Parmi les stands déployés dans l’espace de Mayotte la 1ère ce lundi, celui d’une des associations historiques, l’Association pour les Déficients Sensoriels de Mayotte (ADSM), présente à Mayotte depuis 1999. Samuel se concentre sur une machine à écrire un peu spéciale dotée de seulement 9 touches, une Perkins, il est en formation : « Je me perfectionne au braille et en base informatique adaptée pour gagner en autonomie. J’en profite pour dire que c’est pas parce que nous sommes non-voyants que nous ne sommes pas capables de cuisiner ou de se débrouiller seuls. » Son formateur Mohamed, également non voyant, est à ses côtés, « j’ai été recruté il y a 6 mois par l’ADSM pour accompagner les déficients visuels vers la confiance en soi et l’autonomie dans l’optique de décrocher un boulot. »
C’est l’unique formateur de la structure qui comprend une soixantaine de salariés, dont une trentaine d’éducateurs notamment missionnés sur les visites à domicile. Financés par l’ARS et le conseil départemental, une montée en puissance est espérée, et c’est Patrick Boutier lui-même, Responsable des soins de proximité et animation territoriale à la direction de l’offre de soins et de l’autonomie de l’ARS qui nous le confie : « Pour l’instant, l’ADSM bénéficie de primes journées pérennes pour une cinquantaine de places, de prises en charge. Chaque année, nous montons le niveau des crédits, et la dernière Conférence nationale sur le handicap a laissé penser que davantage de moyens seraient mis en Outre-mer ».
Parmi les DOM, Mayotte est la moins bien lotie, avec des mesures et des allocations peu incitatives. Après des années où les entreprises de plus de 20 salariés avaient obligation ici d’employer 3,5% de son personnel en travailleurs handicapés, le taux a été réévalué chaque année pour atteindre depuis 2022 les 6% nationaux, et concerne désormais les administrations. Ce qui a valu un blâme au conseil départemental, comme l’explique Madi Velou, le 7ème vice-président du conseil départemental Chargé de la Solidarité, de l’Action sociale et des Solidarités : « Nous avons pris de plein fouet l’onde de choc de ce que tout le monde appelle une ‘contribution’, mais que j’appelle une amende, de 700.000 euros pour n’avoir pas déclaré 6% de personnes handicapés parmi nos agents. En réalité, ils sont là, mais ne se sont pas signalés comme tels. Nous avons créé aussitôt un service de deux agents, dont un inscrit à la MDPH*, où les agents peuvent signaler leur handicap et se faire aider. »
Des aides maigres et méconnues
C’est un des problèmes du territoire, signale le sous-préfet Cédric Kari-Herkner : « Il faut informer les salariés et les agents qu’ainsi, leur poste pourra être aménagé et qu’ils éviteront à leur employeur de payer la contribution. » Le vice-président du CD peut se consoler, l’argent versé lors de ces amendes est de toute façon versé à l’Agefiph** et au Fiphfp** et utilisée pour financer l’obligation d’emploi des travailleurs handicapés, les dispositifs d’insertion tels que les stages de réadaptation professionnelle, les prestations d’accompagnement à la reconversion professionnelle ou le soutien à l’entreprenariat, ou encore les campagnes d’information et de sensibilisation à destination des partenaires.
En face de cette obligation de 6% d’emploi des personnes en situation de handicap, les allocations sont toujours inférieures au reste du pays, « les aides financières et d’accompagnement proposées aux personnes en situation de handicap à Mayotte sont plus restrictives qu’ailleurs, et restent méconnues d’une large partie de la population », pointe le rapport de l’INSEE, notamment « l’allocation aux adultes handicapés (AAH) est deux fois inférieur qu’au national », ce qui n’incite pas à déclarer son handicap.
Moyennant quoi des professionnels font remonter des failles, c’est le cas de Farianti Mdallah, présidente de la Mission locale : « Nous sommes dans l’incapacité d’accompagner, notre action est inadaptée, nous manquons de personnel. Sur les 13.000 personnes inscrites à la Mission locale, seulement 100 bénéficient d’une Reconnaissance de Travailleurs handicapés, dont 8 sont en emploi et 9 en formation. On nous parle de la transition numérique comme accélérateur d’emploi, mais il faut s’investir à fond dans l’insertion professionnelle et sociale. »
22.000 personnes concernées par le handicap
Et si le handicap, longtemps contenu au sein du foyer par honte, sort peu à peu des murs, il reste encore un sujet tabou à Mayotte. Malgré tout, on constate des « frémissements », selon le terme de Nafissata Mouhoudhoire, directrice adjointe de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DEETS) de Mayotte : « Comparé à la métropole où l’obligation d’employer 3,5% de travailleurs handicapés existe depuis 1987, nous ne sommes pas complètement à la ramasse en termes de taux d’emploi comme le montre l’enquête de l’INSEE ».
