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Conférence sur l’évolution du « confiage » des enfants Comoriens à Mayotte

La frontière érigée entre Mayotte et les trois autres îles des Comores a modifié la façon de confier les enfants à la famille élargie, accroissant leur risque d’isolement, démontre l’anthropologue Alison Morano. Un sujet complexe qui doit être vu sous tous les angles.

Dans le cadre de ses études en anthropologie*, Alison Morano a étudié les cas de mineurs isolés à Mayotte, ainsi que ceux qui étaient déscolarisés. Elle a travaillé pour cela 3 mois à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) en 2015, puis dans l’association le Village d’Eva, chez Mlézi et aux Apprentis d’Auteuil. Elle a soutenu sa thèse en juillet dernier sur « L’anthropologie des jeunesses précaires à Mayotte ». Désormais docteur en anthropologie, elle est professeur de Français au collège de Doujani.

Conviée par « Fikira, de Mayotte et d’ailleurs », association force de proposition de sujets de société, la jeune femme présentait ce lundi soir à la MJC de M’gombani un article prochainement publié dans la revue « Politique africaine » intitulé « Le confiage transfrontalier des mineurs Comoriens à Mayotte ».

Un sujet sensible qui ne pouvait éviter le jugement politique dans ce qu’elle est venue bouleverser la tradition, revendique la chercheuse. Un biais à pousser jusqu’au bout, comme nous allons le voir.

Cette pratique du « confiage » est traditionnellement implantée en Afrique, explique Alison Morano, qui la définit comme une « forme de circulation des enfants qui n’implique pas pour eux un changement d’identité, qui est réversible, puisque les parents conservent leurs droits sur leur enfant ». Des enfants qui sont confiés le plus souvent à de la famille, « plus rarement à un tiers non apparenté. »

L’objectif serait se resserrer les liens de parentalité, de famille, d’ancrer les rapports d’entraide. « Aux Comores, le confiage est très pratiqué, le plus souvent entre femmes. »

« Rupture d’égalité entre les étrangers de France »

Comores Mayotte, Alison Morano, confiage
Alison Morano se penche depuis plusieurs années sur les difficultés rencontrées par la jeunesse sur le territoireComores Mayotte, Alison Morano, confiage

Mais pour la docteur, la géopolitique a bousculé un mécanisme qu’elle considère bien rodé. L’indépendance des Comores quand Mayotte a décidé de rester française en 1975, et le visa Balladur en 1995, « tout cela a créé une frontière politique puis policière, qui fait que Mayotte apparait dans son environnement régional comme un pays du Nord, a contrario des pays du Sud, dont l’Afrique, alors qu’elle demeure le pays le plus pauvre d’Europe. » La pratique du confiage est alors devenue « transfrontalière », provoquant des « entraves politico-administrative ». Deux configurations apparaissent alors : celui en urgence, « lors d’une reconduite à la frontière, on peut confier l’enfant à un tiers plus ou moins proche, dans l’optique d’un retour et pour à la fois éviter une nouvelle traversée risquée à l’enfant, et lui donner le plus de chance d’une meilleure scolarité. C’est une dérive du confiage ». Le 2ème cas d’adaptation transfrontalier est l’envoi de l’enfant à Mayotte alors que les parents sont toujours aux Comores, « comme la scolarité est payante aux Comores, on veut l’inscrire à Mayotte, ce qui n’est pas toujours concrétisé surtout plus les plus grands qui ont du mal à trouver une place ».

La scolarité reste la première des motivations, selon l’ensemble des participants présents dans la salle de la MJC, vient ensuite les soins, « c’est très rare que les personnes reviennent ensuite aux Comores. »

Dans certain cas le confiage se fait « en sens inverse », avec des parents qui confient leurs enfants aux Comores, viennent s’installer à Mayotte, et le font venir ensuite.

