31.8 C
Mamoudzou
jeudi 16 janvier 2025

Biodiversité : La scolopendre, cet animal qui ne nous veut… pas de mal

C’est l’un des animaux les plus redoutés et souvent les plus méconnus de Mayotte, loin devant les serpents. La scolopendre très répandue dans les systèmes tropicaux souffre pourtant d’une mauvaise image due notamment à sa morphologie mais aussi à cause de son agressivité. Explications avec Nicolas Gommichon, entomologiste, membre des Naturalistes de Mayotte et garde de l’îlot de Mbouzi.

Quel Mahorais n’a jamais croisé son chemin et souvent avec une certaine appréhension, voire de la frayeur et du dégoût ? La scolopendre. « Cet arthropode fait partie de ce que l’on appelle les myriapodes (mille-pattes) qui se divisent en deux classes : les chilopodes qui possèdent des crochets avec du venin et les diplopodes qui eux sont inoffensifs car sans crochet ni venin », explique Nicolas Gommichon. Il existerait sur Terre environ 2.000 espèces de chilopodes selon l’entomologiste et seulement quatre espèces vivraient à Mayotte, dont la scolopendre.

Qu’est-ce qui caractérise une scolopendre ?

La scolopendre peut mesurer d’une dizaine de centimètres à près de 25 centimètres (crédit photo : Antoine Rouillé).

« Morphologiquement la scolopendre a des yeux et de longues antennes avec des organes sensoriels lui permettant de sentir les vibrations sur le sol. Elle dispose d’une seule paire de pattes par segment. Elle est dotée de deux crochets puissants et venimeux, c’est un mélange de protéines et de toxines pouvant entrainer, dans certains cas lorsque l’on est mordu, de la fièvre et un dérèglement du système nerveux », raconte Nicolas.

En effet, qui n’a pas fait la douloureuse expérience de se faire mordre par cet animal et de ressentir comme une pointe que l’on vous enfonce dans le corps avant d’éprouver une brûlure pendant plusieurs heures? Et ça c’est pour le meilleur des cas ! Pour les situations les plus extrêmes, cela peut se transformer en allergie et direction l’hôpital, mais c’est peu fréquent. Aussi comme le fait remarquer l’entomologiste, « Contrairement aux idées reçues, la scolopendre est plus redoutable que n’importe quel serpent vivant à Mayotte. Il existe par ailleurs des scolopendres de différentes tailles, cela va d’une dizaine de centimètres à environ vingt-cinq centimètres pour les plus grandes (Scolopendra gigantea). La scolopendre se nourrit principalement de feuilles mortes, de troncs d’arbres, d’insectes et d’araignées. Même si parfois, pour les gros spécimens, cela peut aller du petit lézard à la toute petite souris, mais cela est assez rare. Elle joue ainsi un rôle essentiel dans la chaîne alimentaire », explique l’entomologiste.

Les diplopodes sont sans danger pour l’homme.(crédit photo : Aurore Mathys et Didier VandenSpiegel © MRAC.)

Les grandes scolopendres sont beaucoup plus dangereuses que les petites à cause de leur venin. En revanche les jeunes diplopodes, de quelques centimètres et que l’on voit surtout pendant la saison des pluies, ont tendance lorsqu’ils se sentent un danger à s’enrouler sur eux-mêmes, en cercle pour se protéger. « On peut les prendre à la main sans danger et sans risquer de se faire mordre pour les remettre ailleurs », assure Nicolas.

La saison des pluies une période propice pour la reproduction

La scolopendre aime l’humidité, si elle entre dans les domiciles c’est pour rechercher un endroit calme où se cacher avec de la fraicheur et de l’obscurité. Aussi, faites attention le matin en mettant vos chaussures, il se peut que durant la nuit elle ait élue domicile au fond de vos baskets… « En ce moment il y a beaucoup de scolopendres dans la nature car c’est la période de reproduction, durant la saison humide. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas une espèce invasive, ni envahissante, elle est présente à Mayotte depuis longtemps, même si elle n’est pas endémique », fait remarquer le garde de l’îlot de Mbouzi.

Une femelle couvant des scolopendres juvéniles (crédit photo : Pierre Baby).