Première enquête sur ce secteur, elle était fortement attendue. Elle dénombre 22.000 personnes de plus de 15 ans en situation de handicap à Mayotte en 2021, il y a donc déjà deux ans, soit 13 % de la population des 15 ans ou plus. Selon l’INSEE, sont considérées comme touchées par un handicap, les personnes sévèrement limitées ou fortement restreintes dans leur vie quotidienne pour des raisons de santé, ou bien sévèrement limitée d’un point de vue physique comme se déplacer, emprunter un escalier, se pencher, se servir de ses bras ou de ses mains, sensoriel (voir, entendre), ou cognitif, comprendre, se concentrer, prendre des décisions de la vie quotidienne.
Ces 22.000 personnes vivent toutes à domicile, « seule une centaine de places est disponible dans des établissements hébergeant des personnes handicapées ». 15% des femmes sont touchées contre 11% de hommes notamment en raison de la prédominance de l’obésité « deux fois plus fréquente ».
Si la classe d’âge la plus touchée en nombre est curieusement les 15-44 ans, 11.000 personnes, c’est tout simplement qu’elle est surreprésentée à Mayotte où la population est très jeune. En proportion, ils sont 9% à être atteints par le handicap sur cette tranche d’âge, puis 17% des 45-59 ans, et 35% des plus de 60 ans, pour atteindre 66% chez les plus de 75 ans.
700 personnes touchent l’AAH
Ce taux de 13% de la population en situation de handicap est sous-estimé, nous dit l’INSEE : « À Mayotte, seules 25 % des personnes en situation de handicap déclarent recourir à une aide, quelle qu’en soit la nature, contre 58 % dans l’Hexagone et 60 % dans les autres départements et régions d’Outre-mer. En particulier, les personnes les plus jeunes en bénéficient rarement : seules 15 % des personnes en situation de handicap de moins de 60 ans en reçoivent une, soit trois fois moins que dans l’Hexagone ou dans les autres Drom. »
Ces personnes en fragilité sont davantage épaulées par leur entourage à Mayotte que dans l’Hexagone, rapporte l’étude, qui l’explique par une « offre médico-sociale insuffisante », des aides techniques, cannes, prothèse, appareillage, « moins fréquentes qu’ailleurs », par une densité 4 fois inférieure d’infirmiers qu’en Hexagone, et, nous l’avons vu, moins d’aides financières. « La prestation de compensation du handicap (PCH), vers
ée par le Département pour couvrir en partie les besoins liés à la perte d’autonomie des personnes handicapées de moins de 60 ans ne concerne que 150 personnes fin 2022 ».
Parmi la population de l’île, peu déclarent « se sentir handicapé » seulement 3 %, contre 12% dans l’Hexagone ou dans le DROM. « Ce handicap ressenti concerne ainsi 5.600 personnes vivant à Mayotte », un effectif proche des 6.900 personnes de 15 ans ou plus connues de la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) deux ans après, en 2023. Pourtant l’INSEE nous dit que seulement 2.200 personnes, soit 1%, sont administrativement reconnues comme handicapées.
1 500 personnes détiennent une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), qui doit leur permettre de bénéficier de mesures favorisant leur insertion professionnelle, et 2 300 personnes détiennent une carte mobilité inclusion pour faciliter leurs déplacements. Seules 700 personnes bénéficient de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) à Mayotte dont le montant est donc deux fois moindre que le national.
Sur un département où un tiers seulement des personnes âgées de 15 à 64 ans ont un emploi, ce taux descend à un quart pour les personnes en situation de handicap. Les expérimentations de structures réservées aux personnes en situation de handicap comme les établissements ou services d’aide par le travail (ESAT) ou entreprises adaptées ne sont déclinés qu’à partir de 2022.
Les personnes en situation de handicap nourrissent le « halo » autour du chômage pour se déclarer en situation d’inactivité, et particulièrement « pour les personnes ayant une reconnaissance administrative de leur handicap (41 %) ».
« Avec une telle étude, nous allons pouvoir alimenter les différents plans pour aider au développement d’une offre adaptée », commentait Patrick Boutier après la présentation de l’étude.
Consulter INSEE étude sur le handicap à Mayotte
Anne Perzo-Lafond
*MDPH : Maison Départementale des Personnes Handicapées
** Agefiph : L’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées
Fiphfp : Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la Fonction publique