu’il ne fallait plus attendre que la famille accompagne l’enfant et concevoir les choses autrement. Une idée intéressante, mais qui se heurte pour le moment à l’organisation mise en place. Nicolas Puluhen est intervenu pour déclarer que, s’il n’a pas parlé jusqu’à ses 43 ans, ce n’est pas à cause de la honte, mais plutôt de la peur de faire du mal à sa famille. Réhéma Saindou, présidente de Haki Za Wanatsa, a évoqué quant à elle la culpabilité de l’enfant qui doit parler « d’un sujet tabou » et est « terrifié par les adultes. « Parler de son corps est honteux dans la société mahoraise et il y a aussi la question des filles qui doivent traditionnellement rester vierges jusqu’au mariage. Certaines familles préfèrent donc passer les viols sous silence pour que leur fille puisse se marier », ajoute-elle. Sans compter la peur de recevoir des remarques culpabilisantes comme « cela t’est arrivé car tu l’as provoqué », malheureusement encore trop fréquentes.
Bérangère Laboutique-Viala, chargée de mission à la lutte contre la pauvreté et le suivi de la protection de l’enfance au sein de la préfecture, a néanmoins révélé que, grâce aux multiples campagnes et à une meilleure formation des professionnels, la parole était en train de se libérer à ce sujet. « La honte commence à changer de camp », s’est-elle réjouit, même si elle admet « qu’il y a encore du chemin à parcourir ».
La maltraitance institutionnelle
La maltraitance institutionnelle a également été évoquée au cours de ces débats avec des institutions qui, parfois, renvoient tout simplement les enfants auprès de leur agresseur. 80% des violences sexuelles sur les enfants sont en effet le fait de membres de la famille. « Beaucoup de professionnels ne protègent pas les enfants », s’alarme Lydia Barnéoud. Lors de la campagne « Wami too » qui prônait le fameux « mon corps m’appartient », elle a pu constater qu’énormément d’enfants mahorais n’en avaient pas conscience. A la question « à qui appartient mon corps ? », la plupart des fillettes répondaient « mon corps appartient à ma famille puis il appartiendra à mon mari ». Grâce à des activités ludiques de type « jeux de rôle », par exemple, il est possible de transformer cette vision des choses dans le cerveau des enfants.
La matinée s’est d’ailleurs achevée par le visionnage d’un documentaire sur la plasticité cérébrale des enfants, démontrant que nos habitudes structuraient leur cerveau d’où l’importance de les protéger des violences en tout genre.
Nora Godeau