Aussi, la scolopendre n’est ni hermaphrodite, ni asexuée. Les mâles et les femelles disposent d’une anatomie différente. « Le mâle possède deux pattes articulées à l’arrière de l’abdomen en période de reproduction avec une poche remplie de spermatozoïdes que l’on appelle le spermatophore, la femelle vient alors sur son dos pour être fécondée », indique le naturaliste.

La scolopendre est-elle dangereuse à proprement parler ?

Traces laissées par la morsure d’un spécimen adulte. (crédit photo : Aurore Mathys et Didier VandenSpiegel © MRAC.)

La littérature scientifique fait malheureusement défaut à Mayotte sur ce sujet. « Nous manquons de données précises sur la scolopendre à Mayotte… Le seul ouvrage de référence date de 2019(*) et c’est le seul disposant de données fiables avec un vrai travail de recherche, avant ça il n’y avait quasi rien ». Selon l’entomologiste, la scolopendre n’est pas dangereuse en soi mais elle est agressive et à tendance à se défendre au lieu de fuir quand elle se sent en danger, contrairement aux araignées et aux reptiles, ce qui la rend plus dangereuse aux yeux du public.

« Il y a une peur répandue autour des insectes, ils sont vus comme dangereux et sales. Du coup la première réaction est de les tuer, souvent à coup de machette. Concernant la scolopendre, on n’est pas obligé de la tuer lorsque l’on en voit une. Elle ne nous prend pas par surprise, on a le temps de la voir… Il suffit simplement de prendre un couvercle avec un tupperware et de la déposer à un endroit où elle ne nous dérangera pas. Aussi, dans certains pays elle se mange, comme en Asie », ajoute-t-il.

Scolopendres séchées pour la consommation asiatique (www.healthwisdom.shop).

L’entomologiste compte ainsi refaire une étude sérieuse sur cet animal en acquérant des connaissances sur le terrain, afin de répertorier, classifier et apporter du contenu pour les chercheurs. « Il faut faire connaître cette faune de Mayotte… On aime ce que l’on connait et l’on protège ce que l’on aime ! », philosophe Nicolas. Il a ainsi pour projet de monter une association d’ici quelques mois, la SEUM (Société Entomologique Unifiée de Mayotte) afin de recueillir des données, transmettre des photos, partager ses observations. « Nous devons faire un travail de correction, refaire des recherches sérieuses… C’est un travail colossal sur la faune car la biodiversité de Mayotte est tellement riche et exceptionnelle qu’il est important de mener à bien ce travail ».

B.J.

 

* Diplopodes et autres Myriapodes de Mayotte, de Didier VandenSpiegel et Aurore Mathys – Collection Digitale, « Documentation zoologique ».

Partagez l'article:

Société

NEWSLETTER

Recevez gratuitement les articles

du Journal De Mayotte

Nous ne vous enverrons jamais de spam ni ne partagerons votre adresse électronique.
Consultez notre [link]politique de confidentialité[/link].

Les plus lus

Articles similaires
Similaire

La Ville de Mamoudzou ouvre une enquête en ligne pour évaluer les dégâts du cyclone

Une enquête en ligne a été ouvert par la Mairie de Mamoudzou pour recenser les dommages causés par le passage du cyclone Chido le 14 décembre dernier. 

Le Sénat vote un budget des Outre-mer en hausse « pour Mayotte et la Nouvelle Calédonie »

Ce n’est qu’une petite partie de l’enveloppe globale dédiée aux Outre-mer qui a été revalorisée, la Mission Outre-mer se monte désormais à 3 milliards d’euros.

Rentrée : Bibliothèques Sans Frontières achemine près de 2 tonnes de fournitures scolaires à Mayotte

Des cahiers, des cartables, des dictionnaires... la mobilisation de BSF, de Cultura, de Stabilo International et d'Hachette permettra de doter environ 1.000 élèves. Une action menée avec le rectorat.

Les makis en danger après le cyclone Chido : les bons gestes à adopter

Le passage du cyclone Chido a ravagé le paysage naturel de l'île, privant les makis de leurs sources naturelles de nourriture. Dans ce contexte, des gestes simples peuvent être adoptés à l'égard de cette population animale, à condition de ne pas la mettre davantage en difficulté.
WP Twitter Auto Publish Powered By : XYZScripts.com