Des actions que contrent les autorités françaises, « avec une politique ferme de lutte contre l’immigration clandestine, ce qui dessine de nouvelles figures d’altérité dans le cadre de mobilités insulaires contrariées. La figure de l’étranger est née par la création de la frontière. » Ce qui induit souligne-t-elle « un corpus législatif exceptionnel », avec une région européenne mais qui n’appartient pas à l’espace Shengen, « impliquant des autorisations spéciales pour les détenteurs de titres de séjour qui veulent se rendre sur le territoire français. Il y a rupture d’égalité entre les étrangers de France. »

« Les familles ne se sentent pas de dire ‘non’ »

Une classe aux Comores où sévit une pénurie d’enseignants

Les confiages ne se font donc plus « dans de bonnes conditions » : « Les familles accueillent les mineurs par solidarité familiale mais ce n’est plus préparé, les accueillants ne sont informés de leur arrivée qu’au dernier moment, et ne connaissent pas leurs problématiques de santé, de comportement, ont déjà leurs propres enfants, et connaissent déjà des conditions précaires. Elles auront du mal à le faire scolariser ou à le faire soigner, certains sont exploités à des tâches ménagères, ajoutés au mal être que connaissent les plus grands lorsqu’ils sont ados, ce qui met peu à peu ces enfants en danger de désocialisation. »

Elle cite en exemple ce jeune de 15 ans confié à sa tante qui l’accueille comme le veut la tradition. « Mais elle ne savait pas que les parents lui avaient envoyé en raison de problème de comportement, d’incivilités, pour s’en débarrasser car il posait problème aux Comores. Elle a tenté de l’insérer comme apprenti dans le garage d’un ami, cela s’est très mal passé, il l’a agressé au couteau, et a fini par fuir. »

En conclusion, Alison Morano relevait que bien que contrariés, ces confiages n’ont jamais cessés, « cela reste néanmoins une forme de mobilité imposée par les parents. »

Les échanges étaient ensuite ouverts avec le public dans la salle. En ressort que les confiages se font de plus en plus « dans une logique de réciprocité », et avec un poids moral, « les familles ne se sentent pas de dire ‘non’ lorsqu’un membre de la famille le leur demande. »

Les confiages d’opportunité suivant la hiérarchie entre les îles

Un programme insuffisamment exploité

Plusieurs observations néanmoins à la suite de cette conférence. Le choix des mahorais de rester français a en effet imposé une frontière, comme cela se joue actuellement entre l’Ukraine et la Russie. Il s’agit aussi du choix d’un peuple à disposer de lui-même. Et ce choix a permis justement de développer la possibilité d’une scolarité pour beaucoup d’enfants arrivant des Comores, ce qui n’aurait pas été le cas, si Mayotte était restée comorienne, puisque la conférencière le dit, c’est compliqué aux Comores où il faut payer pour avoir un enseignement de qualité.

Ensuite, on a peu abordé les confiages réussis, avons-nous souligné à l’issue, « les confiages organisés quand tout fonctionne se passent bien, ceux qui se passent mal, c’est quand les parents envoient un enfant parce qu’il a des problèmes ». C’est là que nos structures françaises doivent intervenir pour offrir de l’écoute à ces jeunes, et financer les mêmes outils aux Comores en prévention. La proximité de la France peut aussi être vu comme une chance… quand les prises en charge suivent.

Enfin, nous avons interrogé sur l’existence de confiage entre les autres îles des Comores. « Oui, l’association MAEECHA** rapporte que c’est le plus souvent vers Grande Comore en raison de la hiérarchie entre les îles, mais qu’il arrive que les enfants confiés ne mangent pas à table avec les autres enfants de la famille. »

Un biais très intéressant donc que d’étudier l’adaptation de cette prise en charge culturelle de l’enfant dans une famille élargie à l’évolution géopolitique, mais à regarder sous toutes ses facettes, et à l’échelle régionale.

Anne Perzo-Lafond

* Étude de l’homme et des groupes humains

** Mouvement Associatif pour l’ Education et l’Egalité des Chances

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